La
Serbie et la Chine sont-elles en train de renouer des relations
susceptibles d’impacter la trajectoire de Belgrade et d’ouvrir un
nouveau chapitre de la présence chinoise en Europe ? Sur fond
d’investissements massifs et de dialogue politique renforcé, les
deux pays sont en effet aujourd’hui engagés dans un partenariat
durable.
Ainsi, à l’occasion de la visite à Pékin de son
homologue serbe Aleksandar Vucic en novembre 2015, le Premier
ministre chinois Li Keqiang a encouragé les deux parties à
promouvoir la construction de parcs industriels le long du Danube et
à étudier des coopérations potentielles dans les domaines des
technologies agricoles, des petites et moyennes entreprises, de la
culture, de l’éducation et du tourisme ; tout cela afin de
parvenir à une coopération « gagnant-gagnant ».
Cette
annonce, si elle est assez spectaculaire, ne fait que s’ajouter à
une liste déjà longue qui s’inscrit dans la stratégie chinoise
de développement des infrastructures.
La multiplication des
projets pharaoniques chinois, qui coïncide avec des chiffres de
croissance moins importants, répond à une politique de long terme
de Pékin visant à réduire les frais de logistique et de transport
dans les exportations. L’objectif est aussi d’accroître les
échanges avec des marchés émergents, en vue de maintenir un taux
de croissance suffisamment élevé et ainsi de se positionner comme
un acteur économique et commercial incontournable pour les
prochaines décennies.
A ce titre, l’Europe centrale et
orientale attire Pékin, à la fois pour son emplacement géographique
qui en fait une possible voie d’accès vers le reste du continent
européen (à partir du port du Pirée notamment), mais aussi en
raison des multiples avantages qu’offrent cette zone, notamment en
termes de développement de la croissance économique et de la
consommation.
De son côté, la Serbie – qui n’est pas
encore membre de l’Union Européenne (UE) – a besoin d’importants
investissements dans ses infrastructures, est le plus important pays
des Balkans occidentaux, entretient une relation historique avec
Pékin et est donc tout naturellement le partenaire privilégié de
cette présence grandissante de la Chine sur le continent
européen.
Symbole fort de l’amitié entre les deux
pays, le « pont de l’amitié sino-serbe », qui franchit le Danube
à Belgrade, fut financé en grande partie à l’aide de capitaux
chinois (Exim Bank of China) et construit par la China Road and
Bridge Corporation (CRBC). Selon les accords signés le 23 octobre
2009 entre Belgrade et Pékin, le coût de la construction du pont
était de 170 millions d’euros, dont 25,5 millions financés par le
gouvernement de Serbie et 144,5 millions prêtés par la banque Exim,
avec une latence de trois ans, un taux d’intérêt fixe de 3 % par
an et une période de remboursement de quinze ans. La première
pierre du pont a été scellée en juillet 2010 par le président
serbe Boris Tadić et Wu Bangguo, président du Comité permanent de
l’Assemblée Nationale Populaire de Chine.
L’édifice a par
la suite été inauguré le 20 octobre 2014, à l’occasion du 70e
anniversaire de la libération de Belgrade.
Egalement, l’un
des investissements les plus révélateurs du renforcement du poids
de la Chine dans cette région est le projet de ligne de train à
grande vitesse entre Athènes et Budapest, via la Macédoine et la
Serbie (axe Niš-Belgrade-Novi Sad). L’ouverture de la portion de
cette ligne entre Belgrade et Budapest est prévue pour juin 2017, et
le trajet sera couvert à une vitesse moyenne de 160
km/heure.
L’intérêt pour la Chine est double puisqu’il
s’agit d’améliorer l’acheminement des marchandises en
provenance du port du Pirée vers l’Europe centrale, mais aussi
d’accélérer son implantation dans cette région. Signe de cette
implantation, la Bank of China prévoit l’ouverture de son bureau
d’Europe centrale à Budapest. A l’occasion de l’annonce de ce
chantier et en particulier de la ligne Belgrade-Budapest, Li Keqiang
a annoncé en décembre 2014 que celle-ci contribuera à améliorer
les niveaux de vie des deux pays, et accélérera le développement
des intérêts chinois, hongrois et serbes, ajoutant même que «
cette ligne ouvrira un corridor entre la Chine et l’Europe ».
Cette annonce fut précédée par la création d’un fonds
d’investissement chinois pour l’Europe centrale et orientale à
hauteur de 3 milliards de dollars, dont une partie finance ce
projet.
Mais ce n’est pas tout. La Chine s’est
également invitée dans le projet d’autoroute reliant Belgrade à
Bar (Monténégro), via Podgorica (distance totale de 445 km). La
partie serbe de cet axe routier est, entre Belgrade et Požega, sur
un terrain relativement plat et ne pose donc pas de problème
particulier. Le coût est plus important en approchant du Monténégro,
sur les 110 km séparant Požega et Boljare (à la frontière entre
les deux pays) où le relief est montagneux. Compte-tenu du terrain
accidenté en zone montagneuse, c’est ainsi le tronçon monténégrin
de ce projet qui est le plus coûteux et le plus difficile à
réaliser, puisque la distance Bar-Boljare, longue de 164 km, doit
compter 50 tunnels et 95 ponts ou aqueducs, pour un coût total
estimé à 2 milliards d’euros.
Devant les difficultés pour
le gouvernement monténégrin à trouver des partenaires financiers,
un partenariat entre le China Road and Bridge Group et la China Poly
Group Corporation, avec un financement assuré par la Exim Bank of
China à hauteur d’un milliard de dollars (remboursement sur 20
ans, avec un taux d’intérêt fixe à 2 % par an) fut annoncé fin
2011. Les négociations aboutirent en décembre 2014, et les travaux
débutèrent en mai 2015 sur la section Smokovac-Uvač-Mateševo.
Etant
donné la difficulté pour le gouvernement serbe à trouver des
financements sur le tronçon Požega-Boljare, il ne serait pas
surprenant de voir un accord être trouvé avec les investisseurs
chinois. Rappelons que le port de Bar intéresse tout
particulièrement la Chine, après ceux du Pirée et de
Thessalonique, ce qui pourrait justifier ces investissements.
Parmi
les autres secteurs dans lesquels les compagnies chinoises
investissent massivement en Serbie, notons l’énergie, avec
notamment la construction de la centrale Nikola Tesla B3, fruit d’un
accord fin 2011 entre l’entreprise énergétique serbe EPS et
plusieurs groupes chinois, pour un montant total dépassant les 2
milliards d’euros. La Chine investit également dans des projets
agricoles, profitant de l’absence des très strictes normes
européennes (ce qui d’ailleurs posent plusieurs problèmes dans
les négociations entre Belgrade et Bruxelles sur l’adhésion à
l’UE).
L’intérêt de la Chine pour cette région en
général, et la Serbie en particulier, repose donc en grande partie
sur les perspectives de développement, les salaires relativement
faibles (en comparaison avec l’UE), le bon niveau d’éducation et
les besoins en infrastructures qui freinent pour le moment la
croissance économique.
En témoigne, le 4e sommet entre la
Chine et des pays d’Europe centrale et orientale (PECO+1) qui s’est
tenu à Suzhou fin novembre 2015. Parmi les 16 participants côté
européen, 11 sont membres de l’UE, et tous bénéficient de
projets importants dans les infrastructures avec des financements
chinois (en particulier la Roumanie, la Grèce, la Macédoine, le
Monténégro et la Hongrie, en plus de la Serbie) qui s’inscrivent
dans la partie la plus occidentale de la « nouvelle route de la soie
».
Mais les ambitions chinoises peuvent aussi être qualifiées
de continentales. D’ailleurs, Li Keqiang a profité du dernier
sommet PECO+1 pour annoncer d’importants investissements dans les
installations portuaires en mer Noire, en mer Baltique et en mer
Adriatique, en plus des projets en cours. Les pays concernés y sont
très favorables, car ils y voient des opportunités de
développements dans les infrastructures que les finances de l’UE
ne peuvent plus assumer aujourd’hui.
Belgrade a donc
pris de l’avance, mais pourrait également servir de laboratoire
d’une présence de plus en plus forte des investissements chinois
dans les pays d’Europe centrale et orientale.
Source : http://www.iris-france.org/69299-quand-la-chine-marque-sa-presence-en-serbie/