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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 17-12-2009 à 16:37:34

Radio Slobodna enquête : le rôle guerrier des entreprises en Serbie


Radio Slobodna Evropa (RSE) poursuit ses recherches afin de savoir si des autocars des entreprises serbes ont été utilisés pour préparer le génocide contre les Bosniaques qui vivaient là-bas. Hier nous avons publié le témoignage de l'ex-directeur de la compagnie Raketa, implantée à Užice, aujourd'hui nous rapportons ce que disent les témoins de Srebrenica, ainsi que ceux qui à Sarajevo et à Belgrade s'occupent de rassembler des matériaux sur les crimes commis durant les années 90.

Malgré que certains témoins du génocide de Srebrenica perpétré contre les Bosniaques aient parlé des autocars de Serbie qui ont servi à déplacer la population de Srebrenica, disant que ceux-ci ont transporté des Bosniaques dans les endroits où ils ont été exécutés en masse, personne en Serbie n'en a encore publiquement parlé. Personne ne cherche à savoir comment ils ont été utilisés et qui en a donné l'ordre.

Munira Subašić de Srebrenica confirme pour notre radio le récit sur les autocars.

"Il y avait Raketa Užice, Beograd-trans, Strela Valjevo, presque tous les autocars provenaient de Serbie, du Monténégro et de la Republika Srpska. Je l'affirme en toute responsabilité, cela peut se voir sur les enregistrements. C'est-à-dire, tout était préparé, tout se savait, tout était organisé. L'organisateur était Belgrade."

RSE : Est-ce que ces autocars ont été utilisés afin de procéder à des déportations sur les sites d'exécutions ?

Subašić : Naturellement, mettre à mort nos enfants. Même plus, ils ont gardé nos enfants dans les autocars sous les plus hautes températures, ils les ont gardés pendant des heures et des heures à Bratunac... C'est-à-dire, ils les ont tués assoiffés et affamés... J'en suis témoin, car j'étais à Potočari et j'ai tout vu.

Zumra et Sabra deux victimes de Srebrenica, en leur temps (le 2 mars 2007), avaient également déclaré dans l'émission "Peščanik" :

"Vous dites que les Serbes ne sont pas d'accord, qu'ils ne veulent pas nous écouter, que Srebrenica n'a pas eu lieu... Je dois leur dire que les colones d'autocars qui étaient parqués pour les gens de Srebrenica, étaient tous de Serbie. C'était les autocars de 7. juli Šabac, Strela Valjevo, Loznica, Raketa Titovo Užice... sans que j'aille plus loin dans l'énumération".

Nous avons publié hier dans notre programme un témoignage recueilli en Serbie. En exclusivité pour notre programme s'est exprimé Miroslav Nenadić, longtemps directeur de la compagnie de transport d'Užice, qui confirme que Raketa avait envoyé ses autocars à destination de Srebrenica et de Žepa, mais il affirme qu'ils sont revenus avant les massacres en masse, avant le génocide commis sur les Bosniaques de l'endroit.

"Ils ont démarré de Žepa et de Srebrenica là où les gens l'ont voulu. Il y en a certains, de Žepa, par exemple, qui n'ont pas voulu partir. Mais ils ont desservi deux ou trois jours environ et sont revenus sains et saufs. Et chacun pouvait s'en aller des lieux car il y avait suffisamment d'autocars. Ils sont revenus le jour avant que cela ne se produise à Srebrenica."

RSE : Et quand avez-vous entendu que cela s'est produit ?

Nenadić : Et qu'est-ce que j'aurais pu y faire ?


Examiner les livres des entreprises

Le président du Centre de recherche et de documentation (IDC) de Sarajevo, Mirsad Tokača, n'a cependant pas été capable de se souvenir d'informations en grande quantité sur les autocars de Serbie quant au génocide à Srebrenica.

"Je n'ai rien entendu de la sorte. Nous avons plus de 5.000 pages de déclarations diverses, cela ne m'est pas resté en tête. Je parle de mémoire. Peut-être pourrait-on trouver quelque chose à partir des déclarations des témoins. Moi, je ne dispose pas de ces informations."

Dans les procès qui se sont déroulés devant le Tribunal de La Haye, il a été établi que le 11 juillet 1995 des autocars et des camions ont commencé à arriver à Potočari, afin de "transférer de force" 25.000 femmes, enfants et personnes âgées sur le territoire contrôlé par l'Armée de la République de Bosnie-Herzégovine. En parallèle à cela, on considère que les forces armées de la République serbe de Bosnie ont "conçu et mis en oeuvre le plan d'élimination" des Bosniaques de sexe masculin en âge de porter les armes.

"Les hommes ont été détenus tandis que leurs épouses et leurs enfants ont été placés à bord d'autocars et transférés de force en territoire sous contrôle musulman. Ce transfert forcé s'est accompagné d'actes de torture, d'humiliations et d'actes d'une extrême cruauté. Les hommes détenus ont été emmenés de Potočari pour être exécutés", lit-on dans le jugement rendu contre Momir Nikolić, mais il n'est pas fait mention des autocars de Serbie.

Nataša Kandić, la directrice du Centre de droit humanitaire, dit que les procès de La Haye n'ont pas démontré de manière irréfutable les récits sur les autocars de Serbie mais que cela pourrait faire l'objet de recherches.

"Ce qui confirmerait le plus facilement tous ces propos serait de vérifier tous ces livres des entreprises publiques aussi bien à Kraljevo qu'à Užice, qu'à Bajina Bašta, qu'à Lozinca, qu'à Valjevo... parce que chaque concession de véhicules, de camions, d'autocars est toujours enregistrée et que les livres fournissent des données portant sur la façon dont ils ont été engagés, à qui ils ont été donnés en usage, quand ils sont partis, quand ils ont été restitués. Toutes ces données existent mais, en suivant les procès, je n'ai toujours pas constaté qu'elles aient été rassemblées et qu'elles fassent partie des éléments de preuve."


La loi du silence

Personne en Serbie même n'a tenté de savoir comment en temps de guerre ont été utilisées les entreprises publiques, tels que les transports, déclare Nataša Kandić et elle cite l'exemple des Chemins de fer de Serbie ainsi que l'enlèvement d'un groupe de Bosniaques à Strpci. Il existe une documentation qui est conservée et qui confirme que la direction des chemins de fer était de mèche avec la police pour attraper les soi-disant déserteurs.

"On devrait s'attendre à ce que mûrisse à un moment donné ce besoin d'établir dans quelle mesure les entreprises publiques, les firmes, ont participé sur ordre de la Sûreté de l'Etat, du ministère de l'Intérieur de Serbie et des organes politiques, aux déportations, aux déplacements internes de population à l'intérieur de la Bosnie, [ont participé] à l'envoi sur les sites d'exécution des personnes faites prisonnières."

Zoran Janić, un publiciste et traducteur qui est connu du public en tant qu'auteur du livre "Tišina u Abardarevoj" sur les travailleurs de la Radio Télévision de Serbie (RTS) ayant été sacrifiés dans les bombardements de l'OTAN en 1999, a récemment écrit :

"Les chemins de fer allemands ont adressé après la guerre des excuses publiques aux Juifs du fait que leurs trains et convois ont été utilisés pour les transports dans les camps d'extermination. Que faisons nous en Serbie, un demi siècle plus tard, où aucune excuse n'a encore eu lieu, si en plus nous savons que les autocars, avec lesquels les Bosniaques de Srebrenica ont été transférés sur les sites d'exécution, sont tous sans exception d'ici."

Janić déclare pour notre programme que la comparaison avec l'Allemagne ne vaut que sur le plan moral, l'ampleur et le caractère systématique des crimes ne pouvant bien entendu être comparés. Selon lui, il faudrait que soit ouverte en Serbie la question touchant à la responsabilité des institutions qui dans les années 90 ont été utilisées de diverses manières, en particulier parce que après 1995 on a continué avec de tels crimes d'Etat, désormais en Serbie même :

"Ce n'est pas le problème des directeurs des entreprises publiques, c'est le problème de l'Etat. C'est en fait le problème des institutions. Ici, il n'existe pas de volonté au niveau institutionnel pour faire face au passé. Cette loi du silence règne encore en ce moment même. Je vous citerai l'exemple de la RTS mais aussi l'exemple de l'assassinat de soldats à Topčider. Ce sont également des crimes d'Etat. De même que Srebrenica est un crime d'Etat. De même que des centaines d'autres crimes".

Source : slobodnaevropa.org, le 11 décembre 2009.