posté le 17-12-2009 à 16:37:34
Radio Slobodna enquête : le rôle guerrier des entreprises en Serbie
Radio
Slobodna Evropa (RSE) poursuit ses recherches afin de savoir si des
autocars des entreprises serbes ont été utilisés pour préparer le
génocide contre les Bosniaques qui vivaient là-bas. Hier nous avons
publié le témoignage de l'ex-directeur de la compagnie Raketa,
implantée à Užice, aujourd'hui nous rapportons ce que disent les
témoins de Srebrenica, ainsi que ceux qui à Sarajevo et à Belgrade
s'occupent de rassembler des matériaux sur les crimes commis durant les
années 90.
Malgré que certains témoins du génocide de Srebrenica
perpétré contre les Bosniaques aient parlé des autocars de Serbie qui
ont servi à déplacer la population de Srebrenica, disant que ceux-ci
ont transporté des Bosniaques dans les endroits où ils ont été
exécutés en masse, personne en Serbie n'en a encore publiquement parlé.
Personne ne cherche à savoir comment ils ont été utilisés et qui en a
donné l'ordre.
Munira Subašić de Srebrenica confirme pour notre radio le récit sur les autocars.
"
Il
y avait Raketa Užice, Beograd-trans, Strela Valjevo, presque tous les
autocars provenaient de Serbie, du Monténégro et de la Republika
Srpska. Je l'affirme en toute responsabilité, cela peut se voir sur les
enregistrements. C'est-à-dire, tout était préparé, tout se savait, tout
était organisé. L'organisateur était Belgrade."
RSE : Est-ce que ces autocars ont été utilisés afin de procéder à des déportations sur les sites d'exécutions ?
Subašić
: Naturellement, mettre à mort nos enfants. Même plus, ils ont gardé
nos enfants dans les autocars sous les plus hautes températures, ils
les ont gardés pendant des heures et des heures à Bratunac...
C'est-à-dire, ils les ont tués assoiffés et affamés... J'en suis témoin,
car j'étais à Potočari et j'ai tout vu.
Zumra et Sabra deux
victimes de Srebrenica, en leur temps (le 2 mars 2007), avaient
également déclaré dans l'émission "Peščanik" :
"
Vous
dites que les Serbes ne sont pas d'accord, qu'ils ne veulent pas nous
écouter, que Srebrenica n'a pas eu lieu... Je dois leur dire que les
colones d'autocars qui étaient parqués pour les gens de Srebrenica,
étaient tous de Serbie. C'était les autocars de 7. juli Šabac, Strela
Valjevo, Loznica, Raketa Titovo Užice... sans que j'aille plus loin
dans l'énumération".
Nous avons publié hier dans notre
programme un témoignage recueilli en Serbie. En exclusivité pour notre
programme s'est exprimé Miroslav Nenadić, longtemps directeur de la
compagnie de transport d'Užice, qui confirme que Raketa avait envoyé
ses autocars à destination de Srebrenica et de Žepa, mais il affirme
qu'ils sont revenus avant les massacres en masse, avant le génocide
commis sur les Bosniaques de l'endroit.
"
Ils
ont démarré de Žepa et de Srebrenica là où les gens l'ont voulu. Il y
en a certains, de Žepa, par exemple, qui n'ont pas voulu partir. Mais
ils ont desservi deux ou trois jours environ et sont revenus sains et
saufs. Et chacun pouvait s'en aller des lieux car il y avait
suffisamment d'autocars. Ils sont revenus le jour avant que cela ne se
produise à Srebrenica."
RSE : Et quand avez-vous entendu que cela s'est produit ?
Nenadić : Et qu'est-ce que j'aurais pu y faire ?
Examiner les livres des entreprises
Le
président du Centre de recherche et de documentation (IDC) de Sarajevo,
Mirsad Tokača, n'a cependant pas été capable de se souvenir
d'informations en grande quantité sur les autocars de Serbie quant au
génocide à Srebrenica.
"
Je
n'ai rien entendu de la sorte. Nous avons plus de 5.000 pages de
déclarations diverses, cela ne m'est pas resté en tête. Je parle de
mémoire. Peut-être pourrait-on trouver quelque chose à partir des
déclarations des témoins. Moi, je ne dispose pas de ces informations."
Dans
les procès qui se sont déroulés devant le Tribunal de La Haye, il a été
établi que le 11 juillet 1995 des autocars et des camions ont commencé
à arriver à Potočari, afin de "transférer de force" 25.000 femmes,
enfants et personnes âgées sur le territoire contrôlé par l'Armée de la
République de Bosnie-Herzégovine. En parallèle à cela, on considère que
les forces armées de la République serbe de Bosnie ont "conçu et mis en
oeuvre le plan d'élimination" des Bosniaques de sexe masculin en âge
de porter les armes.
"
Les
hommes ont été détenus tandis que leurs épouses et leurs enfants ont
été placés à bord d'autocars et transférés de force en territoire sous
contrôle musulman. Ce transfert forcé s'est accompagné d'actes de
torture, d'humiliations et d'actes d'une extrême cruauté. Les hommes
détenus ont été emmenés de Potočari pour être exécutés", lit-on dans le jugement rendu contre Momir Nikolić, mais il n'est pas fait mention des autocars de Serbie.
Nataša
Kandić, la directrice du Centre de droit humanitaire, dit que les
procès de La Haye n'ont pas démontré de manière irréfutable les récits
sur les autocars de Serbie mais que cela pourrait faire l'objet de
recherches.
"
Ce qui
confirmerait le plus facilement tous ces propos serait de vérifier tous
ces livres des entreprises publiques aussi bien à Kraljevo qu'à Užice,
qu'à Bajina Bašta, qu'à Lozinca, qu'à Valjevo... parce que chaque
concession de véhicules, de camions, d'autocars est toujours
enregistrée et que les livres fournissent des données portant sur la
façon dont ils ont été engagés, à qui ils ont été donnés en usage,
quand ils sont partis, quand ils ont été restitués. Toutes ces données
existent mais, en suivant les procès, je n'ai toujours pas constaté
qu'elles aient été rassemblées et qu'elles fassent partie des éléments
de preuve."
La loi du silence
Personne
en Serbie même n'a tenté de savoir comment en temps de guerre ont été
utilisées les entreprises publiques, tels que les transports, déclare
Nataša Kandić et elle cite l'exemple des Chemins de fer de Serbie ainsi
que l'enlèvement d'un groupe de Bosniaques à Strpci. Il existe une
documentation qui est conservée et qui confirme que la direction des
chemins de fer était de mèche avec la police pour attraper les
soi-disant déserteurs.
"
On
devrait s'attendre à ce que mûrisse à un moment donné ce besoin
d'établir dans quelle mesure les entreprises publiques, les firmes, ont
participé sur ordre de la Sûreté de l'Etat, du ministère de l'Intérieur
de Serbie et des organes politiques, aux déportations, aux déplacements
internes de population à l'intérieur de la Bosnie, [ont participé] à
l'envoi sur les sites d'exécution des personnes faites prisonnières."
Zoran
Janić, un publiciste et traducteur qui est connu du public en tant
qu'auteur du livre "Tišina u Abardarevoj" sur les travailleurs de la
Radio Télévision de Serbie (RTS) ayant été sacrifiés dans les
bombardements de l'OTAN en 1999, a récemment écrit :
"
Les
chemins de fer allemands ont adressé après la guerre des excuses
publiques aux Juifs du fait que leurs trains et convois ont été
utilisés pour les transports dans les camps d'extermination. Que
faisons nous en Serbie, un demi siècle plus tard, où aucune excuse n'a
encore eu lieu, si en plus nous savons que les autocars, avec lesquels
les Bosniaques de Srebrenica ont été transférés sur les sites
d'exécution, sont tous sans exception d'ici."
Janić
déclare pour notre programme que la comparaison avec l'Allemagne ne
vaut que sur le plan moral, l'ampleur et le caractère systématique des
crimes ne pouvant bien entendu être comparés. Selon lui, il faudrait
que soit ouverte en Serbie la question touchant à la responsabilité des
institutions qui dans les années 90 ont été utilisées de diverses
manières, en particulier parce que après 1995 on a continué avec de
tels crimes d'Etat, désormais en Serbie même :
"
Ce
n'est pas le problème des directeurs des entreprises publiques, c'est
le problème de l'Etat. C'est en fait le problème des institutions. Ici,
il n'existe pas de volonté au niveau institutionnel pour faire face au
passé. Cette loi du silence règne encore en ce moment même. Je vous
citerai l'exemple de la RTS mais aussi l'exemple de l'assassinat de
soldats à Topčider. Ce sont également des crimes d'Etat. De même que
Srebrenica est un crime d'Etat. De même que des centaines d'autres
crimes".
Source :
slobodnaevropa.org, le 11 décembre 2009.