Nicolas JS DAVIES
Tandis que les dirigeants US se demandent avec quelle lenteur ils vont retirer leurs troupes d’Afghanistan – et débattent pour décider s’il faut ou non se retirer de l’Irak d’ici la fin de l’année – une nouvelle alliance de pays asiatiques est en train de remplir le vide laissé par l’Empire US en déclin. D’ici mi-juin, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) pourrait représenter plus de la moitié de la population mondiale.
Le 15 mai, le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov a annoncé qu’un élargissement important de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) serait au programme du prochain sommet à Astana au Kazakhstan, le 15 juin.
Si l’élargissement est approuvé, l’Inde et le Pakistan rejoindront la Chine, la Russie et les républiques d’Asie centrale comme membres à part entière de l’OSC, et l’Afghanistan rejoindra l’Iran et la Mongolie en tant que nouveaux membres « observateurs ». L’information semble avoir échappé aux médias US (et français, remarque perfide du traducteur) mais les historiens du futur la désigneront probablement comme un point tournant de l’histoire de l’Afghanistan, des Etats-Unis et du monde.
Les cinq membres fondateurs de l’OCS (Chine, Russie, Kazakhstan, Tadjikistan et Kirghizstan), qui avaient signé en 1996 un « Traité sur le Renforcement de la Confiance dans les Régions Frontalières », ont formé en 2001 l’OCS avec l’Ouzbékistan et se sont engagés à renforcer la coopération militaire et économique.
En 2005, le président Nazarbayev du Kazakhstan a salué le caractère historique du sommet qui, cette année-là, a été rejoint par l’Inde, le Pakistan et l’Iran. Il a souligné que désormais la moitié de la population mondiale était représentée à la table des négociations de l’OCS.
L’OCS combine certains aspects militaires d’une alliance comme l’OTAN avec les avantages économiques d’une communauté comme l’Union Européenne ou l’UNASUR en Amérique du sud.
L’émergence et la croissance de l’OCS, qui est à la fois une alliance militaire défensive et une communauté économique, ont été motivées par l’intérêt partagé par ces pays de contrer l’agression US et son expansion militaire et aussi par la croissance économique de la région. Les Etats-Unis ont demandé un poste d’observateur à l’OCS en 2005, mais la candidature fut rejetée.
Les Afghans ont décidé de rejoindre l’OCS malgré l’opposition de Washington. Le ministre des affaires étrangères afghan Rassoul avait passé quatre jours en réunion avec des officiels chinois à Beijing avant l’annonce faite le 15 mai par Lavrov.
Il y a un changement significatif dans le « grand jeu » en Asie centrale, et des indications sur le devenir de l’Afghanistan lorsque l’occupation de l’OTAN prendra fin, ce qui arrivera un jour ou l’autre.
Le diplomate indien à la retraite, M. K. Bhadrakumar a souligné dans Asia Times que, avec cette manœuvre, la Chine et la Russie ont réussi à faire en sorte que la politique US en Asie Centrale marche sur la tête.
Les politiciens US espéraient faire de l’Afghanistan une « base centrale » d’où les Etats-Unis pourraient dominer l’espace et les routes stratégiques entre la Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde et le Pakistan. A la place, les Russes et les Chinois sont en train de positionner l’Afghanistan comme la base centrale future d’un réseau terrestre de commerce et de transport qui court-circuitera les routes maritimes de commerce sous contrôle de l’US Navy et permettra à tous les pays de la région de développer les relations entre eux sans une interférence des Etats-Unis.
Ceci annonce une nouvelle étape dans la concurrence historique entre les empires terrestres de l’Europe et de l’Asie et les empires maritimes européens et américains. Les routes terrestres et les alliances continentales ont toujours été indispensables à la Russie, la Chine, l’Allemagne, l’Autriche, la Turquie et la Perse, tandis que l’Espagne, le Portugal, la Hollande, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis ont toujours compté sur leur puissance navale et le contrôle de colonies ou néo-colonies lointaines pour imposer leur domination.
La faiblesse stratégique qui caractérise la montée de la Chine est due à sa dépendance aux importations et exportations massives par voie maritime. Tout est conçu pour éviter le moindre incident naval avec les Etats-Unis et constitue sa principale vulnérabilité.
La Chine a travaillé dur pour développer des alternatives au commerce maritime. Elle a construit des oléoducs et des gazoducs depuis la Russie et le Kazakhstan et amélioré ses relations avec l’Inde et ses autres voisins asiatiques – tout en assurant l’expansion de sa marine pour protéger ses routes de commerce et en construisant de nouvelles installations portuaires tout autour de l’Océan Indien – et pas moins que le plus grand port de la région, à Hambantuta, au sud du Sri Lanka.
L’ancien diplomate indien, Bhadrakumar, voit dans l’expansion de l’OCS une manœuvre de la Chine et la Russie pour construire « un concurrent à l’OTAN et un garant de la sécurité des états d’Asie centrale » et il cite une agence de presse russe qui décrit une « coopération étroite » entre la Russie et la Chine qui s’étend jusqu’au Moyen orient et à l’Afrique du nord.
En 2009, la plupart des pays dans le monde étaient disposés à accorder un an ou deux à l’administration Obama pour connaître ses intentions. Le verdict est désormais tombé, et la dernière campagne de bombardement de l’OTAN contre la Libye en est la confirmation, que le « changement » susurré par Obama n’était qu’une tactique et une opération de relations publiques et très loin d’un engagement américain pour la paix ou le respect du droit international.
L’expansion par Obama des opérations de « forces spéciales » vers au moins 75 pays et le rôle plus actif de l’OTAN dans les guerres à travers le monde n’ont fait qu’augmenter les enjeux dans le monde entier.
Tous les membres actuels et futurs de l’OCS voient leur salut dans l’unité et un soutien mutuel tandis qu’ils sont confrontés à une puissance militaire blessée et dangereuse qui ne montre aucun signe de réduction de sa présence militaire ou de son agressivité, ni de sa doctrine illégale de recours à la force militaire.
Mais l’échec des Etats-Unis et de l’OTAN dans leur occupation de l’Afghanistan représente à la fois une opportunité et un problème pour les pays voisins. En Irak, depuis que les Etats-Unis ont baissé le niveau de violence de leur occupation, ce sont les pays voisins qui vendent aux gouvernement, propriétaires et entreprises les biens dont ils ont besoin pour reconstruire leur pays et leurs existences.
L’occupation aura été l’occasion d’une énorme mais éphémère ruée vers l’or pour les sous-traitants de l’armée américaine, mais le résultat final est que personne en Irak ne veut traiter avec une entreprise américaine ou acheter des produits américains. La grande masse des importations irakiennes en 2009 sont venues de la Turquie, de l’Iran, de la Syrie, de la Chine et de l’Union Européenne.
Une situation similaire est prévisible en Afghanistan. La Chine y exploite déjà de grandes mines et transporte le fer et le cuivre en toute sécurité par camion sur les mêmes routes de montagne où les convois de ravitaillement de l’OTAN sont régulièrement attaqués et incendiés.
Mais la plus grande valeur économique et stratégique de l’Afghanistan pour ses voisins ne sont pas ses ressources, ou son économie locale, mais sa position géographique, au carrefour de leurs échanges par voie terrestre, particulièrement pour le pétrole Iranien vers la Chine et le pétrole et gaz russes vers le Pakistan.
Comme dans le passé, différents groupes ethniques en Afghanistan feront du commerce avec leurs alliés naturels des pays voisins, les Pashtuns avec le Pakistan, les autres avec l’Iran et ainsi de suite.
Un gouvernement central pas trop autoritaire pourrait arbitrer les intérêts des différentes parties avec sagesse et gagner un respect qui serait le garant d’une stabilité. C’est ainsi que l’Afghanistan a connu la paix dans le passé et ce sera probablement ainsi qu’il le connaitra dans l’avenir.
La candidature de l’Inde à l’OCS peut surprendre les Américains, encore plus que la candidature de l’Afghanistan à un poste d’observateur. Vu de l’Inde, les bénéfices d’une relation étroite avec les Etats-Unis en déclin diminuent et les avantages d’une amitié avec la Chine augmentent.
En regardant vers l’avenir, l’Inde a toutes les raisons de se rallier à l’OCS. Les Etats-Unis ont fait de gros efforts pour courtiser l’Inde et en faire un allié, en exploitant les vieilles tensions entre la Chine et le Pakistan, mais lorsque l’OTAN finira par plier bagages et quitter l’Afghanistan, l’Inde ne peut pas se permettre de se retrouver exclue du nouvel ordre régional.
Alors l’adhésion de l’Inde à l’OCS est cruciale, malgré le soutien des Etats-Unis à son programme nucléaire et les récentes négociations sur les armes.
Les officiels US pensaient pouvoir remporter un contrat pour Boeing et Lockheed Martin dans la vente de 125 avions de combat pour un montant de 11 milliards de dollars, mais l’Inde a finalement décidé d’acheter les avions à l’Europe.
Alors que les Etats-Unis ont perdu leur avance technologique dans d’autres domaines, celui des armes a constitué une exception dans une industrie américaine généralement morose et un composant essentiel de la politique étrangère du pays.
Au lendemain de la première guerre du Golf en 1991, la supériorité des armes américaines a été promue par le Pentagone et ses relais dans les médias occidentaux afin de provoquer une ruée vers l’achat d’armes Made in USA. Les pilotes américains ont reçu les instructions de faire voler leurs avions directement du Koweit au Salon de l’Aéronautique à Paris sans même les nettoyer, pour les exposer dans toute leur gloire et leur crasse à des clients potentiels.
La période qui a suivi la guerre froide a été une période de records de ventes pour les marchands d’armes américains. En 2008, les ventes d’armes des Etats-Unis représentaient 68 pour cent de l’ensemble des ventes d’armes dans le monde, ce qui a fait dire à l’éminent analyste Frida Berrigan que le « marché global de l’armement » était en réalité un terme erroné pour désigner ce qui était devenu un monopole américain dans le commerce de la mort et de la destruction.
Peu avant sa mort en 2010 , Chalmers Johnson a expliqué dans son livre « Dismantling the Empire » que le complexe militaro-industriel corrompu des Etats-Unis a lapidé son avance technologique en matière d’armement qu’il avait héritée de la Guerre Froide. L’inflation, la bureaucratie, l’arrogance, la corruption et le favoritisme produisent désormais des armes à des prix absurdes et mal adaptés aux guerres réelles.
Le F-22 peut voler plus haut et plus vite que le F-16 (lancé en 1976) ou que le A-10 (8 millions de dollars pièce, contre 350 millions pour le F-22), mais il a été construit pour des combats aériens en altitude contre des avions de combats imaginaires que les Russes ont eu la sagesse de ne jamais fabriquer, et pas pour un soutien au sol comme dans une vraie guerre.
L’avion est « trop rapide pour qu’un pilote puisse détecter des cibles tactiques » et « trop fragile et inflammable pour supporter des tirs sol-air ». Le F-35, encore plus récent et dont le programme de recherches et développement a été lancé en 1994, fut construit pour contrer un avion Russe dont le programme était déjà abandonné depuis... 1991.
La véritable « prochaine génération » d’avions de combat sont les Typhons Européens et les Rafales que l’Inde a choisis. Ils se sont révélés plus performants que les F-16 et les F-18 lors des tests menés par les Indiens et leurs experts ont déclaré à Al Jazeera que la technologie des avions US avait un « retard de 10 ans sur celle des Européens ». Malgré des dépenses militaires équivalents à l’ensemble du reste du monde, les Etats-Unis ne fabriquent rien de comparable.
Dans son appel passionné en faveur d’un démantèlement du complexe militaro-industriel US, Johnson a conclu, « notre destin est de nous ruiner au nom de la défense nationale ». L’ironie suprême dans toute cette histoire est que notre argent est dépensé dans des armes qui ne sont même pas efficaces.
Et pour cette raison, comme l’a clairement démontré Chalmers Johnson, nous payons le prix des « occasions ratées » - la plupart d’entre nous en tous cas. Nous vivons dans le seul pays industrialisé qui ne fournit aucune couverture médicale à des millions de ses citoyens et le seul pays qui contrôle une minorité défavorisée en emprisonnant des millions de jeunes mâles et en employant des millions issus des populations rurales, sans autres ressources, pour les garder en prison.
Lorsque nous pensons à l’Allemagne nazie ou à l’Union Soviétique, nous ne les jugeons pas sur le niveau de vie qu’ils fournissaient à leur classe moyenne privilégiée mais sur la manière qu’ils traitaient leurs ennemis et leurs minorités. Si nous devions appliquer avec objectivité à notre propre société les mêmes critères que nous appliquons aux autres, nous découvririons que nous sommes bien plus proches du « totalitarisme inversé » de Sheldon Wolin que des euphémismes à usage interne si chers à nos politiciens et nos appareils de propagande.
La décision du Pakistan de s’allier avec la Russie et la Chine est moins surprenante que celle de l’Inde. Le rôle du Pakistan dans la soi-disant « guerre contre le terrorisme » des Etats-Unis lui a permis de toucher des fonds pour construire de nouvelles armes nucléaires et remplir les poches de hauts fonctionnaires tels que « M. Dix Pour Cent », le Président Zardari.
Mais l’expansion de la guerre US en Afghanistan vers le Pakistan a sérieusement déstabilisé le pays et est en train de retourner le pays contre tout partenariat présent ou futur avec les Etats-Unis.
Récemment, Imran Khan, le très respecté ancien capitaine de l’ équipe de cricket du Pakistan, a dirigé une occupation pacifique par des dizaines de milliers de gens d’une autoroute près de Peshawar, pour bloquer les convois de l’OTAN en route vers l’Afghanistan, en signe de protestation des frappes par drones effectuées par les Etats-Unis. Khan et son parti Tehreek-e-Insaf (Mouvement pour la Justice) est probablement le meilleur espoir pour le Pakistan, mais il ne sera ni une marionnette ni un allié des Etats-Unis.
Au 20ème siècle, les Etats-Unis ont adroitement ramassé les morceaux de l’empire britannique mourant pour fabriquer discrètement le leur. Partout dans le monde, les habitants des ports ont pris l’habitude de voir des drapeaux et des uniformes américains, tout comme leur grand-parents avaient pris l’habitude de voir des drapeaux et des uniformes britanniques.
La question sans réponse du moment est de savoir quels seront les drapeaux et les uniformes que nos petits-enfants verront. Espérons que l’OCS jouera un rôle constructif dans une transition pacifique vers un monde où les gens ne verront que les drapeaux et des uniformes locaux – ou pas de drapeaux ni d’uniformes du tout...
Pendant que le ministre des affaires étrangères afghan, Rassouf, rentrait de Beijing pour rencontrer à Kaboul le Premier Ministre indien, Manmohan Singh, le président Zardari du Pakistan s’envolait vers Moscou pour rencontrer des officiels russes.
Une chose est sûre, c’est qu’ils veulent tous voir les Etats-Unis quitter l’Afghanistan, et le problème des Etats-Unis est que l’OCS et ses membres seront prêts pour ramasser les morceaux, que ce soit cette année, l’année prochaine ou dans dix ans.
Nicolas J S Davies
Nicolas J S Davies est l’auteur de « Blood On Our Hands : the American Invasion and Destruction of Iraq ».
Source : legrandsoir.info, le 10 juin 2011.
Željko Lesar
Željko Lesar est né en 1961 à Čakovec où il a achevé l'école élémentaire et secondaire. Plus tard il s'inscrit à l'Académie des Beaux-arts de Zagreb où il obtient son diplôme dans la classe du professeur Jordan. Depuis lors il expose sans discontinuer, principalement dans des expositions personnelles en Croatie mais aussi à l'étranger. Il est membre de l'Association croate des artistes indépendants (HZSU) et de l'Association croate des artistes plasticiens (HDLU). Željko Lesar vit et travaille à Zagreb.
Željko Lesar fait partie des 48 artistes croates dont les oeuvres seront bientôt vendues aux enchères pour venir en aide aux enfants touchés par la catastrophe du Japon.
Lieu : Ecole des Arts appliqués et du design "Izidor Kršnjavi", Place du maréchal Tito.
Date de la mise en vente : le 13 juin.
Encore mille merci !
Branimir Bilić, le journaliste qui a remercié "2011" fois le Pape en informant sur la récente visite de Benoît XVI en Croatie.
Du reste, les deux jours de visite pontificale ont monopolisé 95% du temps d'antenne de la Télévision nationale croate. Bien sûr on n'a pas demandé aux non catholiques s'ils souhaitaient voir un peu autre chose, après tout eux aussi paient leur redevance télé.
Source : e-novine.com
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