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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 26-01-2010 à 23:12:49

Fra Petar Jeleč


La campagne contre Josipović ne fait en rien honneur à l'Église

Frère Petar Jeleč, professeur d'histoire à la Faculté de philosophie et de théologie franciscaine à Sarajevo, qui a obtenu son doctorat en 2006 à Rome sur le thème "L'Église catholique en Bosnie-Herzégovine et dans le NDH", commente le comportement dont a fait preuve l'Église catholique durant les élections présidentielles en Croatie. Nous entamons l''entretien pour le "Spektar" par un commentaire sur le nombre record d'électeurs qui se sont rendus aux bureaux de vote en Bosnie-Herzégovine.

- Nous avons été témoins, dit Jeleč, d'une campagne plutôt irritante de la part de l'Église catholique en faveur de l'un des candidats à la présidence, une campagne dont on n'a pas souvenir si ce n'est depuis l'époque où l'Église apportait son soutien à Franjo Tuđman. Sur ce point, les limites du bon goût ont été outrepassées : M. Josipović a été insulté sans aucune raison et arguments valables, ses électeurs ont été menacés de rester sans les sacrements, certains prêtres durant la bénédiction des maisons et lors des sermons ont ouvertement fait campagne en faveur de M. Bandić, certains Provinciaux franciscains ont expliqué qu'on "ne peut être chrétien et en même temps soutenir des opinions agnostiques et athées."

Sur les pages internet de certaines missions catholiques à l'étranger, les croyants ont été priés de voter "contre le communiste - ennemi de la croix du Christ", dans un journal catholique en Bosnie-Herzégovine il a été écrit à propos "du prince de la lumière et du prince des ténèbres", un "Charismatique" de Rome a adressé urbi et orbi ses recommandations disant pour qui voter, tandis qu'un autre de ses collègues du mouvement au niveau local, en plein milieu des infos de la Télévision publique croate (HTV), a expliqué que même Saint Paul dans son Épître nous recommande de voter pour le croyant Bandić, etc. Tout cela s'est déroulé avec la bénédiction et l'approbation de l'Église officielle, ce qui ne lui fait aucunement honneur.


Quelles sont d'après vous les raisons qui expliquent que l'Église, comme vous dites, se soit tournée vers Bandić, et non pas vers Josipović ?

- Cela s'explique par le fait que Josipović s'était déclaré agnostique, et Bandić en revanche croyant. Toutefois, les raisons sont bien plus profondes, plus problématiques et elles demanderaient un plus large développement pour lequel nous n'avons ni le temps ni la place ici. Les citoyens croates lors des élections ont clairement fait entendre, et notamment à l'Église, ce qu'ils pensaient de son implication active dans le duel politique.


Qu'en est-il maintenant que Josipović a été élu président de la République : comment vous semble-t-il construire ses relations avec l'Église ? Il a en effet déclaré qu'il ne soulèverait pas la question de l'accord entre la Croatie et le Vatican et qu'il ne bataillerait pas contre l'Église.

- Je ne veux pas spéculer sur la façon dont le président nouvellement élu, Josipović, abordera certaines situations précises, ni quel genre de président il sera et par quoi sera marqué son mandat présidentiel, car il est encore trop tôt pour en parler. On a néanmoins vu comment il a réagi en homme civilisé et cultivé aux injures que l'on a pu entendre sur son compte de la part de certains membres du clergé catholique, ainsi qu'aux commentaires déplacés dans certains journaux catholiques. Il ne convient pas que certains prêtres répandent en public des contre-vérités, notamment comment Josipović a rédigé et envoyé à La Haye des actes d'accusations contre les généraux croates, comment il est ennemi de "la croix du Christ", comment certains centres secrets du pouvoir s'abritent derrière lui, etc. En ce qui concerne l'accord entre la Croatie et le Vatican, c'est une question qui relève des arrangements entre États. Je ne suis pas certain jusqu'à quel point il est bon pour l'Église catholique en Croatie qu'elle recoive autant d'argent du budget de l'Etat.


Milan Bandić lors du second tour des élections a récolté presque 95% des voix en Bosnie-Herzégovine. Pourquoi ?

- Les Croates en Bosnie-Herzégovine, hélas, sont un peuple délaissé sur le plan spirituel, politique et éducatif, mentalement déraciné de sa propre patrie, un peuple qui au lieu de véritables autorités politiques et religieuses est doté de médiocrités qui ne font que le repousser un peu plus dans l'auto-isolement, dans l'auto-victimisation et dans la confrontation avec quiconque l'entoure. C'est un peuple qui en allant voter en masse lors des dernières élections en Croatie a clairement démontré qu'il adhère à la thèse catastrophique de Tuđman sur les Croates en Bosnie-Herzégovine en tant que diaspora de la République de Croatie, un peuple qui n'est pas capable d'estimer sa spécificité, sa culture et sa tradition bosno-herzégovinienne. C'est là un peuple dont les ténors politiques s'extasient devant Milorad Dodik et sa République ethniquement purifiée, en voulant avoir une sorte de Republika Srpska à eux, semblable à un fief personnel dans lequel ils pourront plus facilement piller leur peuple et le faire tourner en bourrique. 


Qui sont les principaux "coupables" pour un tel état d'esprit ?

- La responsabilité incombe avant tout justement à ces politiciens corrompus qui n'ont pas la moindre vision ni désir pour aider ce pays et ce peuple, mais qui l'effrayent par un péril venu de tout et de tous (en particulier des Bosniaques) et qui lui promettent un bonheur factice dans une fameuse soi-disant troisième entité ou réincarnation de l'Herceg-Bosna, laquelle n'a rien apporté de bon aux Croates de Bosnie ; ensuite vient l'Eglise catholique où règne le nationalisme, où la parole de l'annonce évangélique a presque disparu et qui depuis belle lurette s'est en bonne partie laissée acheter par quelques politiciens au pouvoir.
En définitive personne ne peut se soustraire à la responsabilité, par même le simple peuple croate en Croatie, un peuple, pour citer un de mes collègues et professeurs, qu'il est "difficile d'aider, car le plus souvent il se décide lui-même pour sa ruine et généralement choisit lui-même ses fossoyeurs".


Bien que les enquêtes montrent que l'Église en Croatie, en tant qu'institution parmi les autres institutions, continue à être la première à bénéficier de la confiance d'une bonne partie des personnes sondées, beaucoup estiment néanmoins que l'Église a perdu la réputation dont elle jouissait à l'époque de la dictature communiste. Qu'en pensez-vous ?

- "L'Église catholique chez les Croates" fait face à de gros problèmes en raison du nationalisme dans ses propres rangs, où le fait national a presque entièrement absorbé le fait religieux. L'Église, qui avec la chute du communisme a perdu "son ennemi juré", voit aujourd'hui dans toute critique, y compris la mieux intentionnée, les vestiges de la mentalité communiste. Et si par hasard elle provient de ses propres rangs, on la marginalise, on la fait taire et on l'accuse de détruire l'unité nationale et religieuse.

Lorsque vous lisez aujourd'hui certains journaux catholiques, il peut vous sembler que nous vivons toujours sous le communisme contre lequel il nous faut à nouveau nous battre. En revanche aucune parole critique n'est émise concernant la responsabilité des principaux politiciens croates qui ont laissé le pays en plan, concernant nombre d'institutions publiques liées entre elles par la corruption, auxquelles l'Église avait accordé jusque hier son soutien en raison de leur catholicisme proclamé et de certaines donations financières.

Le fait est que l'Église catholique perd de plus de plus de sa réputation et de son influence auprès de ses fidèles, avant tout parce qu'il lui manque la crédibilité. Il est difficile de trouver ses repères dans la société démocratique moderne et on compte de moins en moins de cadres bien formés qui sache faire face aux défis de ce temps et qui sache retransmettre le message du Christ de façon à ce qu'il soit compréhensible à l'homme d'aujourd'hui.

L'Église veut avec raison faire partie de la société et exprimer ses opinions sur certaines questions, mais elle doit être capable d'accepter la critique portant sur certains de ses engagements, de se libérer de la théorie du complot et du rabâchage sur certains centres secrets du pouvoir, les maçons, les communistes, les cercles anarcho-libéraux qui n'attendent que de la contrarier, elle et le peuple croate.

Le problème vient naturellement de l'éternel désir d'argent, de pouvoir et de puissance, dont aucune institution n'est exempte. Nous, dans l'Eglise, il ne nous ferait aucun tort d'être un peu plus humble, d'être un peu moins arrogant dans le contact avec les gens.


Comment réagissez-vous aux rubriques du principal rédacteur du Glas Koncila, Ivan Miklenić, portant sur les élections ?

- Miklenić dans son commentaire après le premier tour des élections avait écrit que l'Église catholique ne voit ni en Bandić ni en Josipović un candidat auquel elle apporterait son soutien. Cependant, après que le cardinal Bozanić eut reçu Milan Bandić au Captol, entre le premier et le second tour des élections présidentielles, envoyant ainsi un message aux électeurs catholiques, Miklenić dans son texte suivant a écrit que "les électeurs savent très bien qu'entre les deux candidats présidentiels restants il existe une énorme différence".

Dans l'avant-dernier commentaire du Glas Koncila, le même auteur minimise sans nécessité aucune le grand succès remporté par Josipović, en disant qu'il a été élu par "moins d'un tiers du nombre total d'électeurs de la République de Croatie". Miklenić en déduit ensuite que Josipović était "l'unique favori et qu'il est devenu le candidat officiel non seulement de son parti mais aussi de certains centres du pouvoir qui agissent loin des yeux de l'opinion", et il ajoute que "divers centres du pouvoir ont veillé à un très important soutien en faveur du président élu". Il serait bon que Miklenić finisse par nommer ces centres secrets du pouvoir !


Jusqu'à quel point la confession religieuse du président importe-t-elle ?

- Il s'agit de l'affaire privée de tout individu. Ce fait est sans incidence pour la réussite dans l'exercice des fonctions de président d'un pays démocratique, car lors de ces élections on n'a pas élu un homme pour une fonction religieuse, mais bien politique.

L'important est que le président d'un pays soit honnête et honorable, compétent dans son domaine et que, dans le cadre de ses compétences, il sache mener l'état dont il est à la tête. Je me demande quelle religion a-t-on là chez ceux qui se considèrent être de bons croyants catholiques, mais qui ensuite dénigrent, insultent de manière non chrétienne et étiquettent autrui pour la seule raison qu'il est agnostique, athée et membre d'un autre groupe religieux.


Qu'en est-il des sempiternels thèmes de Jasenovac et de Bleiburg qui continuent de peser sur la société croate actuelle ?

Jasenovac et Bleiburg sont deux grands crimes qui ont plongé dans le deuil des milliers de familles après la Seconde Guerre mondiale, et beaucoup de gens aujourd'hui encore supportent les traumatismes causés par ces événements où ils ont perdu leurs plus proches. C'est pourquoi il faut faire preuve de prévenance et de sensibilité lorsque l'on traite de ces thèmes. Remettre en question la dimension criminelle de l'un ou l'autre de ces deux lieux de massacres, relativiser l'un au profit de l'autre ne peut être accepté moralement pas plus qu'en termes de civilisation, car en ces endroits se sont accumulés beaucoup de souffrances et de maux chez des innocents. Ce sont des lieux où le mal a triomphé et où l'homme a perdu l'humain en lui.

La Seconde Guerre mondiale n'a pas pris fin dans la tête de bien des gens, et cela justement parce que l'une et l'autre tragédie ont été utilisées à mauvais escient pour en découdre avec des adversaires politiques et idéologiques. Aussi, les parties "adverses" campent-elles encore aujourd'hui dans leurs tranchées idéologiques, sans être prêtes à reconnaître leur propre faute et responsabilité.

J'ai déjà dit à une occasion que nous sommes dans "un cercle infernal" où nous tournons incessamment. L'idéologie communiste d'un côté, et de l'autre la martyrologie croate nationaliste et religieuse ainsi que l'interprétation de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Chacune à sa façon a empêché que ne se produise dans notre peuple un processus qualitatif de saine confrontation avec sa propre souffrance, sa faute et responsabilité. Il faudrait immédiatement mettre fin à un tel modèle de comportement, justement en raison des jeunes générations et de l'avenir du peuple croate.

Source : croatia.ch, le 26 janvier 2010.