posté le 26-01-2010 à 23:12:49
Fra Petar Jeleč
La campagne contre Josipović ne fait en rien honneur à l'Église
Frère
Petar Jeleč, professeur d'histoire à la Faculté de philosophie et de théologie franciscaine à
Sarajevo, qui a obtenu son doctorat en 2006 à
Rome sur le thème "
L'Église catholique en Bosnie-Herzégovine et dans le NDH", commente le comportement dont a fait preuve l'Église catholique durant les élections présidentielles en
Croatie. Nous entamons l''entretien pour le "
Spektar" par un commentaire sur le nombre record d'électeurs qui se sont rendus aux bureaux de vote en
Bosnie-
Herzégovine.
- Nous avons été témoins, dit
Jeleč,
d'une campagne plutôt irritante de la part de l'Église catholique en
faveur de l'un des candidats à la présidence, une campagne dont on n'a pas
souvenir si ce n'est depuis l'époque où l'Église apportait son soutien
à
Franjo Tuđman. Sur ce point, les limites du bon goût ont été outrepassées : M.
Josipović
a été insulté sans aucune raison et arguments valables, ses électeurs
ont été menacés de rester sans les sacrements, certains prêtres durant
la bénédiction des maisons et lors des sermons ont ouvertement fait
campagne en faveur de M.
Bandić,
certains Provinciaux franciscains ont expliqué qu'on "
ne peut être
chrétien et en même temps soutenir des opinions agnostiques et athées."
Sur les pages internet de certaines missions catholiques à l'étranger,
les croyants ont été priés de voter "
contre le communiste - ennemi de
la croix du Christ", dans un journal catholique en
Bosnie-
Herzégovine il a été écrit à propos "
du prince de la lumière et du prince des ténèbres", un "Charismatique" de
Rome a adressé
urbi et
orbi
ses recommandations disant pour qui voter, tandis qu'un autre de ses
collègues du mouvement au niveau local, en plein milieu des
infos de la Télévision publique croate (HTV), a expliqué que même Saint Paul dans son Épître nous recommande de voter pour le croyant
Bandić, etc. Tout cela s'est déroulé avec la bénédiction et l'approbation de l'Église officielle, ce qui ne lui fait aucunement honneur.
Quelles sont d'après vous les raisons qui expliquent que l'Église, comme vous dites, se soit tournée vers Bandić, et non pas vers Josipović ?
- Cela s'explique par le fait que
Josipović s'était déclaré agnostique, et
Bandić
en revanche croyant. Toutefois, les raisons sont bien plus profondes,
plus problématiques et elles demanderaient un plus large développement
pour lequel nous n'avons ni le temps ni la place ici. Les citoyens
croates lors des élections ont clairement fait entendre, et notamment à
l'Église, ce qu'ils pensaient de son implication active dans le duel politique.
Qu'en est-il maintenant que Josipović a été élu président de la République : comment vous semble-t-il construire ses relations avec l'Église ? Il a en effet déclaré qu'il ne soulèverait pas la question de l'accord entre la Croatie et le Vatican et qu'il ne bataillerait pas contre l'Église.
- Je ne veux pas spéculer sur la façon dont le président nouvellement élu,
Josipović,
abordera certaines situations précises, ni quel genre de président il sera
et par quoi sera marqué son mandat présidentiel, car il est encore trop
tôt pour en parler. On a néanmoins vu comment il a réagi en homme
civilisé et cultivé aux injures que l'on a pu entendre sur son compte
de la part de certains membres du clergé catholique, ainsi qu'aux
commentaires déplacés dans certains journaux catholiques. Il ne
convient pas que certains prêtres répandent en public des
contre-vérités, notamment comment
Josipović a rédigé et envoyé à La
Haye
des actes d'accusations contre les généraux croates, comment il est
ennemi de "
la croix du Christ", comment certains centres secrets du
pouvoir s'abritent derrière lui, etc. En ce qui concerne l'accord entre
la
Croatie et le
Vatican, c'est une question qui relève des arrangements entre États. Je ne suis pas certain jusqu'à quel point il est bon pour l'Église catholique en
Croatie qu'elle
recoive autant d'argent du budget de
l'Etat.
Milan Bandić lors du second tour des élections a récolté presque 95% des voix en Bosnie-Herzégovine. Pourquoi ?
- Les Croates en
Bosnie-
Herzégovine,
hélas, sont un peuple délaissé sur le plan spirituel, politique et éducatif, mentalement déraciné de sa propre patrie, un
peuple qui au lieu de véritables autorités politiques et religieuses
est doté de médiocrités qui ne font que le repousser un peu plus dans
l'auto-isolement, dans l'auto-
victimisation
et dans la confrontation avec quiconque l'entoure. C'est un peuple qui
en allant voter en masse lors des dernières élections en
Croatie a clairement démontré qu'il adhère à la thèse catastrophique de Tuđman sur les Croates en
Bosnie-
Herzégovine en tant que diaspora de la République de
Croatie, un peuple qui n'est pas capable d'estimer sa spécificité, sa culture et sa tradition
bosno-
herzégovinienne. C'est là un peuple dont les ténors politiques s'extasient devant
Milorad Dodik et sa République
ethniquement purifiée, en voulant avoir une sorte de
Republika Srpska
à eux, semblable à un fief personnel dans lequel ils pourront plus
facilement piller leur peuple et le faire tourner en bourrique.
Qui sont les principaux "coupables" pour un tel état d'esprit ?
- La responsabilité incombe avant tout justement à ces politiciens
corrompus qui n'ont pas la moindre vision ni désir pour aider ce pays
et ce peuple, mais qui l'effrayent par un péril venu de tout et de tous
(en particulier des
Bosniaques) et qui lui promettent un bonheur factice dans une fameuse soi-disant troisième entité ou réincarnation de
l'Herceg-Bosna, laquelle n'a rien apporté de bon aux Croates de
Bosnie ; ensuite vient
l'Eglise
catholique où règne le nationalisme, où la parole de l'annonce
évangélique a presque disparu et qui depuis belle lurette s'est en
bonne partie laissée acheter par quelques politiciens au pouvoir.
En définitive personne ne peut se soustraire à la responsabilité, par même le simple peuple croate en
Croatie,
un peuple, pour citer un de mes collègues et professeurs, qu'il est
"
difficile d'aider, car le plus souvent il se décide lui-même pour sa
ruine et généralement choisit lui-même ses fossoyeurs".
Bien que les enquêtes montrent que l'Église en Croatie, en tant qu'institution
parmi les autres institutions, continue à être la première à bénéficier
de la confiance d'une bonne partie des personnes sondées, beaucoup
estiment néanmoins que l'Église a perdu la réputation dont elle jouissait à l'époque de la dictature communiste. Qu'en pensez-vous ?
- "
L'Église catholique chez les Croates" fait face à de gros problèmes
en raison du nationalisme dans ses propres rangs, où le fait national a
presque entièrement absorbé le fait religieux. L'Église, qui avec la
chute du communisme a perdu "
son ennemi juré", voit aujourd'hui dans
toute critique, y compris la mieux intentionnée, les vestiges de la
mentalité communiste. Et si par hasard elle provient de ses propres
rangs, on la marginalise, on la fait taire et on l'accuse de détruire
l'unité nationale et religieuse.
Lorsque vous lisez aujourd'hui certains journaux catholiques, il peut
vous sembler que nous vivons toujours sous le communisme contre lequel
il nous faut à nouveau nous battre. En revanche aucune parole critique
n'est émise concernant la responsabilité des principaux politiciens
croates qui ont laissé le pays en plan, concernant nombre
d'institutions publiques liées entre elles par la corruption, auxquelles l'Église avait accordé jusque hier son soutien en raison de leur catholicisme proclamé et de certaines donations financières.
Le fait est que l'Église catholique perd de plus de plus de sa
réputation et de son influence auprès de ses fidèles, avant tout parce
qu'il lui manque la crédibilité. Il est difficile de trouver ses
repères dans la société démocratique moderne et on compte de moins en
moins de cadres bien formés qui sache faire face aux défis de ce temps
et qui sache retransmettre le message du Christ de façon à ce qu'il
soit compréhensible à l'homme d'aujourd'hui.
L'Église veut avec raison faire partie de la société et exprimer ses
opinions sur certaines questions, mais elle doit être capable
d'accepter la critique portant sur certains de ses engagements, de se
libérer de la théorie du complot et du rabâchage sur certains centres
secrets du pouvoir, les maçons, les communistes, les cercles
anarcho-libéraux qui n'attendent que de la contrarier, elle et le peuple croate.
Le problème vient naturellement de l'éternel désir d'argent, de pouvoir
et de puissance, dont aucune institution n'est exempte. Nous, dans
l'Eglise, il ne nous ferait aucun tort d'être un peu plus humble, d'être un peu moins arrogant dans le contact avec les gens.
Comment réagissez-vous aux rubriques du principal rédacteur du Glas Koncila, Ivan Miklenić, portant sur les élections ?
-
Miklenić dans son commentaire après le premier tour des élections avait écrit que l'Église catholique ne voit ni en
Bandić ni en
Josipović un candidat auquel elle apporterait son soutien. Cependant, après que le cardinal
Bozanić eut reçu Milan
Bandić au
Captol, entre le premier et le second tour des élections présidentielles, envoyant ainsi un message aux électeurs catholiques,
Miklenić
dans son texte suivant a écrit que "
les électeurs savent très bien
qu'entre les deux candidats présidentiels restants il existe une énorme
différence".
Dans l'avant-dernier commentaire du Glas
Koncila, le même auteur minimise sans nécessité aucune le grand succès remporté par
Josipović, en disant qu'il a été élu par "
moins d'un tiers du nombre total d'électeurs de la République de Croatie".
Miklenić en déduit ensuite que
Josipović
était "
l'unique favori et qu'il est devenu le candidat officiel non
seulement de son parti mais aussi de certains centres du pouvoir qui
agissent loin des yeux de l'opinion", et il ajoute que
"divers centres
du pouvoir ont veillé à un très important soutien en faveur du
président élu". Il serait bon que
Miklenić finisse par nommer ces centres secrets du pouvoir !
Jusqu'à quel point la confession religieuse du président importe-t-elle ?
- Il s'agit de l'affaire privée de tout individu. Ce fait est sans
incidence pour la réussite dans l'exercice des fonctions de président
d'un pays démocratique, car lors de ces élections on n'a pas élu un
homme pour une fonction religieuse, mais bien politique.
L'important est que le président d'un pays soit honnête et honorable,
compétent dans son domaine et que, dans le cadre de ses compétences, il
sache mener l'état dont il est à la tête. Je me demande quelle religion
a-t-on là chez ceux qui se considèrent être de bons croyants
catholiques, mais qui ensuite dénigrent, insultent de manière non
chrétienne et étiquettent autrui pour la seule raison qu'il est
agnostique, athée et membre d'un autre groupe religieux.
Qu'en est-il des sempiternels thèmes de Jasenovac et de Bleiburg qui continuent de peser sur la société croate actuelle ?
Jasenovac et
Bleiburg
sont deux grands crimes qui ont plongé dans le deuil des milliers de
familles après la Seconde Guerre mondiale, et beaucoup de gens
aujourd'hui encore supportent les traumatismes causés par ces
événements où ils ont perdu leurs plus proches. C'est pourquoi il faut
faire preuve de prévenance et de sensibilité lorsque l'on traite de ces
thèmes. Remettre en question la dimension criminelle de l'un ou l'autre
de ces deux lieux de massacres, relativiser l'un au profit de l'autre
ne peut être accepté moralement pas plus qu'en termes de civilisation,
car en ces endroits se sont accumulés beaucoup de souffrances et de
maux chez des innocents. Ce sont des lieux où le mal a triomphé et où
l'homme a perdu l'humain en lui.
La Seconde Guerre mondiale n'a pas pris fin dans la tête de bien des
gens, et cela justement parce que l'une et l'autre tragédie ont été
utilisées à mauvais escient pour en découdre avec des adversaires
politiques et idéologiques. Aussi, les parties "
adverses" campent-elles
encore aujourd'hui dans leurs tranchées idéologiques, sans être prêtes
à reconnaître leur propre faute et responsabilité.
J'ai déjà dit à une occasion que nous sommes dans "un cercle infernal" où nous tournons
incessamment. L'idéologie communiste d'un côté, et de l'autre la
martyrologie croate nationaliste et religieuse ainsi que l'interprétation
de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Chacune à sa façon a
empêché que ne se produise dans notre peuple un processus qualitatif de
saine confrontation avec sa propre souffrance, sa faute et
responsabilité. Il faudrait immédiatement mettre fin à un tel modèle de
comportement, justement en raison des jeunes générations et de l'avenir
du peuple croate.
Source :
croatia.ch, le 26 janvier 2010.