Sara Perrin : une actrice sur la scène des Balkans
La Mulhousienne Sara Perrin a quitté l’Alsace à sa majorité pour vivre pleinement sa passion avec le théâtre, à Paris d’abord, dans les Balkans ensuite. Elle a osé créer un festival de théâtre francophone en Bosnie-Herzégovine.
Ça s’est vraiment passé comme ça. Vraiment ? Vraiment, assure-t-elle. Premier acte. Au printemps 2004, Sara Perrin, jeune fille aux yeux bleus pailletés d’or, visage dur et tendre, se perd dans les méandres de la bibliothèque du centre Pompidou, à Paris. « Je me suis retrouvée dans le rayon de l’ex-Yougoslavie. Je venais de voir un film de Kusturica, j’ai emprunté une pièce de théâtre. Et j’ai trouvé ça extraordinaire ».
Pour les amateurs de détails, précisons que Sara a alors dévoré La chute , de Biljana Srbljanovic, et Miracle au Chargan, de Ljubomir Simovic.
« Ce qui m’a plu ? Le style, le propos. Ces pièces sont motivantes. J’ai longtemps eu des problèmes avec le théâtre contemporain en France : le nombrilisme, l’intellectualisme à outrance… Là, ça répondait à mes attentes. En ex-Yougoslavie, le public est très populaire, et les auteurs ne peuvent pas le bouder… »
Puisque Sara est du genre passionné, les coups de cœur de la bibliothèque Beaubourg infléchissent sa vie : elle se procure d’autres traductions de pièces des Balkans par le biais d’une association grenobloise, apprend le serbo-croate et décide de consacrer son mémoire de master, à la Sorbonne, à, je cite, l’état de crise dans la nouvelle dramaturgie de l’ex-Yougoslavie. « J’aimais bien le sourire en coin des profs quand je leur parlais de mon sujet… »
Née à Mulhouse il y a 28 petites années, Sara Perrin affronte planches et projecteurs depuis ses cinq ans. Ses parents (son papa, Louis, est artiste, plus particulièrement sculpteur) l’ont orientée vers le théâtre parce qu’elle était, dit-elle, « maladivement timide ». Ils ont bien fait. À 11 ans, elle est élève au conservatoire de Mulhouse. En seconde, en spécialisation théâtre au lycée Camille See de Colmar. Le bac en poche, elle rejoint Paris et le cours Florent.
« Les jeunes comédiens sont très vulnérables »
Elle joue aussi, bien sûr, en dehors des cours ; elle expérimente le spectacle de rue, le mime. Et se soucie d’engranger du savoir autant que de cultiver un instinct : « Parallèlement au Florent, je me suis inscrite à la Sorbonne, en études théâtrales, parce qu’il me manquait de la théorie. Souvent, les metteurs en scène ont un pouvoir sur les acteurs. C’est bien que les jeunes comédiens aient du répondant. Ils sont très vulnérables : ils croient ce qu’on leur dit et sont en demande de tout… »
Deuxième acte, deux ans après la révélation de Beaubourg. En juillet 2006, Sara participe à la scène off du festival d’Avignon avec L’inattendu, de Fabrice Melquiot, dans lequel elle occupe seule la scène. « Des lectures étaient consacrées au théâtre des Balkans. C’est là que j’ai décidé de partir : juste après, en août, je me suis rendue en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro, en Serbie… Et j’ai cherché des stages».
Elle en dégotte un, de plusieurs mois, au centre culturel français de Mostar (Bosnie-Herzégovine). Il s’agit de proposer des ateliers de théâtre en français à des lycéens. « J’étais dans le seul lycée mixte croate-musulman-serbe de Mostar. Mon cours était un des rares espaces où ces élèves se mélangeaient ». L’histoire est jolie : sous les masques du théâtre, les différences sont abolies. « Ces jeunes ne se tapent plus dessus, mais ils ne se connaissent pas. Un gamin croate n’a pas la même vision de sa ville qu’un gamin musulman. Les frontières ne sont pas visibles, mais elles existent, clairement ».
Débute le troisième acte, et une vie à cheval entre les Balkans et la France, non plus l’Alsace mais Midi-Pyrénées, « là où le climat est le plus proche de Mostar ! » La belle a trouvé l’amour en Bosnie. Et pour approfondir ce travail artistique avec la jeunesse des Balkans, elle a fondé carrément un festival : le FêTèF, pour Festival de théâtre francophone, monté avec l’aide de l’ambassade de France à Sarajevo et par le biais d’une association, Ba, créée à cet effet.
La première édition a eu lieu le 31 mai 2009 : cinq pièces jouées en une journée, dans le théâtre de marionnettes de Mostar, par cinq groupes venus non seulement de cette ville mais aussi de Sarajevo et Trebinjec. « Ça me semblait intéressant de réunir des groupes de différents endroits de Bosnie autour d’un intérêt commun qui est le français. De leur donner l’occasion de faire quelque chose ensemble, dans un lieu culturel ». Bilan : quelque 200 spectateurs qui se succèdent dans une salle d’environ 90 places. « Sur Mostar, pour un événement francophone, c’est vraiment beaucoup ».
La seconde édition s’est déroulée il y a un peu plus de deux mois, sur deux jours, ces 29 et 30 avril 2010. Un groupe de lycéens du Gers y a participé. « Dans le futur, j’aimerais bien faire venir des groupes d’Alsace », projette Sara. « Maladivement timide », vraiment ? Peut-être, avant que le théâtre ne s’en empare.
Hervé de Chalendar
Source : lalsace.fr, le 5 juillet 2010.