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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 03-05-2010 à 15:24:32

Tariq Ali : les politiciens dans les Balkans sont totalement inutiles

 

 

Note du traducteur : j'ai passé la première partie de cette interview, pour n'en garder que ce qu'il pense sur les Balkans.

 

[...]

Votre conférence à Zagreb a pour thème : "Un plaidoyer pour le socialisme". Quel sens cela a-t-il de discuter du socialisme alors qu'il est clair pour tout le monde que la gauche politique n'existe plus et qu'en dépit de la crise actuelle le capitalisme va survivre ?

- Je suis d'accord, si aucune alternative n'apparaît le capitalisme va survivre. Aussi effrayant qu'il soit, sans une politique alternative cohérente, aucun tort ne peut lui être fait. Je pense qu'il n'y a pas de divergence sur ce point. Ce qui peut être fait est de préparer une alternative, rassembler autant d'idées que possible, les exposer et en discuter. Il ne faut pas se faire d'illusions, le capitalisme deviendra encore pire - regarder seulement ce qui se passe en Grèce ou dans les pays baltes, en Lettonie, en Estonie... C'est une catastrophe complète, le chômage massif, la fin de tout.

 

 

L'âge d'or de Tito


Et la situation dans les Balkans est loin d'être idéale. En Serbie et en Bosnie il existe un nombre énorme de gens sans travail, l'économie informelle prévaut, les organisations criminelles exercent une immense influence sur les structures politiques et déterminent le cours des événements.

Je suppose que la situation en Croatie n'est guère différente. C'est pourquoi il me paraît très important de commencer à débattre concrètement des alternatives qui s'offrent à nous, que pourraient être les alternatives au sein du capitalisme, en dehors du capitalisme, afin d'examiner toutes les options.

Du reste, tous ces thèmes ont été retirés de l'ordre du jour depuis bien longtemps et il me semble essentiel de se remettre à en discuter.


Est-ce que le socialisme est la solution ? Pouvons-nous parler du socialisme et ignorer tout le mal qu'il a entraîné avec lui ?

- La première grande expérience avec le socialisme entamée après la révolution de 1917 a tristement échoué. Nous sommes tous conscients qu'il s'agit d'une expérience ratée. Cependant le capitalisme a failli au moins 30 fois durant les 200 dernières années et personne ne le considère comme un projet raté.

Le socialisme, en dépit de tout, me semble être une option bien plus acceptable, à condition de tout reprendre à zéro, conscients des erreurs commises et désireux d'y remédier. J'ai discuté avec nombre de gens à Sarajevo et à Belgrade qui parlent de l'époque de Tito comme d'un âge d'or. Ce sentiment est fréquent et il provient de ce que pour les gens certaines choses allaient de soi, qu'ils avaient une sécurité sur laquelle ils pouvaient compter. De cela il n'en est plus rien. Je ne suis pas sûr que la plupart des gens dans les Balkans et en Europe de l'Est rejettent entièrement cette période. Il me semble plutôt qu'ils se souviennent de beaucoup de bonnes choses. Je suis d'accord, ce n'était pas idéal. Il manquait la responsabilité démocratique, la possibilité de critiquer en public, de débattre en public. Tout cela était des erreurs du système. Mais je crois qu'il aurait été possible d'y remédier.

 

 

Approfondissement de la crise


Vous avez mentionné la Grèce. Que va-t-il se passer là-bas ?

- Il est difficile de le dire à l'heure actuelle. Le Gouvernement a récemment été élu, ce qui signifie qu'il est peu probable que les gens souhaitent rapidement le renverser. La droite en Grèce a été sage, elle savait que la crise allait s'approfondir et elle a donc organisé des élections en sachant qu'elle les perdrait. Elle a laissé d'autres se démerder avec les problèmes. Un grand nombre de gens a conscience des manoeuvres qui se jouent. Cependant les conditions posées à la Grèce auront pour résultat une hausse du chômage. La question est de savoir si les citoyens de là-bas vont attendre cela les bras en l'air et se rendre ou s'ils vont se battre.

S'ils se décident pour la lutte, la question est de savoir comment la lutte va commencer et comment elle s'achèvera, en sachant qu'il n'y a pas de grande alternative politique. Peut-être que quelque chose de nouveau va poindre. La Grèce est un pays où, tous les facteurs pris en compte, de grands mouvements sociaux pourraient avoir lieu. Ce type de mouvements qui conduisent à la création de nouveaux et puissants partis qui peuvent concourir pour le pouvoir. Parmi tous les pays européens, c'est l'arène la plus vraisemblable pour quelque chose de la sorte.

 

 

Des blocs régionaux


Qu'en est-il du renforcement de la droite radicale ? On ne peut ignorer, par exemple, le cas de la Hongrie. A quel point l'Europe est-elle responsable ?

- Ces choses arrivent en période de crise, c'est-à-dire lorsque les partis du centre n'ont aucune solution pour sortir de la crise et lorsqu'il n'existe pas de gauche. J'observe ce qui se passe en Hongrie, mais aussi en Grande-Bretagne, en France, en Italie : dans les rues de Naples on a commencé à brûler des gens. Je dirais qu'il s'agit d'un instant critique qui ne fait que confirmer que l'Europe est une piètre entité sans utilité. Ces choses arrivent lorsque au lieu du modèle social-démocrate on accepte le système banquier. Les priorités changent alors fortement. Cependant, les gouvernants ont préféré suivre l'Amérique du Nord, ce fameux modèle anglo-saxon. Maintenant ils doivent faire face aux conséquences, à l'effondrement du système pour lequel ils n'ont pas de réponse.

Quelle est votre solution ?

- La création de blocs régionaux ; et je ne pense pas seulement en Europe, mais aussi dans le monde. C'est la seule façon pour que la société aille de l'avant. Dans le cas des Balkans cela me paraît une solution évidente, une sorte d'union post-yougoslave, une confédération, appelez cela comme il vous plaira.

L'effondrement de la Yougoslavie a été chèrement payé. Pensez-vous réellement que les citoyens pourraient croire en quelque chose du genre ?

- Je ne vois pas d'autre solution. Lorsque je dis "Yougo-union", je ne pense pas nécessairement à une solide alliance, mais plutôt à une confédération entre pays égaux, sur un même pied, dans laquelle personne n'aurait à redouter qu'en pâtisse sa souveraineté nationale.

Je pourrais maintenant être ironique et dire que je suis parmi ceux qui ont profité de l'effondrement de la Yougoslavie. Mes livres sont édités dans quatre pays, pratiquement dans la même langue, et c'est grotesque. Quelque chose doit être fait si on veut aller de l'avant, et non pas plutôt créer des barrières et des frontières artificielles dans la société, l'économie et la culture. Non seulement dans les Balkans, mais partout dans le monde les pays doivent se tourner vers la création de blocs régionaux. Mais pour ce faire, il faut une volonté politique.

Sur base des expériences glanées par votre séjour dans la région, quelle image en avez-vous ?

- Les politiciens dans les Balkans sont presque partout complètement inutiles. A Belgrade j'ai été invité dans une de ces émissions très populaires et parfaitement stupides où des filles superbes, magnifiquement habillées, posent des questions d'une bêtise sans borne. Ainsi une des animatrices m'a demandé : "Donc, maintenant vous voilà venu dans notre pays. Avez-vous rencontré un de nos chefs politiques ?" Je lui ai répondu : "Ecoutez, si j'avais voulu discuter sur la criminalité, j'aurai discuté avec des criminels, si j'avais voulu conclure une affaire, je me serais adressé à des gens d'affaires. Je n'ai pas besoin de politiciens comme de proxénètes".

D'abord elle s'est contentée de rire, ensuite cela s'est concrétisé dans sa tête, puis elle s'est affolée en toute apparence. Après cela elle m'a déclaré qu'encore personne ne lui avait dit une pareille chose durant l'émission.

C'est là mon opinion sur les politiciens dans les Balkans - pour autant que je comprenne, ils ne font que s'enrichir, raison pour laquelle ils entrent dans la politique. La seule différence dans le changement des diverses options consiste à ce que divers groupes, diverses bandes viennent et s'enrichissent. La politique ne change pas, elle est toujours la même et ne tient aucun compte de la vie des gens ordinaires.

 

Source : kontra-punkt.info, le 3 mai 2010.