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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 14-12-2009 à 17:18:17

Cet article date de décembre 2008. Depuis lors certains changements sont survenus, comme par exemple la condamnation des cousins Lukić, mais dans l'ensemble il reste d'actualité car il traite du refus d'admettre les propres crimes, mais aussi du problème spécifique des viols.



Višegrad refuse d'admettre un passé macabre



Plus d'une décade après la guerre, peu d'habitants serbes sont prêts à affronter les horreurs qui ont été perpétrées sur les lieux.

Par Rachel Irwin et Edina Becirevic à Višegrad


Quand on lui a demandé si elle était consciente de ce qui se passait à Višegrad durant la guerre, le visage de la serveuse s'est rapidement renfrogné.

Elle ne sait rien, a-t-elle dit, tout en croisant ses bras et en jetant des regards nerveux à travers le café de l'hôtel, vide et sombre. Elle ne vivait pas ici à l'époque, a-t-elle dit.

Cela semble être un refrain partagé dans cette ville de la Bosnie orientale.

Nichée dans les montagnes et pouvant s'enorgueillir d'un pont en pierre ottoman, remontant au 16e siècle, qui enjambe majestueusement le fleuve de la Drina aux couleurs émeraudes, Višegrad pourrait difficilement être plus pittoresque.

Mais les beautés naturelles de la ville et de ses alentours démentent les horreurs qui se sont abattues sur la région au cours de l'été 1992, lorsque des paramilitaires serbes de Bosnie menèrent une violente campagne afin de débarrasser la région des Musulmans de Bosnie - les Bosniaques.

Cet été-là, comme nombre de témoins l'ont rapporté durant les procès au Tribunal de La Haye, le pont historique inscrit au patrimoine de l'UNESCO fut le théâtre d'exécutions d'hommes, de femmes et d'enfants bosniaques, dont les corps furent jetés dans le fleuve, souvent en plein jour. Avant que ne survienne l'automne, 3.000 bosniaques allaient être tués. Et beaucoup disparaître de manière plus simple.

Les cousins Milan et Sredoje Lukić qui font actuellement l'objet d'un procès au Tribunal de La Haye [1], , sont accusés de porter la responsabilité pour une multitude d'exactions commises à l'époque.

Ces hommes, qui clament leur innocence, sont accusés d'avoir brûlé vif 140 hommes, femmes et enfants dans des maisons ayant été barricadées.

Un compère de Milan Lukić, Mitar Vasiljević, a été condamné par le tribunal à 20 ans d'emprisonnement en 2002 pour s'être fait le complice du meurtre de sept bosniaques à Višegrad.

Dans leur décision sur l'affaire Vasiljević, les juges du tribunal ont écrit que Višegrad avait été soumise "à l'une des campagnes les plus vaste et brutale de nettoyage ethnique dans le conflit bosniaque". Ils ont ajouté que, proportionnellement, aucune autre ville de Bosnie, hormis Srebrenica, n'avait subi un changement plus drastique dans sa composition ethnique.

Avant la guerre, 60% des 20.000 habitants de Višegrad étaient des Bosniaques. Aujourd'hui, seule une poignée de survivants sont retournés dans ce qui est une ville à prédominance serbe.

Les tueries à Višegrad sont également reprises dans le premier chef d'accusation pour génocide qui pèse sur l'ex-président des Serbes de Bosnie, Radovan Karadžić, lequel a été arrêté en juillet après 13 ans de cavale.


L'Hôtel où convergent les accusations de sévices

L'hôtel doublé d'une station thermale Vilina Vlas, là où la serveuse a tiqué face aux questions, est à un saut en voiture du centre-ville et il est entouré de bois et d'un ravin escarpé tout de pierres. La page internet de l'hôtel vante les vertus curatives des eaux thermales et se targue d'une vaste salle de restaurant idéale pour les diners d'affaires.

Partant de cette douce description, personne ne soupçonnerait que Vilina Vlas ait pu servir à des desseins bien plus sinistres durant la guerre.

Selon le mémoire préalable du procureur dans l'affaire Lukić, Vilina Vlas "aurait servi à Milan Lukić et à ses paramilitaires pour détenir et interroger des civils musulmans bosniaques de sexe masculin ainsi que pour violer et asservir sexuellement des jeunes femmes musulmanes et des jeunes filles".

Ces événements à l'hôtel, et les allégations de viols, n'ont pas été repris dans l'acte final d'accusation dressé à l'encontre de Lukić. La présomption d'innocence liée à ces allégations doit par conséquent prévaloir.

Cependant, il existe un ensemble épais de compte-rendus qui suggèrent que quelque chose d'effroyable s'est déroulé au Vilina Vlas. Les sévices présumés - qui ont été rapportés dès 1992 par les Nations Unies, Amnesty International et des journalistes étrangers - étaient d'une gravité telle que certaines femmes auraient mis fin à leurs jours - dit-on - en se défenestrant du second ou du troisième étage. On prétend que des centaines d'autres ont été maintenues des jours et des semaines durant dans les chambres d'hôtes, où elles auraient été brutalement violées, mutilées et souvent tuées.

Dans l'une des nombreuses déclarations recueillies par le Research and Documentation Centre (RDC), à Sarajevo, une femme bosniaque parle de ses épreuves à l'hôtel avec les Serbes qui l'y avait amenée.

"Il m'a violée de 12h00 à 21h00 ce jour-là. Tout ce temps, il a tenu un couteau en main, ou à sa portée", dit-elle.

Les rares rescapés ont refusé d'être interviewés pour cet article, évoquant le traumatisme à raconter à nouveau leur histoire.

Ces jours-ci, Vilina Vlas s'occupe de visiteurs âgés qui viennent se baigner dans les eaux médicinales. A l'intérieur de l'hôtel, de lourds rideaux sont tirés sur la plupart des fenêtres et l'air est chargé par la fumée des cigarettes. Le mobilier dans le hall et le coin café sont d'un rouge foncé, mais amplement usés et défraîchis par les années.

La serveuse d'âge mûr, clairement mal à l'aise face aux questions portant sur le passé de l'hôtel, bat en retraite en traînant les pieds au travers de la salle de restaurant et elle descend les escaliers en direction du hall. Plus tard elle réapparaît avec un homme élancé qui s'assied et observe pendant quelques minutes les seuls clients du café. Il sera suivi par un homme plus corpulent, qui agit de même.

Toutes les tentatives d'interviewer le personnel au Vilina Vlas connaissent la même issue - ils disent ne rien savoir sur ce qui s'est passé durant la guerre.

Il n'y a rien qui indique que le personnel actuel ait travaillé au Vilina Vlas au début des années 90. Toutefois, nous leur avons parlé parce que comme tout autre habitant de cette petite ville, il est raisonnable de penser qu'ils aient certains souvenirs sur son passé récent, et - tant qu'à y travailler - qu'ils soient au fait de certains récits qui planent plus particulièrement sur l'hôtel.

"Višegrad est une petite ville. Ils ne peuvent pas ne pas savoir", a lâché Mirsada Tabaković, une Bosniaque qui s'est enfuie de Višegrad en juin 1992. Elle a accompagné les journalistes de l'IWPR à Vilina Vlas, et a assisté aux rencontres avec le personnel de l'hôtel.

Tabaković vit maintenant à Sarajevo, où elle vient en aide aux victimes de viol et prête main forte pour recueillir des déclarations auprès de ceux ayant survécu aux sévices présumés au Vilina Vlas.

"Elles sont toutes dans un état terrible", a-t-elle dit. "Elles souffrent de dépression et de trouble de stress post-traumatique. La plupart d'entre elles ne sont pas en mesure de vivre une vie normale."

Et Tabaković a subi le même traumatisme.

Le 19 mai 1992 - le jour où l'Armée Yougoslave se retirait de Bosnie - des soldats à l'accent serbe sont apparus sur le pas de sa porte, a-t-elle dit, et ont amené son mari, son beau-frère et son beau-père ; la dernière fois où elle les a vu vivants.

Tabaković a écarté ses mèches blondes de son visage et promené son regard sur la salle de restaurant - sur la serveuse au visage de marbre retranchée derrière le bar avec la machine expresso, sur les deux managers traînaillant à fumer des cigarettes, sur les clients âgés grimpant les escaliers en survêtement, et sur le gâteau à moitié entamé dans le frigo ronronnant du café.

"Comment est-ce que ces gens peuvent faire comme s'il n'y avait rien eu ?", demanda-t-elle incrédule.

Prendre un café dans un endroit comme le Vilina Vlas était proprement un tourment pour Tabaković, et elle s'agitait sur sa chaise en touchant à peine à son café.

"J'ai regardé ces murs en pensant au nombre d'histoires de souffrance jamais contées dont ils garderont le secret", a-t-elle observé plus tard. "Nous avons entendu bien des choses sur ce qui s'est passé au Vilina Vlas, mais il y en a tant dont nous n'entendrons rien, en particulier parce qu'ils ont décidé de ne pas inclure le viol dans l'acte d'accusation dressé contre [Milan] Lukić."

Comme l'IWPR l'a signalé en juillet, l'échec à poursuivre Milan Lukić au motif de viol a provoqué la rage et la stupéfaction parmi les victimes et les ONG.

Le procureur en chef Carla Del Ponte a omis d'inclure ces charges dans son acte d'accusation de manière à accélérer le procès, étant donné que le tribunal se voit contraint de boucler tous les dossiers d'ici fin 2009.

Del Ponte s'est retirée à la fin de l'année 2007, mais le bureau du procureur a attendu jusqu'en juin dernier - juste un mois avant que ne débute le procès - pour soumettre à nouveau le chef d'accusation. Les juges l'ont pris en considération trop tard et le procès a débuté sans que les charges n'en fassent partie.


Nous ne savons rien

Dans un local exigu non chauffé au centre de Višegrad, plusieurs membres du Parti social-démocrate indépendant (SNSD), un parti de droite, se serraient autour d'une longue table. Ils étaient avides de parler des problèmes économiques qui affectent la ville et des plans pour créer des opportunités d'embauche et des attractions touristiques.

"Nous comptons énormément sur le tourisme", déclara Brane Topalović, un des chefs du SNSD, au gabarit petit et les cheveux grisonnants. "Nous avons une station thermale, Vilina Vlas. Nous comptons agrandir ses capacités, et il existe des plans pour construire un autre hôtel ainsi qu'une piscine".

Questionné, il a prétendu ne pas être au courant de viols et de meurtres qui se seraient produits durant le conflit au Vilina Vlas, propriété de l'Etat.

"Ecoutez, je ne sais pas, même aujourd'hui, ce qui s'est passé à Višegrad", a-t-il dit, tout en soulignant qu'il ne s'est installé dans la ville qu'en 1996. "Je ne sais que ce que les gens m'ont dit".

Ce qui signifie ?

"Certains racontent une chose, d'autres disent quelque chose d'entièrement différent", a-t-il dit, semblant visiblement de plus en plus agité. Il a ajouté qu'il ne suit pas les procès au Tribunal de La Haye, il avait néanmoins rencontré Milan Lukić en 1996.

"[Milan] était un bel homme", a-t-il dit. "Il n'avait pas de problèmes avec l'application de la loi à l'époque."

Un autre membre du SNSD, un homme âgé en veste bleue, hoche de la tête en signe d'approbation avant de se lancer dans un discours sur les "Extrémistes musulmans" qui selon lui ont commencé le conflit.

"Selon la propagande, 3.000 musulmans ont été tués ici", a-t-il poursuivi. "Je garantis qu'il s'agit d'un mensonge. Ce qui s'est passé ici est une guerre civile."

Au fil des conversations qui s'enchaînaient, une réalité a fait surface : personne ne savait ce qui s'était passé durant l'été 1992, car ils prétendaient avoir vécu ailleurs, ou avoir déjà quitté la région. Ils ont dit qu'ils n'avaient pas vu de meurtres de leurs propres yeux, et par conséquent ils prenaient les récits sur les atrocités à Višegrad pour des rumeurs et rien d'autre.

Pensent-ils que les déclarations sur ce qui s'est produit au Vilina Vlas ne sont que des rumeurs ?

"Je ne sais pas", a répondu Topalović, le chef de parti.

A ce moment-là, un homme d'âge mûr assis tranquillement à l'arrière du local s'interposa. Il semblait mal à l'aise avec certaines des affirmations de ses amis et tenta de les expliquer.

Čedomir Gužina a grandi à Sarajevo et il a combattu dans l'Armée des Serbes de Bosnie durant les 44 mois que dura le siège de Sarajevo. Une fois la guerre finie, il est venu à Višegrad et a passé les quatre années suivantes au Vilina Vlas avec d'autres Serbes qui avaient quitté leurs villes d'origine.

"Personne n'a jamais mentionné les crimes dont parlent maintenant les gens", a dit Gužina. "J'ai entendu des gens en parler seulement après que Milan Lukić eut quitté la ville, après qu'un mandat eut été délivré pour l'arrêter. Peut-être que les gens qui étaient avec lui en savent plus long, mais personne ne parle de cela et nous ne savons rien."

Darko Andrić, un homme de grande taille avec un pull blanc, se tenait assis en écoutant les propos de Gužina. Au moment de la guerre il était enfant et il a dit que ses parents avaient quitté Višegrad au cours du printemps 1992.

"Même si quelque chose a dû se produire ici, personne n'est au courant", a-t-il déclaré. "C'est pourquoi il est stupide de répondre à vos questions. J'ai entendu dire qu'il y avait une sorte d'hôpital là-bas [au Vilina Vlas] durant la guerre. Ils disent que l'eau a des pouvoirs de guérison. Les blessés étaient là-bas et les médecins prenaient soin d'eux... des centaines de personnes ont été sauvées. Qui sait combien d'amputations ont eu lieu là-bas ?"

Selon les spécialistes, ce genre de déni est très répandu - et même prévisible - après que des atrocités ont été commises sur des populations civiles.

"Parce que vous ressentez une culpabilité sur ce que votre groupe à fait à cet autre groupe, vous échouez à le reconnaître. Cela se reflète sur vous", a expliqué à l'IWPR l'anthropologiste Gregory Stanton. Celui-ci, fondateur et président de l'organisation internationale Genocide Watch, est un ancien employé du State Departement des Etats-Unis, où il avait aidé à rédiger la résolution de l'ONU afin de mettre en place le Tribunal pour crimes de guerre au Rwanda.

En Allemagne, par exemple, cela a pris au moins vingt ans pour que le pays commence à assumer l'Holocauste, nous a expliqué Stanton.

Si la guerre en Bosnie a pris officiellement fin il y a 13 ans, certains observateurs sentent que les Serbes de Bosnie, en particulier, ont encore un long chemin à parcourir avant d'affronter leur propre rôle dans les atrocités commises, notamment quand il s'agit du crime de viol.

"Il existe des hommes qui admettront avoir commis des crimes contre l'humanité avant que de reconnaître le viol", déclare Sara Sharrat, une psychologue clinicienne, qui ces trois dernières années a codirigé un projet pour les femmes qui témoignent de violences sexuelles au Tribunal de La Haye et dans les tribunaux de Bosnie.

"On admet plus facilement dans les grandes villes, mais loin s'en faut de ce qu'il faudrait", a-t-elle dit à l'IWPR. "Mon impression est que cela n'est pas pour un proche avenir... Il n'y a guère eu de cicatrisation."

Une partie du problème, selon d'autres, tient au climat général de déni qui continue d'imprégner la partie serbe de la Bosnie - la Republika Srpska - et la Serbie elle-même.

Sonja Biserko, présidente du Comité Helsinki pour les droits de l'homme en Serbie, nous a expliqué que durant la guerre les médias en Serbie ont diffusé une quantité énorme de propagande pro-serbe, anti-bosniaque.

"Ce fut une guerre préventive contre une force [bosniaque] génocidaire - c'est ainsi que les médias ont présenté les choses", a-t-elle dit.

Même maintenant, a-t-elle ajouté, nombre de Serbes rechignent à faire face à ce qui s'est passé pendant la guerre, et ils semblent satisfaits de laisser cela à "l'histoire" pour établir ce qui s'est passé.

Une phrase commune répétée en Serbie actuellement est "l'histoire dira ce qui c'est passé", prétend-elle. "C'est ce que vous entendez tout le temps, même dans les médias."

"Mais qu'est-ce que l'histoire ?", demanda-t-elle. "'L'écoulement du temps ?"


Des suspects vivraient en ville

Assis dans un café en plein air sur les berges de la Drina, un Serbe de Bosnie alluma une cigarette et pointa vers le vieux pont ottoman.

"Regarde, ce pont a été construit en 1571", a-t-il dit. "Il y a autant de personnes tuées là [pendant la guerre] qu'il y a de briques dans le pont. C'est le plus grand cimetière."

Au bout d'un moment il a ajouté "je ne traverse jamais ce pont, j'utilise celui-là en bas pour aller travailler."

L'homme qui a vécu à Višegrad pendant l'été 1992 et qui continue encore maintenant, a ajouté que lorsque la Drina était remplie de cadavres, quelqu'un ouvrait une vanne sur un barrage situé en aval du fleuve pour les évacuer.

Il a accepté de parler à l'IWPR à condition de garder l'anonymat, car il craignait d'être pris comme cible pour s'être exprimé. Tout en parlant, il jettait des regards tout autour pour voir si quelqu'un observait. Parler de la guerre n'est pas quelque chose qui se fait ici.

Nombre d'habitants, a-t-il expliqué, se sont vus offrir de grosses sommes d'argent pour garder le silence, en particulier parce que l'on sait que certains criminels de guerre soupçonnés - et même condamnés - vivent en ville.

L'un de ceux qu'il a explicitement nommé était Oliver Krsmanović, un ancien associé de Milan Lukić. Tous deux ont été condamnés par contumace à vingt ans de prison par un Tribunal pénal de Belgrade en 2003.

Lukić et Krsmanović, avec deux autres hommes, ont été condamnés pour avoir enlevé 16 Bosniaques d'un bus dans la ville frontalière serbe de Sjeverin le 22 octobre 1992. Les hommes kidnappés furent emenés à Višegrad où ils furent torturés [2], puis exécutés sur les berges de la Drina, a prétendu l'accusation. Il reste à retrouver leurs dépouilles.

Jasna Sarčević-Janković, une porte-parole du bureau du procureur pour les crimes de guerre de Belgrade, a confirmé que Krsmanović est toujours dans la nature. Elle a dit que le bureau du procureur ne dispose d'aucune information sur ses allées et venues, et qu'il appartient à la police de l'arrêter.

Mais l'habitant de Višegrad à qui l'IPWR a parlé a prétendu savoir exactement où Krsmanović se terre.

"J'ai vu Oliver Krsmanović avant-hier", dit-il. "Il n'a pas quitté sa maison depuis des années. S'ils veulent l'arrêter, ils devraient venir me trouver, et je les aiderai à approcher sa maison de nuit. Je garantis qu'ils le trouveront dans sa chambre."

Buvant une gorgée de son expresso, il a dit ne pas savoir pourquoi Krsmanović n'a pas été arrêté, étant donné que ses allées et venues sont de l'ordre du secret de polichinelle dans la ville.

Quand on lui a demandé s'il avait été hanté par les choses dont il a été témoin, l'homme est resté tranquille un moment.

"Je n'ai pas pu dormir la première année [après que la guerre eut pris fin]", a-t-il dit. "Je prenais des somnifères. [Mais] je n'ai jamais rien fait qui puisse faire du mal à quelqu'un et je pense avoir beaucoup fait pour aider."

En quelques occasions, poursuit-il, il a caché des enfants bosniaques dans sa maison jusqu'à ce qu'il soit en mesure de les faire passer en territoire tenu par les Bosniaques.

Lorsqu'il s'est rassis sur la chaise couleur jaune du café, par à-coup successifs il a exprimé des craintes à s'exposer ou alors une vaillante volonté de parler franchement.

"Je n'ai pas peur", a-t-il dit. "Ils peuvent me faire ce que bon leur semble. Trois mille personnes [assassinées] sont plus importantes que moi."



[1] Condamnés depuis lors, comme il a été dit.
[2] La preuve par ces images dont je préviens qu'elles sont violentes.

Source : Višegrad Genocide Memories