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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 22-01-2010 à 21:32:39

On compte plus d'agents de sécurité que de soldats de l'Armée croate (HV)
 

Quiconque a de l'argent peut avoir son armée privée. Le fait que Sokol Marić compte presque autant de membres que toute l'Armée croate se passe de commentaires.

Il n'est un secret pour personne qu'il existe de plus en plus de sociétés de sécurité en Croatie et dans la région qui agissent au-delà de leurs cadres légaux, ceux qu'assument généralement la police et l'armée.

L'instauration de l'ordre et de la paix par la force, l'administration de la "justice" selon un "code professionnel" verbal par certaines firmes - ne sont que quelques unes des missions problématiques qu'effectuent les employés des sociétés de sécurité, bien souvent placés au service de l'argent et des intérêts privés.

De plus en plus de sociétés de sécurité se transforment en sorte de milices privées à la solde de caciques locaux et politiques. Ainsi, il y a un peu plus de six mois, le Bureau du Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine a interdit pour une durée de cinq ans toute activité aux firmes "Alpha Security" et "Centurion Security", accusées d'avoir notamment surveillé illégalement des fonctionnaires internationaux. Les firmes sont enregistrées à Banja Luka. Elles avaient commencé à sentir le souffre parce qu'en tant qu'"armée locale" elles travaillaient sous les ordres de Milorad Dodik, le président du Gouvernement de la Republika Srpska.  


"Blackwater" comme mauvais exemple

La Croatie n'est pas davantage épargnée par de telles facéties que nous réservent les firmes de sécurité. Que l'on se souvienne seulement de l'année 2003 lorsque les agents de sécurité de "Sokol Marić", engagés et payés par Leon Sulić alors propriétaire de "Croatia bus", s'en étaient pris physiquement aux travailleurs de cette firme, en les expulsant de la cour de l'entreprise. Récemment cette logique pour résoudre les affaires boîteuses d'une firme a été reprise par le magnat en faillite Zdravko Pevec. Et cela justement à Banja Luka - là où s'étend également son empire en déconfiture - lorsqu'il y a envoyé les agents de sécurité d'Alpha, la firme justement interdite, pour qu'ils en découdent avec les travailleurs à l'entrée du centre commercial. Pevec n'en a pas pour autant oublié les travailleurs au pays, eux qui menaient la grève dans les centres commerciaux pour réclamer plusieurs mois de salaires non payés. Ces travailleurs ont aussi eu droit aux agents de sécurité qui les ont délogés, quoiqu'ils gardaient les biens de Pevec avec lesquels en tant que créanciers ils peuvent percevoir leurs salaires dûs. Pour que l'absurde n'en reste pas là, la police a observé toute la situation en se tenant à l'écart comme elle l'avait fait plus d'une fois jusque-là. Le dernier mot est revenu aux agents de sécurité même si la police doit primer en vertu de la loi.

La conclusion s'impose par elle-même : dans un monde où tout est privatisé il existe le danger que toute personne suffisamment riche puisse créer sa propre armée dont elle assumera la direction. Les armées privées sont-elles vraiment notre futur ? Où se situent réellement les frontières entre l'engagement militaire et les tâches de surveillance.

L'analyste militaire Vran Višnar déclare que la privatisation de l'armée est un processus qui existe depuis longtemps dans certains pays et qu'elle n'est chez nous qu'une réplique tardive.

- En Amérique on prendra pour bon exemple les membres de la firme de sécurité privée Blackwater qui sous le dictat du gouvernement américain font la guerre en Irak, mais il existe une série de sociétés israéliennes encore plus radicales qui exportent leurs services de sécurité dans maints pays de la planète. Il s'agit d'anciens membres des unités militaires de la plus haute élite. Je m'oppose à une telle tendance négative de la militarisation civile, car il s'agit manifestement de business, autrement dit de relations vénales. Il s'est avéré que de tels agents de sécurité ont un profil fortement belliciste et inhumain, car il leur manque la dimension liée au milieu dans lequel ils opèrent - déclare Višnar.


De "Scorpion" à gardien de l'ordre

Il affirme que sous le couvert de la sécurité les membres de telles formations paramilitaires protègent des intérêts privés et possèdent donc les caractéristiques de formations militaires privées. Il exprime le soupçon que les sociétés de sécurités croates envoient leurs membres pour s'exercer auprès de telles formations paramilitaires privées bénéficiant d'un entraînement professionnel.

Les cas cités, ajoute Višnar, font penser à l'action des cartels de la drogue paramilitaires colombiens. Cela rappelle des cas similaires de formations paramilitaires en Croatie et en Serbie au début des années 1990, comme les Bérets rouges, les Scorpions et les unités de Merčep, dont les membres se sont retrouvés après la guerre dans des sociétés de sécurité légalement créées, comme s'il s'agissait d'une règle allant de soi. De telles formations paramilitaires n'ont rien apporté de bon - l'activité militaire et combattante n'était rien de plus qu'un alibi pour s'adonner à la criminalité, au pillage et aux crimes de guerre.

Aujourd'hui, estime Višnar, on impose les activités sécuritaires d'une façon légale.

- Le cas Pevec est un exemple de système parallèle qu'il faut couper à la racine. Pevec ne croit pas en la police, tandis que les agents de sécurité sont pour lui une milice qui en retour doit justifier l'argent du patron. Un tel agent de sécurité n'est pas tenu par des buts supérieurs et il ne se demande pas si ce qu'il fait est moral ou pas - déclare Višnar. Les cas évoqués semblent tirés d'un film, dans lequel c'est lorsque le patron est mis en déroute que les milices qui servent les cartels se révèlent les plus dangereuses. C'est pourquoi il ne faudrait pas s'étonner, conclut Višnar, si demain en Croatie un politicien devait engager entre 20 et 30 agents de sécurité pour assurer sa protection tandis que, par exemple, il soustrait des locaux du parti les documents qui le compromettent.

A titre de comparaison, la Serbie a pour l'instant empêché que des milices ne se forment de la sorte. Pareil pour la Bulgarie - un pays où une telle tendance était fortement marquée - à cause du combat mené contre la corruption que supposait l'entrée dans l'UE. En revanche les milices à gage prospèrent en Russie. De parfaits exemples de leurs méfaits sont les meurtres aux motivations politiques mystérieuses de journalistes ou d'anciens fonctionnaires gouvernementaux. Qu'est-ce que l'Etat, en commençant par son pouvoir législatif et exécutif, devrait faire en la matière ?  

- L'Etat devrait clairement préciser sous quelles conditions quelqu'un peut faire appel à une société de sécurité, et non pas que divers caciques politiques aient la possibilité par leurs richesses accumulées de protéger à tout moment leurs activités malhonnêtes. On décèle en l'espèce des éléments de viol de la Constitution et des droits humains, en d'autres mots c'est la loi du plus fort qui prévaut. Manifestement la Loi sur la protection au travail et la Loi sur la protection privée ne sont pas appliquées comme il le faut - termine Fran Višnar.


Quiconque a de l'argent peut avoir sa propre armée privée

Marijan Kraljević King, l'ancien chef de la police et le fondateur de la corporation des agents de sécurité au début des années 1990, dit qu'il existe des sociétés de sécurité qui pour certaines raisons sont fortement protégées par l'Etat. Il se dit déçu par la situation régnant dans les services de sécurité en Croatie, car toutes sortes d'individus y ont trouvé refuge.

- Par exemple, la firme de sécurité "AKD-Zaštita" a été fondée sur ordre du ministère de l'Intérieur, ce qui fut un clou dans le cerceuil du monde de la sécurité en Croatie. Dans ce monde-la il règne un désordre absolu, à l'image du bordel intégral de ce pays où il est difficile de discerner quels sponsors se tiennent derrières certaines sociétés de sécurité - déclare Kraljević. Il pense que le crime organisé est depuis bien longtemps entré par la grande porte dans les sociétés de sécurité. Quelle finalité a donc la police dans toute cette histoire ?   

- La police d'Etat protège le régime, et non pas les citoyens. D'un autre côté, la Loi sur la protection des personnes et des biens permet au propriétaire de protéger ses biens, la police ne pouvant rien y faire. Le fait que la société de sécurité "Sokol Marić" compte presque autant de membres que toute l'Armée croate se passe de commentaires - laisse tomber King. Il rappelle que même le siège de la CIA est protégé par des sociétés de sécurité privées et qu'aujourd'hui même les artistes louent des agents qui se battent avec le public, ce pour quoi ils sont payés, bien entendu. Aujourd'hui tout repose sur l'argent.

- La globalisation tend à la dérégulation de l'état de droit. Quiconque a de l'argent peut se payer son armée privée - conclut Marijan Kraljević.

Au sein de la firme "AKD-Zaštita", en réponse à nos questions, réponse qui n'est pas officiellement signée, ils se réfèrent aux cadres légaux qui définissent le domaine de compétence et de pouvoir dans lequel agissent les agents de sécurité. Ils signalent qu'est clairement délimitée la protection privée qu'exercent les sociétés commerciales de sécurité par rapport à la sécurité publique dont se charge la police. Ils disent ainsi que dans les situations où pour une raison ou l'autre dans un travail déterminé apparaissent ensemble des agents de sécurité et des officiers de police, l'action des agents de sécurité est toujours subordonnée aux ordres des officiers de police qui, comme ils disent, possèdent de vastes attributions réglementées par la loi. Pour tout exercice de leurs compétences les agents de sécurité, écrivent-ils dans leur missive, sont tenus d'informer par un rapport écrit l'inspection de la police qui estime si les agents de sécurité ont agi dans la légalité. Ils nient que quiconque parmi leur société eût été envoyé dans une quelconque mission rétribuée hors du territoire de la République de Croatie.


Nous sommes meilleur marché que la police

Zlatko Marić, le propriétaire de la société de sécurité "Sokol Marić", déclare que l'on ne peut parler des sociétés de sécurité comme d'armées privées. La raison en est que la Loi sur la protection privée est la plus restrictive en Europe et qu'elle établit une claire séparation entre les activités des agents de sécurité et celles de la police.

- La police est chargée d'assurer l'ordre public et la paix, tandis que les agents de sécurité protègent les biens d'un propriétaire, tant que le tribunal n'en décide pas autrement. En faveur des activités de sécurité joue le fait que nous sommes meilleur marché que la police, nous avons des véhicules blindés et d'autres infrastructures nécessaires - déclare Marić. Il estime que la police devrait examiner les licences des sociétés de sécurité qui éventuellement outrepassent leurs compétences. Toutefois, il nous confirme que le nombre de ses agents de sécurité est énorme et qu'il suit au cheveu près les effectifs de l'Armée croate.

- Parmi mes 3.600 personnes il n'en est pas une qui ait participé dans une quelconque mission mercenaire hors de la Croatie. Des initiatives sont venues en ce sens des Etats-Unis par le biais de sociétés intermédiaires, mais dès le départ j'ai refusé une telle possibilité - affirme Marić. Il indique que d'ici la fin de l'année, malgré la récession, il engagera encore 400 personnes supplémentaires.

Par Dragan Grozdanić

Source : h-alter.org, le 21 janvier 2010.