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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 25-10-2008 à 14:28:35

Un geste désespéré de la mafia

 

Le meurtre d'Ivo Pukanic est la culmination de la situation qui perdure depuis l'année 1999, lorsque avait eu lieu une tentative avortée de mettre au pas ce que l'on appelle l'organisation criminelle, a déclaré Milos Vasic. [1]

 

Comment en Croatie le terrain a-t-il été créé pour que se produisent des règlements de comptes répétitifs entre les membres des milieux criminels, qui ont culminé avec l'assassinat hier du rédacteur de Nacional ?

 

Le meurtre d'Ivo Pukanic est la culmination d'une situation qui perdure depuis l'année 1999, lorsque avait eu lieu une tentative avortée de mettre au pas ce que l'on appelle l'organisation criminelle. C'est alors qu'avait été menée une action qui, quoique dans une faible mesure, ressemblait à Sabre. [2] Cependant, cette mise au pas avait été mal préparée sur le plan du renseignement et menée à la hâte, ce qui avait conduit à ce que toute l'action fasse les frais de l'inaptitude de la justice croate. Depuis lors, les membres de cette organisation criminelle se cherchent les uns les autres alors que le contrôle sur le crime organisé avait été relâché bien avant cela, je dirais dès 1990, lorsqu'en Croatie, de même que chez nous, les criminels étaient apparus comme les plus grands patriotes, des héros avec des passés guerriers, avant tout fait de rapines.

 

La Croatie peut-elle mener sa propre version de Sabre ?

 

La Croatie est perçue dans le monde comme un pays non sérieux car elle ne peut rien mener de semblable à l'action Sabre. En Croatie il est actuellement impossible de mener quelque chose de la sorte étant donné que Sabre avait été préparée pendant des mois dans le cadre de l'action Svedok (témoin). Toutes les structures du système croate doivent partir de zéro, mais à la seule condition que soit créée la volonté de ne s'arrêter devant personne, pas même devant divers héros, paladins et patriotes.

 

Qui était Ivo Pukanic, quelles étaient ses relations avec les groupes criminels et comment décririez-vous le journal dont il était le rédacteur ?

 

Pukanic avait commencé sa carrière comme photographe journalistique en travaillant dans le magazine Start, plus tard il avait épousé une femme riche dont il avait investi l'argent pour lancer Nacional. Rapidement dès sa création, Nacional avait perdu de sa crédibilité car il existait un consensus général sur le fait que Pukanic était lié à Petrac et à d'autres durs à cuire. C'est ainsi que Nacional a été instrumentalisé tandis que Pukanic s'illustrait en justifiant et défendant Ante Gotovina. Il avait même obtenu le prix décerné par l'Association croate des journalistes pour l'interview avec Gotovina, dont il s'est avéré par la suite que c'était un faux. Nacional était, mutatis mutandis, ce qu'Identitet était à la Serbie. [3]

 

La pègre croate avait vu dans le personnage de Pukanic une sorte d'appui médiatique et un allié. Autour de l'année 2000, Pukanic avait commencé à se lier à Hrvoje Petrac et par la suite, après la victoire du Parti social-démocrate aux élections de janvier 2000, il l'avait conduit au travers des ministères en le présentant comme un homme d'affaires. Petrac est un homme très riche qui a été mêlé dans l'enlèvement du fils du général Zagorec conjointement avec Ivan Matekovic, lequel nous est bien connu depuis le 11 mars 2003. IL s'agit de cet homme qui était venu de Croatie pour visiter ses amis, les membres des Bérets rouges [4], le jour avant que ne soit assassiné le Premier ministre Djindjic. Il avait alors été attendu par Bosko Jovic, qui en ce temps-là était un officier de gendarmerie et deviendra un faux témoin dans le procès contre les meurtriers du Premier ministre Djindjic.

 

Ces derniers mois, Petrac avait accusé Zagorec d'avoir escamoté des diamants et des bijoux pour une valeur de cinq millions [de kunas], la propriété de Juifs croates ayant été rançonnés à l'époque du NDH et qui avait été planquée auprès de l'Eglise, lesquels diamants et bijoux étaient une caution pour acquérir des armes. Zagorec s'était ensuite réfugié en Autriche et il a récemment été extradé en Croatie.

 

Depuis lors les choses ont commencé à se bousculer. Ivana Hodak a été tuée, la fille de l'avocat du général Zagorec, ce qui avait également rendu nerveux Pukanic dès lors où ses liens avec Petrac et la mafia étaient bien connus.

 

Pukanic a été assassiné dans une action de la mafia de manière à le faire taire une fois pour toute. Il était probablement au courant de diverses choses qui menaçaient quelqu'un appartenant aux structures mafieuses auxquelles il était lié.

 

Le meurtre d'Ivo Pukanic est un geste désespéré de la mafia. Cela s'est produit dans un contexte où la police est très active, lorsque les structures mafieuses sous pression entreprennent ce genre d'initiatives. Pukanic a été éliminé en raison d'informations qu'il détenait. Il y a trois ou quatre jours de cela une nouvelle exclusive avait été publiée dans le Nacional selon quoi Ivana Hodak a été tuée dans un vol classique, et que son meurtre n'avait rien à voir avec la criminalité, ce qui indique fortement à quel point une grande nervosité avait régné avant le meurtre.

 

Ivo Pukanic est une sorte de Gradisa Katic qui aurait réussi dans la vie, de même que Hrvoje Petrac est une sorte de Dusan Spasojevic [5] qui aurait réussi dans la vie.

 

La réaction unanime de tous les facteurs politiques en Croatie concernant le meurtre de Pukanic est-elle prometteuse dans le sens où l'Etat entendrait sévir contre la criminalité organisée ?

 

Tous les facteurs politiques ont sévèrement réagi à cet événement, mais la police continue de ressentir qu'il existe un manque de volonté politique pour aller jusqu'au bout quitte à ce qu'en pâtissent les grands héros de la Guerre pour la Patrie. Tant que cette barrière n'est pas franchie, il n'en sera rien d'un substantiel règlement de compte avec le crime organisé.

 

Ces actes de violence sont en fait la continuation d'opérations criminelles par d'autres moyens. Le problème principal est une organisation mafieuse pleine aux as et ramifiée. Lorsque l'on commencera à questionner d'où leur vient cet argent, ces Mercedes et Hummers, autrement dit lorsque l'administration du fisc prendra les choses en mains, alors les choses commenceront à s'éclaircir. Je rappelle que le fameux Eliot Ness n'était pas un agent du FBI ni un policier, il était un agent du trésor.

 

D'un autre côté, je pense que les changements de cadres opérés sont une excellente manoeuvre. Le diplomate expérimenté Simonovic est arrivé à la tête du ministère de la Justice croate tandis que deux brillants policiers, Karamarko et Faber, ont été placés respectivement à la tête du ministère des Affaires intérieures et de la direction de la police. Si on laisse faire leur travail à ces trois-là, il existe l'espoir que soit assené un sérieux coup au crime organisé en Croatie.

 

Dans quelle mesure les effets de la lutte contre le crime organisé en Croatie se refléteraient-ils sur la région et la Serbie ?

 

Le milieu organisé croate, aussi bien que serbe, déborde avant toute chose sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, car les membres des groupes criminels, dans une bonne mesure, sont des camarades de guerre avec la double nationalité, des copains de guerre. Si on se lance en Croatie dans une grande mise au clair, alors tout le monde dans la région s'en portera mieux parce que ces organisations se renvoient les unes aux autres, ce qui en l'espèce sera favorable pour tous dans la région.

 

_______________

 

[1] Un journaliste serbe considéré comme l'un des meilleurs spécialistes des phénomènes criminels et mafieux dans la région.

 

[2] L'opération Sabre avait suivi l'attentat contre le Premier ministre serbe en février 2003 afin de réduire le crime organisé en Serbie.

 

[3] Pendant plusieurs mois avant que ne soit assassiné Zoran Djindjic, cet hebdomadaire avait publié des articles consacrés à la criminalité, tout en suggérant dans presque chacun des textes que les principaux inspirateurs de ces crimes devaient être recherchés au sein même du gouvernement serbe, allant jusqu'à accuser aussi son président, Zoran Djindjic. Après la proclamation de l'état d'urgence, cette revue n'a plus paru et la police a arrêté son rédacteur en chef, Gradisa Katic, estimant que le principal suspect dans l'affaire de l'assassinat de Djindjic était précisément le propriétaire et sponsor d'Identitet - Miodrag Lukovic Legija.

 

[4] Les Bérets rouges sont une milice mise en place par Milosevic et qui ont pris part à plusieurs guerres dans les années 1990.

 

[5] Dusan Spasojevic était le chef d'un clan mafieux. Il avait été soupçonné d'avoir organisé l'assassinat de Djindjic et fut tué par les forces de l'ordre le 27 mars 2003 au cours de son arrestation.