Avantage Serbie, service à suivre
Par Pierre-Marie Faivre, assistant de recherche à l'IRIS
A l'image des résultats encourageants du tennisman Novak Djoković ou des footballeurs Nemanja Vidić et consort dans leur parcours de qualification en Coupe du Monde, la diplomatie serbe a bouclé l'année 2009 sur des avancées notables dans sa quête de reconnaissance sur le plan international. Qu'il s'agisse de sa candidature pour intégrer l'Union européenne ou le réchauffement des relations avec l'Albanie, la politique extérieure du président Boris Tadić se révèle payante. Cependant, les stigmates de la guerre et la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo continuent de crisper les relations entre la Serbie et ses interlocuteurs, qu'ils soient européens ou régionaux.
Bilan d'une opération séduction serbe auprès de Bruxelles.
Lors de ses visites au Président italien Giorgio Napolitano, puis à la chancelière allemande Angela Merkel en novembre 2009, Boris Tadić avait annoncé sa confiance dans le déblocage de l'Accord de Stabilisation et d'Association (ASA), ce qui entraînerait le dépôt de la candidature serbe à l'intégration de l'Union européenne avant la fin de l'année (la ratification de cet accord constitue une étape significative dans le processus de préadhésion à l'Union européenne). Le jeune ministre serbe des Affaires étrangères (34 ans), Vuk Jeremić, l'avait déjà annoncé à Bruxelles le 9 novembre : "Nous souhaitons très fortement le faire avant la fin de l'année. Le débat national est terminé. Nous avons eu deux référendums l'an dernier et les deux ont dit "oui" à un futur européen." (1) Un signe plus encourageant encore était la décision, tant attendue dans la région, prise par Bruxelles le 30 novembre d'abolir le régime des visas (2). Cependant, l'avenir européen de Belgrade ne se joue pas uniquement sur la volonté serbe d'intégrer l'Union mais aussi sur les conclusions prochaines du rapport Brammertz.
Le procureur belge, Serge Brammertz, est mandaté par l'ONU depuis 2008 pour juger de la coopération du gouvernement serbe avec le TPIY (3). Dans les épisodes précédents, la Serbie avait vu son cheminement vers l'intégration dans l'union européenne gelé par les Pays-Bas qui lui reprochaient alors son manque de coopération. En effet, et malgré l'arrestation le 21 juillet 2008 de l'ancien Président de la République serbe de Bosnie, Radovan Karadžić, sont toujours en fuite le Général Ratko Mladić, responsable du massacre de Srebrenica et du siège de Sarajevo, ainsi que Goran Hadžić, soupçonné lui aussi de crime de guerre et crime contre l'humanité lors du siège de Vukovar. L'Accord de Stabilisation et d'Association signé le 29 avril 2008 entre l'UE et la Serbie n'avait alors pas pu prendre effet. Le 3 décembre dernier, Mr Brammertz avait signalé que la Serbie était en "progrès constants" dans sa coopération avec le TPIY, conclusion qui avait été très bien accueillie par l'exécutif serbe. Ainsi, les attentes de la Haye et les rapports commandés par l'ONU seront les motifs centraux du rejet, ou non, d'une Serbie européenne, étant entendu que la principale pierre d'achoppement reste l'arrestation des deux personnalités nommées précédemment. Cet obstacle n'a pas empêché la Serbie, le 22 décembre dernier, de déposer sa candidature pour l'adhésion à l'Union européenne auprès de la présidence suédoise, se donnant "quelques années" pour en devenir un membre à part entière. Le nouveau Commissaire tchèque à l'élargissement, Stefan Fuele, a, par ailleurs, déclaré qu'il espérait dégeler l'ASA avec la Serbie à la mi 2010 : "I hope very much that in six months time when EU members would come back to the issue of ratification of the SAA that we will be in a position, on (the back of) a positive report from the ICTY (International War Crimes Tribunal) to go ahead and unfreeze the ratification". (4) L'enchaînement rapide des événements de ces derniers mois a confirmé la volonté serbe d'intégrer l'Union européenne ainsi que la normalisation des relations de cette dernière avec Belgrade. Cependant, tout comme son ministre des Affaires étrangères, par ailleurs européen convaincu, la population serbe désire autant adhérer à l'Union qu'elle rejette en bloc l'idée de perdre le Kosovo ("Le Kosovo est notre Jérusalem", a-t-il déclaré le 18 janvier dernier). Sa rétrocession reste pourtant peu probable.
La politique intransigeante de la Serbie vis-à-vis du Kosovo s'oppose à son aspiration à devenir un acteur régional de premier plan.
Au-delà des jugements du TPIY et du rapport Brammertz, c'est bien la question de l'avenir du Kosovo qui est centrale. Si la Serbie vit au rythme d'une intégration programmée à l'Union, elle a réorienté une partie de son effort vers ses partenaires régionaux. Toutefois, elle reste très loin d'avoir fait le deuil de ce lieu fondateur de son identité nationale. Cette ambigüité de fond sur la posture de la diplomatie serbe est la source de nombreux accrochages dans ses relations avec ses voisins. Le délicat sujet de l'intégrité territoriale, base de la politique extérieure serbe depuis de nombreuses années a été soumis à de nouveaux soubresauts ces derniers mois.
Le président Tadić a en effet présenté ses arguments devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) pour le retour du Kosovo dans le giron de Belgrade. Cette action pourrait être interprétée comme le dernier moyen dont dispose le gouvernement pour réintégrer ce territoire dans ses frontières historiques puisque la CIJ doit se prononcer sur la légalité de la déclaration d'indépendance de la région par rapport au droit international. Si la décision finale (et non contraignante) ne se fera connaître qu'au second trimestre 2010, la diplomatie serbe agit, avec son "étranger proche" suivant les actions de ce dernier envers le Kosovo. En témoigne le rappel de l'ambassadeur serbe à Podgorica "pour consultation" après l'annonce de l'établissement de relations diplomatiques entre le Monténégro et le Kosovo. De même, Vuk Jeremić avait qualifié "d'inacceptable" et "d'arbitraires" les accords frontaliers entre Skopje (Macédoine) et Priština. Plus inquitant encore est le refroidissement, ressenti depuis quelques mois, dans les relations entre Belgrade et Zagreb (Croatie). Au lendemain de son élection à la présidence croate Ivo Josipović avait évoqué un possible retrait de la plainte pour génocide déposée en 1999, et qui avait fait l'objet en début d'année d'une contre attaque de l'exécutif serbe sur le même motif. Suite à de nombreuses protestations populaires, ce qui aurait été perçu comme une réelle volonté d'arrondir les angles et de relancer la coopération serbo-croate ne semble plus d'actualité. A côté de ce vrai faux pas en avant, la déclaration de Boris Tadić de ne pas assister à l'intronisation se son homologue croate en présidence du Président du Kosovo Fatmir Sejdiju ne fait que véroler un peu plus les relations entre les deux candidats à l'adhésion dans l'Union européenne. Cependant, et pour terminer sur une note positive, la main tendue par le Président albanais Sali Berisha à son vis-à-vis serbe en l'invitant à Tirana dans le but de renforcer leur coopération régionale, et ce malgré l'opposition tranchée des opinions quant au statut du Kosovo, est un réel motif de satisfaction.
Le 27 novembre 2009, le Président Tadić avait déclaré : "Une approche différente est ce dont la Serbie a besoin aujourd'hui... L'inflexibilité est l'un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés. L'innovation est maintenant, et plus que jamais, une nécessité dans le processus de décision politique. [...] Celui qui n'a pas appris la leçon simple selon laquelle une approche rigide et traditionnelle ne donne pas de résultat et ne peut pas être répétée dans le futur perd le droit et la légétimité d'exercer son métier dans le présent." (5) Cette intervention concernant le changement de politique de Belgrade vis-à-vis du Kosovo ne peut rester un voeu pieux dans une optique d'adhésion à toutes les composantes de l'Union. De même, les ambitions régionales de la Serbie doivent la pousser à surpasser les différentes rancoeurs héritées de la guerre et à entreprendre des efforts significatifs pour stabiliser la région, sésame d'une intégration légitime dans l'Union européenne. La récente résolution proposée par Boris Tadić condamnant les crimes de guerre commis à Srebrenica, bien qu'ayant provoqué une levée de bouclier des milieux nationalistes et des Serbes de Bosnie, va dans ce sens.
La Serbie dispose aujourd'hui d'un crédit certain auprès des grands d'Europe. Une telle marge de manoeuvre, rare ces deux dernières décennies, peut lui permettre de s'affirmer comme un état moteur des Balkans, à condition qu'elle suive la même discipline que dans sa coopération avec le TPIY car en ex-Yougoslavie plus qu'ailleurs, rien n'est jamais acquis.
(1) Europarl, "quel avenir européen pour la Serbie ? Interview du ministre serbe des affaires étrangères, Vuk Jeremić", Strasbourg, 9 novembre 2009. http://europarl.europa.eu/news/...[http://www.europarl.europa.eu/news/public/story_page030-63969-327-11-48-903-20091106STO63894-2009-23-11-2009:default-fr.htm]
(2) Cette décision concerne également le Monténégro et la Macédoine
(3) Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie de la Haye
(4) "Fuele Hopes to Unfreeze SAA with Serbia", BIRN, Bruxelles, 13t janvier 2010 http://www.balkaninsight.com/en/mai...[http://www.balkaninsight.com/en/main/news/24930/]
(5) "Tadić : New Kosovo Approach Needed", BIRN, Belgrade, 27 novembre 2009, traduction libre http://www.balkaninsight.com/en/mai...[http://www.balkaninsight.com/en/main/news/24033/]
Source : affaires-stratégiques.info, le 1er janvier 2010.