La Croatie comme colonie périphérique UE de la machine capitaliste
Depuis hier il a été confirmé par voie référendaire que nous sommes devenus partie intégrante d’une organisation créée à une seule et unique fin : favoriser exclusivement le grand capital et les élites privilégiées.
Prenons le temps de revenir sur les résultats et de proposer une analyse sur ce qui s’est exactement passé hier, mais qui se répète depuis déjà tout un temps.
Tout d’abord le taux de participation a été extrêmement bas, à peine 43,67%. Ce chiffre nous apprend que la majorité du peuple croate a perdu la foi dans le processus démocratique et ce « type » de démocratie. Si les citoyens ne tiennent plus à leur « devoir civique », c’est qu’il y a longtemps qu’ils ne croient plus aux politiciens, pas plus qu’aux institutions, aux élections et à toute autre forme de démocratie participative au plus haut niveau.
Mais pas trop vite en besogne ! Vous tous qui êtes allés dans les bureaux de vote pour voter « non », n’allez pas trop vite… réfléchissez à qui vous estimez «coupables» de l’entrée de la Croatie dans l’UE. D’après vous, qui sont ceux qui rabattent votre rage directement vers les habitants qui ont choisi de boycotter sciemment ce type de démocratie ? Qui sont ceux qui vous annoncent que sont coupables ceux qui sont restés hier chez eux ? Ces messages vous sont envoyés par ceux là-mêmes qui font couler le champagne alors que le peuple ratisse les poubelles.
La majorité des gens sont restés chez eux non pas parce qu’ils sont léthargiques ou parce qu’ils veulent que «quelqu’un d’autre décide de leur futur». Rien de cela, la grosse majorité des habitants de la Croatie se refuse à ce qu’on décide ainsi de son destin.
Est-ce que le peuple lui-même a cherché un référendum ? Est-ce là une décision du peuple ? Est-ce que le peuple dans les rues martelait pour l’entrée dans l’UE ? A aucun moment.
A ce titre il a aussi le droit de ne pas participer à ce genre de référendum, il a le droit de le rejeter.
Maintenant que la campagne est finie, attardons-nous un peu à son sujet.
Le pouvoir et l’élite dominante ont plaidé à l’unisson pour l’entrée dans l’UE, au-delà des prétendues orientations idéologiques avec lesquelles ils se sont emparés des confortables sièges parlementaires.
Mais il y a un hic à tout cela. Celui-là même que le pouvoir absolu rencontre depuis des siècles : le besoin d’un adversaire ou du moins d’une sorte d’opposition. Pas nécessairement une opposition forte, mais elle se doit d’exister.
Pourquoi ? Pour que le peuple ne vienne pas s’imaginer qu’il vit dans une dictature.
Le but de la démocratie parlementaire actuelle est de créer l’illusion qu’aux plus hauts niveaux, ceux qui comptent, des groupes particuliers sont en conflit permanent. Rien d’autre qu’une mise en scène visant à embrouiller le peuple.
Sont-ils « tous pareils » ? Comme si l’exemple d’hier n’en était pas la parfaite illustration ! Comme si 99% des députés n’étaient pas pour l’UE ! Comme si les dirigeants syndicaux n’étaient pas pour l’UE et comme si
les notables religieux n’étaient pas en faveur de l’UE !
Quelle différence faites-vous entre eux ? Leurs traits du visage, leur accent régional ?
Ce phénomène n’a rien de particulier à la Croatie, il est de dimension globale. Tout pouvoir est d'un seul tenant et son jeu est toujours collectif. Les «différences» ne sont qu’un spectacle quelconque destiné aux masses.
Voter pour le « second » candidat revient à voter pour le « premier ».
Croire que seule la Croatie souffre de ce syndrome serait une grossière erreur. Des millions d’Américains entrés en transe ont démocratiquement et littéralement installé Obama à la Maison Blanche parce que celui-ci, après presque une décennie de guerres sanguinaires, avait prôné l’arrêt des interventions militaires à travers le monde. Qu’en ont-ils reçu ? Un pays encore plus militarisé qui ces jours-ci se prépare à des guerres encore plus vastes et plus dangereuses.
L’opposition et son semblant d'existence sont déterminants pour en finir avec la démocratie en tant qu’idée humaniste qui de nos jours a perdu son sens premier.
C’est ainsi que lors de cette honteuse campagne en faveur de l’UE il fallait une opposition. Cette opposition le pouvoir l’a trouvée parmi les nationalistes.
Pourquoi les nationalistes ? Parce qu’ils savent très bien que les nationalistes représentent la plus pâle menace pour la réalisation de leur mission : l’entrée dans l’UE.
Il leur a été offert dans les médias un espace calibré au millimètre, certes minimal mais néanmoins suffisant. Juste pour qu’on voie plus ou moins de qui il s’agit, qu’on retienne l’un ou l’autre de leurs slogans et qu’on finisse par voir en eux l’opposition concrète au projet UE.
Si on veut être sincère, cette poignée de nationalistes a été utilisée à de basses fins de marketing sans même qu’ils s’en soient jamais rendus compte.
Il va sans dire qu'aucuns moyens de faire avancer leurs thèses ne leur ont été fournis. Ainsi on ne courait pas le risque qu’à tout hasard ils n’arrivent à matérialiser une contre-campagne. En définitive ils ont été abandonnés à eux-mêmes et à la frange des citoyens qui se sont raccrochés à eux comme seule opposition légitime à l’entrée dans l’UE, tel que nous l’ont suggéré les médias.
Il existe pourtant en Croatie de nombreuses personnes qualifiées, des économistes pointus, des historiens, des scientifiques qui sont également d’orientation de droite ou conservatrice. Néanmoins aucun espace médiatique ne leur a été accordé. Aux yeux de ce pouvoir ils sont trop bien articulés.
En d’autres termes, le risque existait concrètement qu’ils ne soient réellement en mesure d’influencer les masses populaires. C’est pourquoi la parole principale a été donnée à des personnes qui ne jouissent d’aucune crédibilité parmi le peuple.
En même temps pour les besoins de la campagne électorale on utilise sans vergogne les anciens combattants croates. Cela de la pire façon. On tente, subtilement et à demi-mot, de présenter les personnes qui ont dignement défendues ce pays comme étant un groupe dangereux qui agitera les armes dès qu’on aura voté pour l’UE.
On a soigneusement créé la fausse image d’une unique alternative qui s’offre à nous : ou bien l’UE « cultivée et civilisée » ou bien risquer que des «néofascistes» ne s’emparent de nos vies.
Pourtant, même aux heures les plus sombres, le soldat croate n’avait qu’un seul désir : que le pays soit juste et libre, que ses habitants vivent bien et surtout qu’ils décident eux-mêmes de leur destin.
On a fait d’eux un grand méchant loup, on a voulu les signaler comme des gens lourds de menaces qui n’attendent qu’à peinturlurer le drapeau d’emblèmes fascistes.
De nombreux anciens combattants s’en sont rendus compte et ils voient la façon perfide dont on utilise leur catégorie sociale, ils savent qui agit ainsi et pourquoi.
Lorsqu’il est question des ultra-nationalistes, il y a beau temps que les dirigeants savent qu’ils ne bénéficient d’aucun appui parmi le peuple. Les résultats du référendum en sont d’ailleurs la preuve. Toute personne qui dans ce pays approuve des slogans comme « EU=YU » («Europe = Yougoslavie»), ou qui admet que l’on pointe nos voisins de l’Est comme une menace, est allée voter hier pour dire « NON ».
Si l’on soustrait de l’ensemble des électeurs les citoyens avertis qui ont participé au référendum et ont également dit non à l’UE, nous pouvons voir à quel point le nationalisme radical est marginal en Croatie, vraiment marginal.
Il faut donc veiller à s’abstenir de toute généralisation pour ne pas donner une fausse image de la société dans laquelle nous vivons.
Entendons par là qu’il ne faut pas confondre les conservateurs et les nationalistes radicaux. Beaucoup de gens aiment leur pays, leurs traditions et leur peuple, sans pour autant détester les autres peuples ou pays.
En fin de compte un groupuscule de nationalistes a été utilisé et manipulé. Encore aujourd’hui ils ignorent qu’ils ont été abusés par une campagne médiatique, non seulement pour qu’ils fassent figure d’opposition effective, mais aussi pour inciter par leurs positions radicales une bonne partie de la population à voter « OUI » à l’adhésion à l’UE.
Ce n’est pas la peine de contourner l’histoire, les gens ont une très bonne mémoire. Nous avons vu de nos yeux comment le nationalisme radical a livré toute la propriété aux mains des oligarques et du grand capital. Nous avons vu de nos yeux comme ces mêmes radicaux se sont mués en une oligarchie qui a formidablement pillé le peuple.
Surfant sur un patriotisme de pacotille, ceux qui n’ont de respect pour rien sauf pour leurs poches nous ont conduits sous la dictature de la privatisation et du capitalisme néolibéral.
Le peuple n’est pas idiot. On a beau essayer de le dépeindre sous de telles couleurs. La grosse majorité des citoyens comprend à merveille que s’il y a bien quelque chose à éviter le plus possible, c’est le nationalisme radical.
En ce sens, même ceux qui sont conscients de la nature rapace de l’Union européenne ont néanmoins voté pour elle, en espérant ainsi tenir à distance le nationalisme radical.
Hélas, ils se fourrent le doigt dans l’oeil. En Europe le nationalisme fleurit bien plus qu’en Croatie. La raison en est fort simple : le nationalisme extrémiste avance toujours main dans la main avec le grand capital et les élites dirigeantes. Plus la crise va menacer le grand capital et plus les courants nationalistes vont se renforcer.
Il faut s’attendre à ce que la même tendance se manifeste chez nous.
Dans l’UE on abolit les droits des travailleurs, on réduit les salaires et on licencie massivement. Les bénéfices sociaux sont tour à tour rabotés et finissent par disparaitre. Toutes les institutions vitales, de la santé en passant par l’école, sont privatisées.
Tel est le programme de l’UE. Il en est ainsi et en sera toujours ainsi.
Est-ce que les fervents nationalistes s’en sont jamais insurgés ? Est-ce que l’extrême-droite a jamais défendu un enseignement meilleur, une meilleure santé ou une réduction du temps de travail ?
Bien sûr que non, leur but est de servir la classe dirigeante et de désigner de nouveaux boucs émissaires. D’où l’énorme aversion aujourd’hui en Europe envers les étrangers, en particulier les travailleurs étrangers. Bon nombre de gens ne comprennent pas cette simple pensée :
l’étranger n’est pas fautif de t’avoir pris ta place, c’est l’employeur qui l’a amené là où il est parce qu’il le paye moins cher.
Quoi qu’il en soit, tous ces problèmes que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder deviendront partie intégrante de notre réalité après l’entrée dans l’UE.
Les travailleurs à l’épreuve le seront encore bien davantage demain.
Sauf qu’ils ne seront pas seuls ; ils partageront leur destin avec des millions d’autres qui sur le vieux continent se débattent âprement pour simplement rester en vie.
La seule issue, sans qu’il soit question d’alternative, est que les travailleurs disent enfin « ça suffit ».
Dans le cadre d’élections jamais aucun parti ne viendra pour les tirer de la pauvreté et leur restituer leurs droits. Ils peuvent accomplir jusqu’à la fin de leur vie leurs « devoirs » démocratiques, ils resteront toujours des esclaves dont seuls profiteront les détenteurs de capitaux et une fine oligarchie.
Rapidement la situation des travailleurs en Croatie va devenir aussi mauvaise qu’en Grèce, en Bulgarie, en Hongrie mais aussi en Angleterre et prochainement en Allemagne.
Qui aujourd’hui dit de la lutte ouvrière qu’elle est un danger ? Qui en a peur et quels sont les médias qui soufflent dans ce sens ?
Est-ce que le Croate veut administrer la Croatie et si oui pourquoi ?
Oui, parce qu’il forme l’évidente majorité. Simple logique des choses. Il va difficilement consentir à ce qu’une minorité, une infime minorité, ne prenne à sa place toutes les décisions importantes, ne vote toutes les lois et régente sa vie. Jamais les Croates n’y ont consenti parce qu’ils forment la majorité.
Les travailleurs ne sont-ils pas non plus la majorité ? Les travailleurs ne méritent-ils pas non plus en vertu de leur immense majorité d’être les administrateurs, aussi bien de leur destin que du capital et des moyens de production ?
Bien qu’ils constituent les 99%, les travailleurs sont aujourd’hui traités dans l’UE comme une minorité destituée de ses droits, une minorité corvéable que réprime une étroite structure dirigeante.
Peut-on imaginer un avenir où les travailleurs, en tant que majorité absolue, ne songeront pas à s’emparer du pouvoir ?
Aujourd’hui certains croient naïvement que leurs conditions vont s’améliorer dans l’UE, mais ces attentes vont vite s’évanouir. Si par hasard vous êtes l’un de ceux qui vont percer, réussir et vendre leurs connaissances à une firme ou l’autre, vous ferez partie d’un très petit nombre. La majorité n’aura pas cette occasion. Elle va rester ici, en Croatie, dans une colonie marginale exploitée qui a été bassement « annexée » par la machine capitaliste européenne.
Par D. Marjanović
Source :
advance.hr, le 23 janvier 2012.
Commentaires