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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 16-12-2009 à 00:05:20

 
Exécution pré-électorale de l'état de droit

 

Par Ladislav Tomičić


La question de la grâce qui serait accordée à Mirko Norac sert de baromètre pour mesurer le patriotisme des candidats à la présidence. A se demander ce que le glorieux général fabrique derrière les barreaux.

Žitnik et Lipova Glavica - c'est ainsi que s'appellent les localités que le futur président croate aura à visiter pour autant que Dieu et la Justice existent. En ces lieux il dressera le front et observera une minute de silence, puis il déposera une gerbe de circonstance tout près de la plaque en marbre portant les noms inscrits en lettres d'or. En ces lieux ont été fusillées des personnes totalement innocentes. Leurs bourreaux en uniforme avaient arboré les insignes de l'Armée croate, mais l'honorable apparition du président et la piété témoignée là où les innocents ont fini leur vie laissera clairement entendre que les militaires ont commis un crime que l'Etat ne saurait cautionner, ni ne le fera. La société qui aura choisi ce président comprendra son geste et seuls les primitifs les plus endurcis oseront publiquement contester cet hommage rendu aux personnes assassinées.

 

Liquidés sans raison ni motif

Aucun d'entre eux n'avait appartenu aux formations paramilitaires ennemies, au contraire ils menaient une vie paisible avec les autres habitants, sans intention d'offrir une quelconque résistance aux unités défensives de l'Armée croate, en partageant le destin des combattants et des habitants de la ville. Chez aucun d'entre eux il n'avait été trouvé de poste émetteur, de fusil à lunette ; pour aucun d'entre eux il n'existait l'ombre d'un soupçon qu'ils puissent être des espions ou des tireurs d'élite. D'abord détenus puis conduits pour être exécutés, ils n'avaient rien eu pour s'y opposer. Ils furent emmenés par des personnes armées, détenus puis liquidés sans motif ni raison. Pour la plupart il s'agissait de civils de nationalité serbe, mais aussi croate.

C'est ce que la Cour suprême de la République de Croatie a établi au sujet des victimes et de leur sort.

Quatre des six candidats les plus sérieux pour devenir président de la Croatie ont annoncé qu'ils allaient gracier Mirko Norac, le général condamné à 12 ans de réclusion pour crimes de guerre. Un candidat à la présidence ne s'est pas prononcé clairement, alors qu'une seule candidate questionnée sur la grâce a répondu qu'elle "ne soutiendrait pas de grâce pour crimes de guerre avant que les deux tiers de la peine n'auront été purgées, en particulier pas dans le cas du général Norac".

"D'après les informations dont je dispose, il existe dans le cas du général Norac des circonstances qui lui donnent droit à être gracié. Si ces circonstances atténuantes devaient se confirmer, je n'aurais rien contre le fait qu'il soit gracié", déclare le candidat Nadan Vidošević.

Son rival acharné Andrija Hebrang annonce pour sa part à l'opinion :
"Si Norac s'adresse à moi pour être gracié, j'y consentirai certainement".

Le candidat Primorac ne veut en aucune façon être en reste dans cette joute amoureuse envers la patrie, ainsi dans la localité natale de Norac - à Otok tout près de Sinj - il a rencontré le père du général, Ante Norac. A cette occasion il a modestement laissé tomber :
"Il n'existe que deux citoyens d'honneur à Otok - Mirko Norac et Dragan Primorac [autrement dit lui-même]. C'est avec fierté que je viendrais à Otok, s'il m'était donné de gracier le général".

La réaction du procureur spécial de Serbie pour les crimes de guerre, Vladimir Vukčević - qui a jugé immorales et dangereuses lesdites déclarations des candidats à la présidence - n'a fait que nous renforcer dans l'idée que la question autour de la grâce doit surtout être considérée comme un baromètre pour prendre la mesure du patriotisme. Rien d'étonnant à cela, car la figure et l'oeuvre du général Norac sont le plus souvent traitées parmi l'opinion sur un ton patriotique et spectaculaire, sans que l'on rappelle le sombre épisode de son existence, celui qui l'a conduit derrière les barreaux.


Norac : Allons liquider un groupe de Serbes

Sur base des enquêtes menées, le Tribunal de première instance a établi que le 17 octobre 1991 dans les locaux de ce que l'on appelait le Quartier opérationnel s'était déroulé en fin de journée une réunion où les accusés Tihomir Orešković et Mirko Norac Kevo ordonnèrent aux personnes présentes de procéder à l'exécution d'un certain nombre de civils. Il s'agissait de civils qui préalablement, sur ordre des accusés Tihomir Oreškovič et Mirko Norac Kevo, avait été arrêtés sans motif aucun et qui sur ordre de l'accusé Stjepan Grandić avaient été internés dans des locaux préparés à cet effet, à l'intérieur de la caserne à Perušić. (Ces civils avaient été attrapés dans des appartements et des maisons, dans des caves et des abris, sur leurs lieux de travail ou encore dans la rue, par la Police militaire et par les membres de la 118ème brigade - et cela par ceux intégrant le groupe de reconnaissance de cette brigade). Le témoin Ivan Marković a déclaré que l'accusé Norac aurait dit : "Passons à l'action !", ce à quoi avait réagi Dasović en disant que lui n'irait pas. Lorsque Dasović eut tenté de s'opposer, ils lui ont sèchement coupé la parole - autant Orešković que Norac - et lorsqu'il eut continué à dire qu'il ne fallait pas faire cela les deux accusés lui ont répondu qu'ils en avaient discuté. (...) Il découle des propos du témoin Bolf que c'est justement Norac qui aurait déclaré "allons accomplir une mission - liquider un groupe de Serbes". Les enregistrements audio laissent entendre que c'est bien l'accusé Norac, lors de la réunion, qui a déclaré "Nous devons le faire, nous devons accomplir certaines exécutions sur certaines personnes". Toutes les personnes présentes à la réunion se rendirent sur la plantation de pins de Žitnik et Pazarište, où se sont alors produites les exécutions de civils - au moins dix - parmi lesquels on sait avec certitude que figuraient Boško Tomičić, Nikola Ivanišević et Milica Radmanović.

Ces constatations se retrouvent aussi dans le jugement rendu par la Cour suprême de la République de Croatie.

Chaque mot du texte aride qui décrit les événements pour lesquels le général Norac a été condamné fait partie de l'horreur oubliée, du traumatisme auquel s'est laissé aller une société sans aucune intention sincère d'y faire face. Les fantômes de cette histoire nous poursuivront encore longtemps, associés à ceux qui nous accompagnent - lentement mais sûrement - depuis un demi siècle déjà. Nous les apaiserons - lancerait le futur président qui se rendrait à Žitnik et Lipova Glavica afin de rendre tribut aux victime. Il est certain que ce ne sera pas Milan Bandić, un des candidats actuels qui la semaine dernière a visité la localité natale de l'individu condamné pour crime et ayant fait l'objet du verdict prononcé par un Etat de droit. Les journaux ont rapporté que le candidat Bandić a été accueilli "sur la place du Dr Franjo Tuđman à Otok par les membres de la famille du général Mirko Norac - son fils âgé de huit mois, son épouse Jelena et sa propre soeur - et ensuite il a été salué par Ante, le père de Mirko". Après le rassemblement, flanqué de son collaborateur Miro Laco, il a tenu une réunion à porte close avec Ante Norac. Miro Laco, au demeurant le parrain et meilleur ami du général condamné, est un homme qui a partagé avec lui les journées de combats à Gospić.

D'ailleurs, qu'est-ce qu'un "futur président" pourrait promettre au père d'un homme qui passe ses meilleures années en prison, mais qui dans la société est perçu comme un "héros et non pas comme un criminel" ? Que pourrait-il dire à l'abri des portes, et en présence du parrain et meilleur ami du détenu, si ce n'est qu'il fera libérer le fils en question. Ce candidat fait preuve, lui aussi, de clémence et de compréhension pour la situation de Norac. Bien auparavant, le 17 octobre 1991, il était arrivé qu'il n'y ait ni clémence ni compréhension.


Norac : Tirez, pourquoi ne tirez vous pas ?

Après la funeste réunion les gens avaient pris place dans des voitures personnelles puis s'étaient dirigés vers la plantation de pins à Žitnik, là où arriva un véhicule militaire avec les civils et où l'on procéda à leur exécution. A partir des déclarations des témoins il apparait clairement que tous ceux qui ont quitté la réunion du dénommé Quartier opérationnel se sont rendus sur le site de l'exécution et que sur ordre de l'accusé Mirko Norac ils ont abattu les civils. L'accusé Norac lui-même avait préalablement mis à mort une personne de sexe féminin dont l'identité n'est toujours pas établie. En revanche, en faisant feu sur une personne inconnue de sexe masculin son pistolet se serait enrayé. C'est ce que déclare le témoin Siniša Glušac, signalant que c'est justement l'accusé Norac qui a ordonné que les civils descendent du camion. C'est lui qui a dit aux soldats d'aligner ces gens. Il déclare que ceux qui sont venus de la funeste réunion s'approchèrent de ces civils à une distance de cinq à dix mètres puis s'immobilisèrent, jusqu'à ce que l'accusé Norac ne dise : "Qu'est-ce qu'on attend ?" C'est justement l'accusé Norac qui a séparé une femme du rang. Personne par conséquent n'a tiré tant que l'accusé Norac n'eut abattu cette femme. Après cela, il a tenté d'en finir avec l'homme inconnu qui auparavant s'était révolté, un homme qui avait pris à partie Norac. C'est alors que son pistolet s'enraya. Ensuite il ordonne à nouveau de faire feu, mais cette fois en utilisant les mots : "Tirez, pourquoi ne tirez vous pas !?"

Le témoin Glušac est inébranlable quand il dit que tous ceux ayant pris part à la réunion ont tiré et que le général Norac est le premier à l'avoir fait. On sait que la déposition de ce témoin a été confirmée par les dires d'Ivan Dasović, sur l'enregistrement audio, lorsque les personnes âgées sont sorties du camion et ont commencé à crier : "Vous n'allez quand même pas nous tuer, vous n'allez quand même pas nous fusiller !?" L'accusé Norac est celui qui déclare alors que chacun va en recevoir un qu'il doit tuer.

C'est ce qu'a établi la Cour suprême du pays dans lequel Milan Bandić, Nadan Vidošević, Andrija Hebrang et Dragan Primorac briguent la présidence, tout en rivalisant afin de montrer le plus de clémence à l'égard du général croate sous les verrous. Est-il besoin de dire qu'aucun d'entre eux à aucun moment ne s'est souvenu des victimes du général ?

Qui donc sera le président qui leur rendra hommage ? Est-ce que ce sera le candidat civilisé du SDP [1] Ivo Josipović ? Sera-t-il celui qui rappellera les raisons qui expliquent le "calvaire" que traverse le général ?

"Lorsque je serai président, j'y réfléchirai", a-t-il répondu à la question portant sur la grâce de Norac. Toutes les options ont été laissées ouvertes, mais cela ne lui est pas venu à l'esprit de mettre question le fait que Norac serve d'étalon pour mesurer le patriotisme. Josipović sait très bien que les positions claires lorsqu'il s'agit des crimes commis "de notre côté", ne sont pas opportunes ; que s'exprimer de la sorte réduirait à néant ses perspectives auprès du corps électoral de droite qu'il tente en vain de courtiser. Non, Ivo Josipović, n'est pas fait de cette étoffe. Le président qui rendra hommage aux victimes de Mirko Norac, et des autres responsables ayant pris part au crime en question, devra être attendu par la Croatie pendant des décennies encore. Et nous l'aurons si nous sommes vraiment, vraiment, vernis. L'hommage aux victimes de Žitnik et Lipova Glavica sera l'un des signes que la société a cessé d'être malade. Tout comme l'actuelle surenchère de "patriotisme" - entraînant que l'on piétine les ossements des personnes fusillées - est la preuve patente que la société croate est encore loin d'être rétablie. La guerre est visiblement une maladie qui peine à guérir.

[1] SDP : le Parti social-démocrate.

Source : h-alter.org, le 15 décembre 2009.