Doutes sur les mérites des aides à la Croatie
Par Natasha Srdoc et Joel Anand Samy nov09
La politique d'élargissement de l'UE peut être sévèrement gâchée par une entrée hâtive de la Croatie dans l'Union si Zagreb ne met pas en oeuvre les réformes structurelles adéquates.
Le 14 octobre, le commissaire européen à l'Elargissement, Ollie Rehn, s'est une fois de plus félicité des progrès de la Croatie. Sa politique d'élargissement peut être sévèrement gâchée par une entrée hâtive de la Croatie dans l'Union européenne si Zagreb ne met pas en oeuvre les réformes structurelles adéquates.
La Croatie a reçu plus d'un demi-milliard d'euros de la part des contribuables européens pour l'aider à se réformer. Selon des hauts fonctionnaires européens, "une fois que la Croatie rejoindra l'Union européenne, les fonds envoyés par les contribuables des Etats membres vont quadrupler". Pourtant plusieurs années de suite, les contribuables européens lisent le même rapport européen sur le progrès : "Il n'y a eu aucun progrès pour empêcher les conflits d'intérêts... La corruption domine dans beaucoup de régions... Tandis que le nombre d'enquêtes sur les cas de corruption a augmenté, le nombre de poursuites est demeuré faible. Il n'y a eu que des enquêtes limitées sur les affaires de corruption au plus haut niveau et la poursuite de celles-ci est freinée par l'influence du politique." Le rapport sur le progrès indique aussi, "les amendements au code de criminalité, introduit de nouvelles règles sur la confiscation des actifs qui inversent le fardeau de la preuve pour les personnes impliquées dans le crime organisé ou les affaires de corruption". En pratique, elles offrent l'amnistie à un grand nombre d'anciens et actuels officiels qui ont accumulé des richesses inexpliquées depuis les années 1990. Ces amendements permettent aux individus proches du crime organisé de continuer à menacer, frapper ou tuer des journalistes d'investigation et tous ceux qui pourraient fournir de possibles preuves d'actes de corruption. Lesquels seront couverts par un système judiciaire corrompu et influencé par les milieux politiques.
Selon le rapport 2009 de l'UE, "le potentiel d'influence politique indue sur le système judiciaire persiste... Les menaces contre des journalistes qui travaillent sur des affaires de corruption et le crime organisé ont tendance à s'accroître. Il n'y a eu que peu de succès dans l'identification et la poursuite des auteurs et des instigateurs de certaines attaques physiques de journalistes. Les éditeurs et journalistes continuent de mettre en évidence des cas de pressions politiques. L'inquiétude sur la liberté d'expression persiste, y compris au niveau social".
En fait, l'assaut de la Croatie contre les médias est déplorable. Il y a un an, Ivo Pukanić, éditeur du groupe de médias indépendant Nacional, et son collègue ont été assassinés à Zagreb lors d'un attentat contre son véhicule. Un grand nombre de journalistes croates indépendants ont été physiquement attaqués et même des journalistes d'investigation demandent la protection de la police 24 heures sur 24, à l'image de celle fournie à Hrvoje Appelt, ancien journaliste d'Europa Press Holding.
Le parlement croate n'a pas traité la question de l'enrichissement illicite. En l'absence de réforme du système judiciaire, ces actes criminels ne sont ni l'objet d'enquêtes ni poursuivis. Il manque à Zagreb aussi bien la volonté politique que les instruments effectifs. Les citoyens espéraient de réelles réformes lorsque Ivo Šimonović, le ministre de la Justice, est entré en fonction à la fin 2008. Malheureusement, ces espoirs ont été brisés. L'affaire de blanchiment de 6 millions de dollars, qui a impliqué Brodosplit, et qui est connecté à quatre ministres du cabinet HDZ, le rôle controversé de Hypo Alpe Adria, avec des accusations de blanchiment et de prêt de plusieurs millions d'euros à l'élite politique croate sans aucun collatéral n'ont pas été résolus.
Maart Laar, star de l'Europe de l'Est et ex-premier ministre d'Estonie, a offert un conseil aussi simple que poignant à Zagreb, à l'occasion de l'International Leaders Summit, organisé par l'Adriatic Institute for Public Policy : "la première étape dans la lutte contre la corruption est d'être soi-même non corrompu", a-t-elle déclaré. Est-ce que les autorités de Zagreb sont prêtes à en tenir compte, à expulser de leurs rangs les politiciens corrompus et à mettre en place les réformes nécessaires ?
Nacional, l'hebdomadaire politique croate, a décrit "l'affaire de l'appartement" du premier ministre Jadranka Kosor, l'accusant d'avoir pris possession de l'appartement après que ses précédents propriétaires en aient été évincés. Le message envoyé aux propriétaires immobiliers légitimes est alarmant ; et pour la communauté internationale, la protection des droits de propriété en Croatie reste incertaine. Dans le récent indice 2009 de la liberté économique de la "Heritage Foundation", la protection des droits de propriété et la règle de la loi est en Croatie inférieure à la moyenne africaine.
La corruption est endémique. L'absence d'un système judiciaire indépendant offre un terrain fertile au crime organisé. La sinistre route des Balkans utilisée pour le trafic de drogues, d'armes et de personnes traverse la Croatie. Pour l'UE, la Croatie, par sa position géographique, est un important pays de transit pour la contrebande d'armes et d'explosifs. Cela devrait servir d'avertissement aux diplomates occidentaux à Zagreb et à Bruxelles encore sous le charme de la côte croate. Le capitalisme criminel fleurit en Croatie. Il est temps d'appliquer les solutions permettant d'éradiquer la corruption de la politique. Nous le devons aux contribuables et citoyens européens qui ont envoyé des millions d'euros vers des régimes corrompus. Nous le devons à des citoyens victimes d'un régime autoritaire et qui ont soif de liberté, de justice et de liberté économique.
L'enrichissement illicite doit être puni. Cela permettrait de sauver des vies de journalistes et de protéger les victimes de la corruption. Plutôt que d'envoyer de l'argent, les contribuables européens devraient insister sur le besoin d'envoyer des juges et procureurs qui auraient l'autorité de confisquer ces richesses inexpliquées.
Ceux qui sont complices du mal et aident un régime corrompu doivent en être tenus pour responsables. Sinon, ils seront rendus responsables d'avoir invité un "Etat mafieux" dans la communauté des nations souveraines qui s'efforcent de défendre la règle de la loi.
Note : Dans cet article la Croatie est à ce point décriée que leurs auteurs semblent vouloir provoquer un sentiment de rejet vis-à-vis de cet "Etat mafieux" qui n'aurait déjà que trop profité de l'argent du contribuable européen. Il faut savoir que Natasha Srdoc et Joel Anand Samy sont les cofondateurs de l'Adriatic Institute, un lobby anglo-saxon qui en Croatie s'était fait l'avocat de la coalition ayant envahi l'Irak et qui sert également la propagande de l'OTAN dont la Croatie doit s'efforcer d'être méritante. Autant dire un lobby, soi-disant think tank, qui ne comprend pas l'Europe et ne lui accorde pas une grande valeur.
Certes la situation n'est pas brillante en Croatie mais il ne faut pas non plus verser dans le catastrophisme, comme le font les auteurs de l'article. Au contraire, il faut garder à l'esprit que chaque jour qui passe l'Europe marque des points contre la criminalité et la corruption dans ce pays des Balkans où justement la mafia et le pouvoir politique corrompu sortent très affaiblis par la crise économique.