L'Action Rouge : Nous sommes des combattants croates contre la dictature
du capital
L'organisation de gauche illégale, qui a récemment déployé des drapeaux
rouges à travers Zagreb, intervient pour la première fois en public.
L'Action Rouge. Nous sommes des combattants croates contre la dictature
du capital !
"A ce jour nous nous sommes engagés activement dans une série de
campagnes et d'actions, telles que les manifestations et les blocages
par les étudiants, la lutte pour la rue Varšavska, une série de grèves
et de manifestations des travailleurs, et nous avons organisé des
manifestations contre le bombardement israélien de Gaza et contre
l'entrée de la Croatie dans l'OTAN. A coup sûr, les plus importants de
ces mouvements ont été les blocages [des universités ] par les
étudiants, lesquels représentent pour l'heure le mouvement social le
plus puissant et le plus déterminé en Croatie", écrit Damir Pilić.
Personne ne sait qui ils sont ni combien ils sont. On sait seulement
qu'ils publient sur leur site de violents articles contre le capitalisme
et qu'ils ont récemment déployé de grands drapeaux rouges en une
vingtaine d'endroits à Zagreb. Etant donné qu'ils se considèrent
eux-mêmes comme une organisation illégale, leur condition posée pour cette
interview consistait en un anonymat total. Raison pour laquelle nous ne
pouvons fournir leurs photos, pas plus que les noms des leaders. Ils se
dénomment l'Action Rouge.
***
Quand votre organisation a-t-elle été fondée ?
CA : L'Action Rouge a été fondée il y a un peu plus d'un an et demi. Il
s'agit par conséquent d'une très jeune organisation. Néanmoins nous
avons fêté le premier anniversaire en grande pompe, en suspendant une
dizaine de banderoles à travers Zagreb. Nous ne l'avons pas fait parce
que nous estimions que le premier anniversaire est un grand succès mais
parce que nous pensons que ce que nous avons entamé est très important
pour l'avenir de la Croatie.
Pourquoi avez-vous fondé l'organisation. Qu'est-ce qui vous y a incité ?
CA : Nous voyons l'Action Rouge comme la première tentative d'organiser
une opposition autrement sérieuse à la transition en Croatie. Depuis les
années 90, en Croatie, et dans une bonne partie du reste du monde, on tente de faire croire que le capitalisme n'a pas d'alternative car
toutes les autres tentatives ont mal fini. Or, nous voyons
clairement que le capitalisme n'a pas été en mesure de résoudre les
problèmes de base de l'humanité, pas plus que les problèmes locaux en
Croatie. Au surplus, le capitalisme dans ses principaux aspects n'a pas
changé depuis le début du 20ème siècle.
Nous avons des
raisons de lutter
Que voulez-vous dire ?
CA : Nous continuons à être partagé en ceux qui travaillent pour les
autres et ceux qui gagnent de l'argent sur le travail d'autrui, le sens
de la production continue à être le remplissage des poches privées et
non pas la satisfaction des besoins de la population ; la fonction
basique de l'Etat continue à être la protection des intérêts du capital ;
et le monde continue de se diviser entre les pays impérialistes du
"centre" et les pays dépendants, ceux de la "périphérie". Les raisons
pour lesquelles des millions de gens au cours du 20ème siècle ont lutté
contre le capitalisme sont toujours valables. Et de fait, dans nombre de
pays sur la planète des milliers de gens continuent de se battre. Nous
avons des raisons de lutter, toutefois ce qui nous manque est une
analyse cohérente de la situation et des organisations qui mènent cette
lutte. L'Action Rouge est une tentative d'y remédier.
Quels sont vos modes d'action ?
CA : Dans cette phase, nos principales activités consistent à développer
une organisation, une propagande ainsi qu'une contre-information. Par
développement d'une organisation nous pensons à notre propre éducation ;
par propagande nous pensons à la diffusion de nos idées ; et par
contre-information à l'offre d'informations venant de "l'autre bord",
c'est-à-dire aux nouvelles qui n'apparaissent pas dans les titres des
médias, aux nouvelles sur les grèves désespérées et autres combats
contre la dictature du capital, de même qu'à l'analyse de certains
processus dans la société ou encore aux initiatives politiques dont nous
estimons qu'elles ne sont pas traitées de manière suffisamment critique
dans les médias.
Le
problème ce ne sont pas les individus
Comment choisissez-vous les thèmes que vous répercutez ?
CA : Un bon exemple en est le programme gouvernemental de
"relance économique", qui très clairement ne renferme qu'une
série de mesures allant au détriment de la majorité et au profit de
l'étroite couche des plus riches. Les analyses de ce programme dans les
médias se sont bornées à des commentaires "d'experts en économie", tous
sans exception des représentants du grand capital. En pareil cas les
médias, plutôt que d'être "la voix de l'opinion", deviennent la voix du
capitalisme contre les intérêts publics. En outre, à ce jour nous nous
sommes engagés activement dans une série de campagnes et d'actions,
telles que les manifestations et les blocages par les étudiants, la
lutte pour la rue Varšavska, une série de grèves et manifestations des
travailleurs, et nous avons organisé des manifestations contre le
bombardement israélien de Gaza et contre l'entrée de la Croatie dans
l'OTAN. A coup sûr, les plus importants de ces mouvements ont été les
blocages [des universités ] par les étudiants, lesquels représentent
pour l'heure le mouvement social le plus puissant et le plus déterminé en
Croatie.
- Sur votre site vous avez critiqué le Programme Gouvernemental, en
arguant qu'il a été écrit par "des héros de la privatisation, des
figures hostiles au peuple et de semblables individus qui ne reculent
devant personne pour défendre le profit". Avez-vous pensé à Škegro ?
CA: Nous avons pensé, entre autre, à Škegro, mais le problème ne réside
pas tant dans les figures de premier plan. En définitive ils ne sont que des
serviteurs et des marionnettes des intérêts du grand capital. Il importe
néanmoins de démystifier "les experts en économie", qui très souvent
souhaitent présenter leurs décisions comme des faits inévitables. Pour
l'essentiel leurs décisions ne signifient pas de "purs faits
scientifiques" mais bien des décisions politiques conscientes qui
conviennent à certains tandis qu'elles nuisent à d'autres. Ils le savent
très bien mais ils tentent de le cacher par leur prétendue expertise.
- Dans les articles exposant votre programme sur votre site, vous
pointez la nécessité d'une activité illégale. Pourquoi illégale ?
CA : Par activité illégale de l'organisation nous entendons cette
activité qui ne reconnaît pas les structures légales du système et qui
protège les activistes contre l'appareil répressif de l'Etat.
L'histoire, mais aussi les exemples fournis par d'autres pays, comme par
exemple la Turquie, nous indiquent clairement que tout régime use de la
répression lorsqu'il se sent suffisamment menacé par les mouvements
anti-système. Nous souhaitons justement développer un mouvement
anti-système.
- Ce qui veut dire ?
CA : Cela veut dire que nous estimons que les choses ne peuvent être
changées par un changement des politiques particulières, mais par un
changement complet du système. Le parlementarisme non-démocratique, dans
lequel les "électeurs" ne peuvent peser sur les décisions quotidiennes
de "leurs" représentants, n'est pas seulement non-démocratique mais
aussi créé à dessein pour répondre aux intérêts du capital. Notre lutte est
dirigée contre la dictature du capital et contre le système
non-démocratique, or une lutte contre le système est illégale. Nous ne
faisons que nous conformer à ces faits.
- Combien êtes-vous dans l'organisation ?
CA : Une des caractéristiques fondamentales de l'activité illégale est
de ne pas publier des informations sur les membres, y compris leur
nombre.
- Quel est l'âge moyen des membres ? Est-ce que ce sont des lycéens, des
étudiants, des travailleurs... ? Que font-ils dans la vie ?
CA : Nos membres sont en majorité des personnes jeunes, principalement un peu au-delà de vingt ans. Nous comptons des lycéens, des
étudiants issus des facultés les plus diverses, mais aussi des
travailleurs, des intérimaires, des travailleurs au noir...
Notre organisation n'est pas une sous-culture, on y trouve donc
des personnes avec des profils très différents, avec des affinités et des
centres d'intérêt très différents. Ce qui nous unis est la lutte contre
la dictature du capital et non pas certains modes de vie.
- Comment est-ce que vous choisissez vos membres ? Selon quels critères ?
CA : En principe chacun peut être membre s'il accepte nos positions et
nos méthodes de travail. En revanche, la pratique nous montre clairement
que chacun n'est pas prêt à se consacrer pleinement au travail
révolutionnaire même si en principe il peut s'accorder sur la nécessité
de la révolution. Cette raison fait que nous prescrivons un stage de
candidat pour les membres potentiels, durant lequel nous établissons,
autant eux que nous, qui est réellement prêt pour le travail au
sein de l'Action Rouge.
- Est-ce qu'il existe des organisations en Croatie avec lesquelles vous
collaborez ?
CA : Nous soutenons tous les mouvements progressifs et à caractère
social en Croatie, ce qui ne signifie pas que nous renonçons au droit de
critiquer leurs initiatives ou positions. Un bon exemple en la matière
est l'initiative "
Le Droit à la Ville", dont nous soutenons le combat
contre la privatisation des espaces publics, mais que nous ne
considérons pas comme étant le problème dérivant d'un maire corrompu ou
étant celui d'une rue. Le problème tient au système qui sert la
dictature du capital. La destruction de la rue Varšavska n'est qu'un
symptôme du problème, et non pas le problème en soi.
Une
industrie détruite
- Vous parlez et agissez au nom de la classe laborieuse, mais qu'en
est-il vraiment resté de la classe laborieuse aujourd'hui en Croatie ?
CA : Partout dans l'Est de l'Europe la transition a eu pour effet de détruire l'industrie qui pouvait potentiellement représenter
une concurrence aux firmes occidentales. En conformité, le
pourcentage de personnes employées dans l'industrie a fortement chuté. La classe laborieuse ne saurait pourtant être assimilée aux
travailleurs dans l'industrie. A la classe laborieuse appartiennent tous
ceux qui doivent travailler pour survivre. Par conséquent tous ceux
qui ne sont pas propriétaires ou gestionnaires des moyens de production
et d'échange. Hormis ceux engagés dans le secteur des
services, en font certainement partie ceux qui sont actuellement sans emploi
(les chômeurs) et ceux qui ne font que se préparer pour le travail (les
élèves et étudiants).
- N'avez-vous pas l'impression que parmi les travailleurs est née la
conscience d'appartenir à la même classe ?
CA : Par la disparition des grandes installations industrielles, il est
certain qu'a été rendue plus difficile la création d'une solidarité
collégiale entre les travailleurs, je veux dire la conscience
d'appartenir à la même classe, mais cela ne signifie pas que la position
des travailleurs ait réellement changé. Du reste, pas plus tard qu'en
2001 environ 25% des employés en Croatie travaillaient encore dans les
métiers productifs, plus environ 25% dans les métiers des services et
simplement manuels. Sans pour autant comptabiliser dans ces chiffres les
enseignants et les autres fonctionnaires publics. Si l'on tient compte
des chômeurs, il apparaît que la classe laborieuse n'a jamais réellement
disparu.
- Sur le site vous soutenez les manifestations d'étudiant, leurs plénums
et la démocratie directe comme "le seul instrument possible de la
révolution". Comment envisagez-vous cette révolution et qui en seraient
les tenants ?
CA : Les plénums ont été pour la classe laborieuse en Croatie une
brillante préparation et illustration des révoltes à venir. Dans le
conflit avec le système, le seul avantage du peuple en révolte est sa
multitude, or les plénums sont l'organe qui tire le meilleur parti de la
multitude. Lorsque le peuple en révolte organise des plénums, il entre
en conflit avec le système non-démocratique et le pouvoir légal. Ce
conflit ne peut en définitive être résolu que de deux façons : ou le
système étouffera les plénums et les neutralisera, ou les plénums
remplaceront le pouvoir légal par des formes de pouvoir plus
démocratiques. Lorsque survient la deuxième option, cela s'appelle une
révolution. Les acteurs de la révolution seront tous ceux qui ont
intérêt à changer le système, autrement dit la grande majorité de la
population. Tous hormis le cercle restreint des grands capitalistes et
les politiciens professionnels qui les servent.
Le
communisme, on ne s'en souvient pas
Sachant que depuis 1990 tout ce qui a un lien avec la gauche et le
communisme en Croatie est hautement proscrit, comment avez vous réussi à
développer vos convictions politiques ?
CA : Nos convictions politiques ne sont pas nées par nostalgie pour
l'ancien régime. Nous, au demeurant, nous ne nous souvenons pas de cette
période. Nous avons été incités à la lutte par une analyse de la
situation dans laquelle nous nous trouvons. En ce sens nous critiquons
nous aussi l'ancien régime, selon une perspective de gauche, mais il est
un fait que le "socialisme réel" a échoué. Il ne peut plus et ne doit
plus servir d'argument pour le capitalisme. Il est tout à fait clair
qu'a également échoué la transition en tant que projet. Il est plus que
temps que nous nous mettions à bâtir une alternative.
Le SDP
n'est pas la gauche [SDP : le Parti social-démocrate, N.D.T]
- Sur votre site vous vous en prenez à l'opposition en raison de son
soutien aux "mesures anti-peuple" que prône le Gouvernement. Est-ce que
cela signifie que vous ne considérez pas le SDP comme un vrai parti de
gauche, en d'autre terme "un parti rouge".
CA : La politique de ce parti, autant lorsqu'ils étaient dans
l'opposition que durant leur courte période au pouvoir, ne s'est nullement
écartée de l'extrémisme néo-libéral. Le rabotage des droits sociaux,
la privatisation, la commercialisation des services sociaux. La
social-démocratie a été dans l'histoire une sorte de mouvement de gauche
nominal, toutefois la dernière phase de son évolution, la dénommée
"troisième voie" (ou blairisme), signifie l'entière fusion ultime de la
social-démocratie avec le libéralisme. La social-démocratie n'est
aujourd'hui ni une option des travailleurs ni une option sociale. Au
demeurant, eux-mêmes le reconnaissent dans leurs documents.
Des
Balkans désunis conviennent à l'Occident
Dans vos articles vous affirmez que "les Balkans nécessitent une lutte
commune anti-impérialiste menée par les peuples balkaniques". Est-ce
prôner une sorte de nouvelle union balkanique ?
CA : Nous ne prônons aucune nouvelle forme d'organisations étatiques ou
supra-étatiques qui seraient la répétition de certaines formes
politiques anciennes. Nous ne sommes pas de ceux à pousser la Croatie
dans une communauté régionale. Au contraire c'est la transition,
c'est-à-dire le développement capitaliste, qui a poussé les pays des
Balkans et d'Europe centrale dans une même position, cette position de
périphérie du capitalisme d'Europe occidentale. Une des raisons pour
lesquelles ces pays ne peuvent s'opposer à l'assaut du capital des
centres impérialistes vient de ce qu'ils dépensent une grande partie de
leur énergie dans des conflits mutuels, ce qui vaut particulièrement
pour les Balkans. Plutôt que de vains conflits mutuels, les pays en
transition ont besoin d'une résistance à l'impérialisme sur le principe
de la pleine reconnaissance du droit des nations à l'indépendance et à
l'autodétermination.
Le
capital et le fascisme
Dans nombre de pays européens éclatent souvent des conflits, y compris
physiques, entre les groupes organisés de gauche et de droite. Une telle
situation peut-elle survenir chez nous ?
CA : Nous avons déjà eu des conflits physiques avec les bandes fascistes
durant nos actions de rue, toutefois le sens de notre organisation
n'est pas de batailler et de se confronter avec la racaille des rues mais
bien de lutter contre la dictature du capital. Le fascisme n'est pas un
mouvement politique indépendant sinon la dernière ligne de défense des
intérêts du capital. Lorsque le peuple parvient réellement à créer une
alternative au pouvoir non-démocratique et à articuler ses propres
intérêts, le capital organise ceux qui souffrent de phobies de la
liberté afin d'intimider et de torpiller le développement du mouvement
populaire. Il existe la possibilité que la réponse du capital à l'échec
de la transition dans l'Est de l'Europe soit réellement une nouvelle
forme de fascisme. En pareil cas, aujourd'hui plus que jamais, est de
rigueur la sentence prononcée par la révolutionnaire polonaise Rosa
Luxembourg : l'avenir est soit le socialisme soit la barbarie.
Source :
hap.bloger.hr, le 29 mai 2010.
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