Zoran Ašanin, le président de l'Association des anciens détenus de
Voïvodine sur Goli Otok, évoque la création du camp, le sommet de l'Etat
qui l'avait conçu et mis en oeuvre ainsi que les témoignages des
personnes ayant assisté aux tortures.
Les plus grands héros de la lutte communiste ont fini sur Goli Otok. En
revanche, l'Udba n'avait pas craint d'engager des Oustachis, qui sont
devenus les tortionnaires les plus brutaux dans ce camp et dans les
prisons disséminées au travers de l'ex-Yougoslavie. C'est par ces mots
que Zoran Ašanin, le président de l'Association des anciens détenus de
Voïvodine sur Goli Otok, décrit la situation à l'époque de la
Yougoslavie de 1948, lorsque fut créé, comme il le dit, le camp de
concentration le plus brutal dans l'histoire moderne. Il souligne que la
Résolution du Bureau d'information et le conflit entre Tito et Staline
n'étaient qu'un prétexte pour que Tito règle ses comptes avec ses
anciens compagnons d'armes. Cependant, les tourments infligés aux
détenus politiques ont à nouveau refait surface et cela après les
déclarations publiques de Jovo Kapičić, l'un des chefs de l'Udba ainsi
que le créateur de Goli Otok.
Zoran Ašanin explique qu'en Voïvodine environ 200 jugements pour la
réhabilitation des détenus sur Goli Otok ont été confirmés et que 600
demandes sont en cours de procès, tandis qu'en Serbie on en compte 2000.
Notre interlocuteur estime que ces jugements vont modifier l'histoire
telle que nous la connaissons.
Comment tout cela a-t-il débuté ? D'après Ašanin, les nouveaux
dirigeants communistes avaient commencé à s'enrichir sans vergogne au
lendemain de la guerre. Cela déclencha des protestations de la part des
véritables patriotes et des intellectuels, qui se sont retrouvés sur
Goli Otok, déclare Ašanin.
- Le conflit entre le parti communiste yougoslave et son homologue
russe a bien eu lieu, mais il n'y avait pas de raison pour que
le peuple entier s'embarque là dedans, dit Ašanin.
C'est armé de connaissances préalables sur les techniques brutales de
torture que plus tard on a veillé à anéantir les esprits et les corps
des personnes détenues sur Goli Otok.
- D'après les affirmations de Jefto Šašić, le commandant du KOS, lequel a
envoyé 9000 militaires sur Goli Otok, seuls cinq pour-cent des gens y
ont été incarcérés en conséquence du Bureau d'information. Les autres
ont été emprisonnés parce qu'ils avaient élevé la voix contre les
privilèges et l'enrichissement - prétend Ašanin.
Lorsque le moment est venu de régler les comptes avec les "réfractaires", Josip Broz Tito a engagé Juraj Špiler, un agent provocateur de sinistre mémoire à l'époque du Royaume de Yougoslavie. Durant la guerre il avait été engagé dans la gestapo dans le Banat. Après la guerre il fut arrêté.
Ensuite il a été espionné par le membre de l'Udba qu'était Tihomir Acketa, une de mes connaissances, lequel ayant appris de quel genre d'homme il s'agissait en informa Josip Broz Tito. Špiler resta en prison jusque 1948, toujours selon Ašanin.
C'est alors, dit-il, que Tito engage Špiler pour que celui-ci se remette
à l'ouvrage, en tant qu'éminent expert pour la torture. Et il
l'amène dans la ville de Titov Vrbas afin qu'il enseigne aux officiers
du KOS comment torturer et diriger les enquêtes.
- Ce dernier s'en vient alors dans la Fruška gora, où devant ses élèves, les agents
provocateurs de l'Udba, il torturera Andrija Hebrang et Sreten Žujović.
S'agissant de Žujović, il le démolira aussitôt et s'en excusera auprès
de Tito et des camarades. Hebrang qui n'avait pas voulu demander pardon
sera exécuté à Fruška Gora. A partir de 1954 on perd toute trace de
Špiler - commente Ašanin.
Outre Jovo Kapičić, qui en tant que responsable de l'Ozna était chargé
des camps, on engagea également pour Goli Otok : Ante Raštegorac,
Đorđije Nešić, Savo Pređa, Krcun, Vojo Biljanović, Džemal Bijedić, Ranko
Balorda... Toutefois, des Oustachis et des Jeunes musulmans, membres de
la funeste divison Handschar, ont été amenés à participer aux tortures les plus
sauvages sur Goli Otok et dans les prisons au travers de la
Yougoslavie, affirme Ašanin. Environ 250 Oustachis et 50 Jeunes
musulmans furent conduits au monastère de Dobrićevo, à quelques
kilomètres de Bileća. Là on les a préparés pour rejoindre les camps, où
ils se présenteraient en tant que membres du Bureau d'information en vue
de maltraiter les détenus sur Goli Otok. En récompense, la peine de
mort à laquelle ils avaient été condamnés fut commuée en 25 ans de
bagne. On leur avait promis dix ans sur Goli Otok mais tous furent
libérés au bout de cinq ans.
Boro Viskić, alias Ratibor Mikulić, était un lieutenant de l'Udba ayant
été transféré sur Goli Otok. Dans sa jeunesse il avait été un Oustachi,
raison pour laquelle il avait été arrêté. Vilko Fijumen, un officier
oustachi, est apparu en 1951 à Sveti Grgur en tant que responsable de
baraquement. Tugomir Kovačević, enseignant de Bosnie, célèbre oustachi,
fut l'un des pires scélérats sur Goli Otok. A ses côtés se trouvaient
Anđelko Tvrtković et Rajko Kopavnik. Citons encore Stevan Nikolić Puhalo
et Nikola Plećaš. En ce qui concerne la division Handschar, les gens
sur Goli Otok ont été torturés par Fikret Mandžuka, Omer Pašić, Hamza
Galijašević, Fadilj Duraković, énumère Zoran Ašanin. C'est ce que rapporte le témoignage de Fadilj Duraković, ajoute-t-il.
S'agissant des hauts fonctionnaires, Zoran Ašanin prétend que Jovo
Kapičić a assisté à l'une des premières raclées de détenus ayant
débarqué sur Goli Otok.
- Kapičić et Vladimir Rolović étaient venus pour voir comment se
comportaient les détenus et leurs agents provocateurs ; ils ont observé
tout cela du haut d'un monticule. Dans la première formation à être
passée par la "haie", 27 personnes ont succombé aux coups
violents. Toutefois, Kapičić affirme aujourd'hui qu'il n'y a pas eu de
morts. C'est alors que Kapičić et Rolović ont été retirés. Ensuite est
venu Krcun afin que cela ne se reproduise plus. Effectivement l'idée
n'était pas de tuer, mais bien d'anéantir les esprits. De façon à
répandre la peur encore bien des années plus tard - signale Zoran
Ašanin.
Notre interlocuteur nous dit que Jovo Kapičić a également croisé Blažo
Raičević, l'une des premières victimes de Goli Otok.
Amoché, Blažo Raičević avait été amené devant Jovo Kapičić par Steva
Avramov, un témoin. Kapičić déclara : "Blažo, regarde à quoi tu ressembles
! Permets que l'on te renvoie à la maison", puis il lui offrit des
cigarettes. Mais Blažo a frappé le paquet si bien que les cigarettes se
sont répandues par terre. Ils ont voulu le tabasser mais Kapičić ne l'a
pas permis. Le soir Raičević a été tué - devant son fils. Ils lui ont
sauté à pieds joints sur la poitrine - déclare Ašanin.
Les gens qui à bord du sinistre navire "Punat" étaient arrivés sur Goli
Otok éprouvent encore du mal à parler. Evoquant les tortures au moyen de
l'eau versée dans les narines, au moyen de la "tinette", du transport
des pierres, etc..., Ašanin les déclare importantes si l'on veut révéler
et préserver la vérité. Le père d'Ašanin, Radivoje, a passé trois ans
sur Goli Otok. De plus, il affirme que c'est là que sont morts ses deux
oncles. Leurs corps n'ont jamais été retrouvés.
Source : politika.rs, le 29 mars 2010.