Après l’alternance du parti au pouvoir, la classe dirigeante se prépare pour un nouveau grand examen : le référendum de l’entrée dans l’UE. Pour la classe dirigeante l’entrée officielle dans l’UE signifiera la fin symbolique du projet de transition par lequel la Croatie est enfin passée de « l’est » vers « l’occident » et est devenue partie intégrante du « monde développé ». Paradoxalement cette dernière enjambée vers le monde développé va justement nous coûter, ou nous a déjà coûté, ces industries qui il y a quelques décennies nous avaient extirpés de la boue profonde du sous-développement et de l’extrême misère dans lesquelles nos contrées se sont débattues pendant des siècles.
Pas de meilleur exemple que les chantiers navals dont la mise en faillite est une condition de l’entrée dans l’UE, la destruction consciente des chantiers navals n’étant jamais que le dernier clou dans le cercueil de la production croate. Les processus de la privatisation, qui avaient déjà débuté à l’époque de l’ex-Yougoslavie par un processus inévitable de concentration du capital, ont mis la Croatie en état d’entière dépendance et de « dynamique du sous-développement ». Vingt années de « transition » ont fait voler en éclat toutes les illusions des travailleurs quant à l’arrivée magique de la civilisation et de la prospérité dans le sillage du capital occidental. Cependant, pour les idéologues du système il existe toujours un jalon de plus, une « réforme douloureuse » qu’il faut appliquer pour que la prospérité s’instaure enfin. Cette fois le jalon en question est l’entrée formelle dans l’UE. Nous, de notre côté, nous sommes censés croire que si cette politique n’a pas encore porté ses fruits il ne nous manque pourtant rien d’autre que d’en reprendre et alors tout sera en ordre.
Le fait que les intérêts de la classe locale compradore et du capital impérialiste se heurtent à ce point aux intérêts de la majorité a contraint la classe dirigeante à recourir à une campagne particulièrement agressive par laquelle elle veut réinsuffler la foi dans les mythes de « la transition ». Que cette campagne soit tellement imbécile au point d’insulter l’intelligence montre combien sont à la peine les menteurs professionnels pour construire un récit si contraire à la vérité. Outre qu’ils vont dépenser des millions de nos deniers pour nous désinformer, les apologètes de l’impérialisme n’ont de cesser de brouiller les faits en racontant que la Croatie « a depuis toujours appartenu à l’Europe ». L’Union européenne n’est pas le prolongement d’une réalité géographique sinon la communauté politique du capital d’Europe occidentale poursuivant les missions historiques spécifiques d’aider à l’élargissement de ce capital aussi bien dans les pays en transition de l’Europe périphérique que dans le reste du monde.
Ces dernières décennies, l’UE est devenue l’instrument adéquat pour contourner le processus démocratique lors de la mise en place de mesures dirigées contre le peuple. Cette Europe dont parlent nos libéraux autochtones n’a jamais existé. Seuls ont existé les pays colonialistes et impérialistes du centre européen et les pays non développés de la périphérie européenne. L’administration coloniale ne peut nous tirer de la boue du provincialisme car nous avons toujours été dans cette boue du sous-développement du fait que les colonialistes d’Europe occidentale alliés aux compradores locaux nous ont pillés. Dans la « boue balkanique » du sous-développement et de l’arriération nous poussent justement ceux qui saluent euphoriquement l’avènement du contrôle politique de l’UE sur la Croatie.
De pair avec la campagne imbécile des compradores locaux se développe la contre-campagne tout aussi imbécile des chauvinistes locaux et des théoriciens du complot. Au lieu des impérialistes, cette nef des fous tente de désigner comme ennemis les noirs, les Serbes, les homosexuels, etc… Au lieu d’identifier les intérêts de classe de la bourgeoisie, ces gens divaguent sur des complots maçonniques. Leur but n’est pas d’instaurer des relations plus égales entre les peuples ni une société plus juste. Eux rêvent encore du capitalisme « grand-croate » où les travailleurs seront exploités par le Croate catholique. Il est heureux que l’âge d’or de l’utopie du « capitalisme national » soit révolu depuis longtemps. Ces mouvements n’ont alors plus d’autre utilité que de servir à l’UE pour dénoncer toute critique comme une errance fondamentaliste et raciste dont on voit mal qui cela pourrait intéresser. Il ne faut donc pas s’étonner si les institutions européennes les financent.*
Pour le mouvement révolutionnaire la question essentielle ne porte pas sur l’entrée de la Croatie dans l’UE. Il lui faut tenir avec cohérence les positions d’opposition à l’Union européenne en général. En ce sens il est assez exact de dire que l’entrée formelle dans l’UE ne changera pas fondamentalement la donne parce qu’il y a déjà bien longtemps que la position dépendante de la Croatie a été établie. Cela signifie aussi que cela ne va être nullement plus simple de lutter contre l’UE « de l’intérieur », ce dont fantasment encore les libéraux de gauche. La lutte contre l’UE n’en est pas moins justement maintenant le point majeur de la stratégie révolutionnaire. Non pas parce que cette stratégie aurait à subir de fortes modifications selon que la Croatie fasse formellement partie de l’UE, mais parce que la lutte contre l’entrée dans l’UE fait déjà partie intégrante de la lutte contre l’UE et l’impérialisme en général.
Source : crvena-akcija.org, le 5 janvier 2012.
A propos de l'Action rouge
* Il est bien dommage que l’article n’étaye pas cette affirmation, N.d.T.
Commentaires
Blague à part, ce que cette analyse ne voit pas ou ne veut pas voir, c'est que les puissances capitalistes du "centre de l'Europe" sont elles-mêmes confrontées à un capitalisme encore plus dynamique et conquérant, venu de l'Est, et que ces puissances sont aussi en proie à une certaine désindustrialisation. Donc, dans un certain sens, on est tous dans le même bateau, ce qui justifie malgré tout l'idée d'Europe.
Cela dit, il est clair qu'on peut s'inquiéter de la forme qu'a prise cette Europe.
Tant de bonnes nouvelles... Je crois que c'était plus une fée qu'une étudiante.
J'ai assisté il y a peu à un exposé fait par une étudiante croate sur l'entrée dans l'UE. Les arguments de la campagne officielle, selon elle, étaient les suivants: la possibilité d'entrer en UE sans contrôle aux frontières, le coût des communications téléphoniques qui baisseront, la possibilité pour les producteurs croates de vendre leurs produits en UE plus aisément et des investissements massifs de l'UE pour moderniser les routes croates. Il n'y avait aucun élément défavorable à l'entrée dans l'UE.