Tuđman a partagé la Bosnie-Herzégovine
Fra Petar Jeleč dans un entretien avec tportal commente les accusations déversées sur le dos du président Ivo Josipović par le gouvernement et diverses associations de vétérans après son discours tenu au Parlement de Bosnie-Herzégovine. Il s'est également étendu sur la politique de division de la Bosnie-Herzégovine menée par Tuđman, qui a laissé sur le carreau les Croates de Posavina et de Bosnie centrale, et il a dénoncé la théorie du complot selon laquelle le communisme est responsable de la pédophilie au sein de l'Eglise.
Fra Petar, comment commentez-vous le discours du président Josipović
devant le Parlement de Bosnie-Herzégovine où il a exprimé les regrets
que la République de Croatie "ait par sa politique des années 90 du
siècle dernier contribué aux souffrances des gens et aux divisions qui
aujourd'hui encore nous tourmentent".
Le discours excellemment ficelé du président Josipović devant les
parlementaires de la Bosnie-Herzégovine est un événement très important
pour la région toute entière et il représente une des meilleures choses
qui soient advenues ces derniers temps en Bosnie-Herzégovine. Ce geste
courageux de Josipović et son repentir en raison de la politique croate
(tuđmanienne) menée dans les années 90 ne sont, hélas, pas bien accueillis
dans les rangs des Croates de Bosnie-Herzégovine. Les représentants des
partis politiques croates en Bosnie-Herzégovine ne sont pas davantage
enthousiasmés pas ce discours de Josipović, raison pour laquelle ils se
sont mis par des acrobaties exégétiques à interpréter ce que le
président croate a réellement voulu dire car, on s'en doute, ils le
savent mieux que lui-même. Afin de démontrer ô combien ils peuvent être
orthodoxes en politique, ils se sont surpassés les uns les autres en
répétant les affirmations mensongères et serviles que la politique
croate pendant toute cette période n'a fait que du bien aux gens de
Bosnie-Herzégovine. Cet acte de Josipović ne va pas non plus dans le
sens voulu par de nombreux politiciens serbes car il aide à stabiliser
l'ensemble de la situation politique en Bosnie-Herzégovine, ce qui ne
convient certes pas à Dodik qui par sa politique destructive, avec le
consentement de plus en plus manifeste de la communauté internationale,
veut montrer que dans ce pays il est impossible de vivre ensemble.
Pourquoi a-t-on vu des attaques aussi violentes de la part de la Premier
ministre Jadranka Kosor, du HDZ et de diverses associations de vétérans
contre le président Josipović après son discours et sa visite en
Bosnie-Herzégovine ?
Le président Josipović a dit la vérité devant les parlementaires à
propos de la politique croate menée envers la Bosnie-Herzégovine dans
les années 90, une politique qui a effectivement contribué aux
souffrances des gens et à leurs divisions dans ce pays. Cela a
visiblement agacé de nombreux collaborateurs HDZ de Tuđman, qui
aujourd'hui encore se trouvent à des postes élevés dans ce parti et qui
portent en partie la responsabilité d'une telle politique. Visiblement
il faudra encore pas mal de temps au HDZ en République de Croatie avant
qu'il n'affronte les conséquences négatives de son héritage politique.
Tuđman et Šušak par leurs menées dans les années 90 avaient remplacé
toute la direction légalement élue du HDZ bosno-herzégovinien pour y
intaller leur obligé Mate Boban, un homme au passé très douteux,
intellectuellement et moralement pas à la hauteur de la fonction qu'il
exerçait. Une conséquence encore plus tragique vient de ce que par leur
appareil répressif, fait d'espionnage et de renseignements, par leurs
manoeuvres, ils sont parvenus à détruire la possibilité que soit créé un
parti politique autochtone, fort et sérieux, qui aurait mené une
politique affirmative envers ce pays et leur propre peuple. Au lieu de
cela ils ont crée une copie soumise du HDZ croate avec un seul et unique
chef bien-aimé.
Jusqu'à leur mort, Tuđman et Šušak firent la pluie et le beau temps sur
l'ensemble de la vie politique, sociale, économique et militaire des
Croates de Bosnie-Herzégovine. Et sans leur autorisation le HDZ en
Bosnie-Herzégovine ne pouvait prendre aucune décision importante. Ils
menèrent une politique ambiguë envers la Bosnie-Herzégovine - d'un côté
ils soutenaient en parole son intégrité (quoique pas toujours), et de
l'autre par leurs actions militaires et leurs accords avec Karadžić
(l'accord Boban-Karadžić), avec Krajišnik et Koljević (lequel fut
solennemment reçu au siège du Gouvernement croate à Zagreb), ils
épaulèrent l'agresseur serbe, agirent contre ce pays et leur propre
peuple, en particulier contre les Croates de Bosnie et de Posavina dont
ils livrèrent sans l'ombre d'un remord la terre natale à l'agresseur
serbe, une première fois en 1992 puis en 1995 lorsqu'ils signèrent son
arrêt de mort à Dayton. Sans morale et sans humanité, Tuđman accusa les
Croates de Posavina de ne pas s'être défendus et il s'emporta lorsqu'ils
osèrent protester contre ses initiatives "visionnaires" et "étatiques"
prises à Dayton.
Est-ce que le président Tuđman a participé aux tentatives de diviser la
Bosnie-Herzégovine ?
Bien sûr que oui. Et à ce propos il existe de nombreux témoins, livres,
mémoires, sténogrammes, quoique le meilleur témoignage soit encore toute
cette période où nous avons ressenti dans notre propre chair toutes les
conséquences d'une telle politique de Tuđman qui a infligé des dommages
imprévisibles à ce pays, en premier lieu aux Croates de Bosnie. Si
quelqu'un par ses propres yeux et sa cervelle ne veut pas croire aux
documents publiés et aux déclarations faites par ceux ayant pris part
aux événements, alors qu'il lise les interviews de Tuđman et les
sténogrammes dans lesquels sans ambiguïté et sans détours celui-ci parle
de la Bosnie-Herzégovine comme d'un assemblage colonial appelé à
disparaître et dans lesquels il défend la thèse qu'en divisant le
territoire bosno-herzégovinien il faudrait complaire aux Serbes car
c'est ainsi que disparaîtront les causes de l'hostilité entre les
Croates et les Serbes (voir le journal Slobodna Dalmacija).
Par la guerre contre les Bosniaques dans laquelle aucune partie ne fut
exempte de crimes, par la création de camps en Herzégovine occidentale,
par la ruine systématique de Mostar et la destruction du Vieux Pont, la
Croatie, selon le ministre Mate Granić lui-même, tomba dans l'isolement
international et fut sur le point de subir des sanctions. Par les crimes
commis durant cette guerre et par la création de camps de concentration
pour les Bosniaques, la Croatie perdit définitivement le statut de
victime ainsi que sa réputation aux yeux de la communauté
internationale, ce que démontra clairement l'enterrement du président
Tuđman auquel aucun politicien de dimension européenne et internationale
ne vint assister.
Le président Josipović a visité deux sites où ont péri des Croates et
des Bosniaques, à Ahmići et Križančevo selo, où il a été accompagné sur
les lieux du massacre pour la première fois par des dignitaires de
l'Eglise catholique et de la Commaunauté islamique en
Bosnie-Herzégovine. Est-ce que cela va aider à améliorer les relations
entre ces deux peuples ?
Cela mérite salutation et soutien quoi qu'il en soit, et je me réjouis
que cela ait eu lieu. Personnellement j'espère que ce geste aidera à
détendre les relations entre ces deux peuples, des relations derrière
lesquelles se détache, comme pire tragédie pour ce pays, un sanglant
conflit armé provoqué avant toute chose par les ressentiments
anti-bosniaques et anti-musulmans que nourrissaient Tuđman et Šušak.
Dans ce conflit, bien entendu, la partie bosniaque n'est pas non plus
innocente, comme on le constate par les nombreuses victimes qu'ont
laissées derrière elles certaines unités de l'Armée de la République de
Bosnie-Herzégovine. En tout cas les analystes noteront peut-être le fait
intéressant qu'un agnostique tel que Josipović, qui derrière l'autel et
dans certains journaux religieux a été publiquement injurié de 'prince
des ténèbres" (par le journal Katolik tjednik), a donné par son
initiative l'exemple et l'élan aux dignitaires religieux locaux pour
qu'ils se décident enfin à faire ce qui aurait dû être fait depuis bien
longtemps.
Le président Josipović a rencontré en Bosnie-Herzégovine les présidents
des partis croates représentés au parlement. Seul le président du HDZ,
Dragan Čović, n'a pas assisté à la réunion. Qu'en dites-vous ?
Sans doute était-il occupé lors d'une de ses réunions de plus en plus
fréquentes avec son collègue Dodik, avec lequel il a récemment conclu à
Banja Luka un pacte pré-électoral. Ainsi, lors des prochaines élections
en automne, les Serbes de la Fédération soutiendront les candidats du
HDZ, tandis que les quelques survivants croates de la dénommée Republika
Srpska soutiendront les candidats du SNSD. A cette occasion les deux
hiérarques se sont émerveillés l'un de l'autre devant les caméras et ils
se sont complimentés sur l'excellente politique que mènent sur place
ces deux "partis responsables". Čović est resté impressionné par le
fonctionnement de cette meilleure partie de la Bosnie-Herzégovine -
profondément nettoyée de la présence des Croates et des Bosniaques.
Visiblement elle lui sert d'exemple sur la façon dont devrait
fonctionner cette troisième entité dont il phantasme ; encore une des
supercheries électorales que vient de nous jouer ce politicien.
Ils ne sont pas venus pour parler de la Bosanska Posavina, des Croates
de Banja Luka et de Kotor Varoš, afin de ne pas gâcher la nouvelle
idylle née entre Mostar et Banja Luka. Ce n'est pas "d'abord chez les
Croates" que les récents mensonges et manipulations de Dodik sur les
700.000 victimes dans le camp de Jasenovac ont suscité la gêne, pas plus
que la toute dernière flétrissure infligée aux victimes du génocide de
Srebrenica. Ces faits méritent de rentrer dans les annales des outrages
moraux et politiques de ce politicien balkanique qui ressemble de plus
en plus à Milošević. On prendra la peine de noter que cela se passe sans
susciter de commentaires négatifs dans les milieux religieux et
politiques des Croates de Bosnie-Herzégovines, tandis que, d'un autre
côté, on les voit répéter comme des perroquets la thèse que Komšić ne
peut pas représenter les Croates de Bosnie-Herzégovine dès lors où des
Bosniaques ont voté pour lui.
Čović qui, aux cotés de divers individus tels que Jelavić, Bender, Ivo
Miro Jović, Čordaš et autres représentants de la nouvelle élite
politique fraîchement enrichie détient le plus de responsabilité pour la
situation dans laquelle se trouvent les Croates de Bosnie-Herzégovine,
n'avait semble-t-il pas de raisons de rencontrer Ivo Josipović à Mostar.
En revanche, nous aurons bientôt l'occasion de le voir lui et son
inévitable subalterne Čordaš dans les premières loges de nombreux
sanctuaires ainsi que sur les premiers bancs de nos églises étant donné
que les élections d'automne se rapprochent. Normal, il leur faut montrer
que s'ils savent habilement profiter des maux et des malheurs des gens
ils n'en savent pas moins prier Dieu pour un nouveau fructueux mandat de
quatre ans.
Existe-t-il parmi les Croates de Bosnie-Herzégovine le moindre parti
politique qui pourrait authentiquement et sincèrement représenter les
intérêts du peuple croate ? Nous savons que le HDZ s'est scindé en deux
partis - est-ce qu'il existe entre eux des différences substantielles ?
Il existe certaines différences entre ces deux HDZ, mais elle ne sont
pas substantielles, ce que le président du HDZ 1999, Božo Ljubić, a
tristement montré un beau jour lors de son passage dans une émission
de la FTV. Pendant tout un temps le HSS-NHI a fait plus ou moins figure
d'opposition contrariante pour la politique du HDZ. Toutefois, lors des
dernières élections, le parti de Ljiljana Lovrić est devenu une sorte de
parti satellite pour Dragan Čović, comme le révèlent les conflits
toujours plus fréquents au sein de ce parti ainsi que le départ de
certains de ces hauts fonctionnaires de la Posavina. Citons encore le
HSP et quelques autres partis, mais je n'y vois aucun leader honnête et
capable qui serait en mesure d'offrir à son peuple une politique
authentiquement saine ainsi qu'une parade aux fiascos et erreurs
commises jusqu'à présent. On a affaire à une simple lutte pour les
fauteuils et à une basse approche machiavélique de la politique comme
moyen pour s'enrichir personnellement avec le plus de facilité.
L'Eglise catholique est secouée ces derniers temps par des scandales de
pédophilie. Est-ce que cela va sérieusement écorner le prestige de
l'Eglise catholique dans notre société ?
Cela a déjà grandement écorné le prestige de l'Eglise catholique, comme
peu de fois dans son histoire. Et toutes les conséquences de ces crimes
horribles commis sur des enfants innocents sont à vrai dire
imprévisibles. Encore une fois, il s'est avéré qu'aucun ennemi extérieur
ne peut nuire à l'Eglise catholique autant qu'elle-même lorsqu'elle
trahit sa propre authenticité et ses principes humains et évangéliques
fondamentaux.
Avez-vous lu la récente missive de la Conférence épiscopale croate
adressée au pape Benoît XVI, dans laquelle les évêques et leurs prêtres
se dressent d'une seule âme contre les attaques dirigées envers
l'Eglise, "le corps mystique du Christ", et envers le Pape. Comment
commentez-vous le contenu de cette missive ?
J'ai lu cette lettre dans laquelle j'ai été frappé et peiné par le fait
que les évêques croates n'ont pas trouvé approprié de citer dans une
seule phrase les victimes - des enfants dont l'enfance et la vie ont été
détruites à cause d'horribles traumatismes. Au lieu de cela, on y
enfile les typiques thèses auto-défensives ainsi que les souvenirs de
l'époque communiste lorsque l'on "frappait les pasteurs de l'Eglise",
comme si cela avait un quelconque rapport avec les scandales de
pédophilie au sein de l'Eglise. C'est à croire que le communisme est
coupable aussi pour la pédophilie.
Dans les cercles cléricaux en Croatie et en Bosnie-Herzégovine on entend
de plus en plus souvent ces derniers temps des voix qui dénoncent le
fait que derrière les révélations de pédophilie se cachent certains
centres secrets du pouvoir, qui après s'en être pris à l'Eglise en
Irlande, dirigent leurs menaces vers l'Eglise catholique en Pologne et
en Croatie. C'est ce qu'a également répété le cardinal Puljić il y a
quelques jours dans une interview pour Radio Odžak. Comment
commentez-vous cette théorie du complot ?
L'histoire des théories en tout genre est ancienne au sein de l'Eglise
catholique, mais celle que vous venez d'évoquer appartient à l'une des
plus imaginatives qu'il m'ait été donné d'entendre jusqu'à présent. Il
est évident qu'elle n'a aucun lien avec la réalité et je verrais d'un
bon oeil que ceux qui déclarent cela et qui "savent" nous révèlent quels
sont ces centres secrets du pouvoir dont nous devons nous préserver.
Malheureusement, il s'est avéré que l'institution qui prétend être la
verticale morale dans la société n'est pas capable de prendre une juste
posture et de faire face au terrible échec dans ses propres rangs ainsi
qu'au crime commis contre des enfants sans défense. Plutôt que de se
repentir sincèrement en raison des souffrances endurées par des victimes
innocentes et de tenter de remédier à ce grand scandale, on voit naître
chez les gens d'Eglise ce genre de théories insensées du complot, de
même que la piteuse justification que la pédophilie existe aussi dans
d'autres segments de la société, comme si cela était une circonstance venant atténuer ce qu'ont fait certains prêtres et évêques ayant
dissimulé leurs forfaits.
Si l'Eglise continue de se comporter de la sorte envers le problème de
la pédophilie dans ses propres rangs, sa réputation en sortira
sérieusement ternie y compris chez les fidèles les mieux intentionnés.
J'aimerais que les responsables dans l'Eglise fasse tout le possible
pour que cela n'arrive pas, car ce qui a été fait jusqu'à présent sur
cette question n'est pas la juste voie qu'il faut emprunter.
Comment est-ce que vous commentez les écrits du journal Večernji list
sur la création d'une commission pour le Medjugorje ainsi que les bruits
de couloir selon lesquels il serait envisagé d'écarter de Mostar
l'évêque Perić, opposé au phénomène du Međugorje, de façon à mieux
résoudre ce problème ?
Je ne pense pas être la personne qu'il faut pour répondre à cette
question pour la simple raison que le "phénomène" du Međugorje
représente dans ma vie personnelle et religieuse une affaire tout à fait dérisoire, avec tout le respect dû envers ceux pour qui cela représente
quelque chose. C'est pourquoi seront tout aussi dérisoires pour moi les
conclusions de cette commission qui, selon toute vraisemblance,
s'arrangera pour que "tout le monde y trouve son compte". Il semble que
pour longtemps encore cette histoire fournisse, outre "les plaies qui
couvrent le révérend Sudac", un bon matériel afin de divertir les
foules.
Source : h-alter.org, le 26 avril 2010.
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