Stjepan Krznarić, arrière-petit-fils du politicien Stjepan Radić assassiné par des Serbes, évoque dans un entretien exclusif pour Telegraf la haine entre les Croates et les Serbes, la façon dont il est venu en aide aux personnes durant les inondations, les raisons qui le feront revenir à Obrenovac, ce qui l'a poussé à offrir sa voiture aux victimes des inondations et bien d'autres choses encore.
Quand les inondations se sont abattues sur les Balkans, la page Facebook d'un musicien et blogueur croate, Stjepan Krznarić, plus connu sous son pseudo de blogueur Drito Konj, n'a pas manqué de faire vibrer.
Stjepan s'insurge contre le nationalisme et les organisations religieuses. Il voit dans les inondations un facteur d'unification qui pourrait réconcilier et unir les peuples vivant dans l'ex-Yougoslavie.
C'est dans un cours laps de temps que Stjepan a organisé un grand nombre d'actions humanitaires en Serbie et en Bosnie alors même qu'il provient d'une vieille famille croate. En effet, il est l'arrière-petit-fils du politicien croate Stjepan Radić qui à la date d'aujourd'hui fut assassiné en 1928 par le camp serbe !
Stjepan Radić fut atteint de plusieurs balles après des débats houleux au Parlement national puis succomba un mois plus tard de ses blessures. Cette année marque le 84e anniversaire de l'attentat contre Radić, assassiné pour de soit disant provocations du peuple croate.
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Je n'ai pas grandi dans un milieu qui ne supporte pas les Serbes, je dirais plutôt que mon milieu a toujours été “vigilant” envers les Serbes. D'après mes souvenirs, ma famille était bien plus vigilante envers le gouvernement et l'état. Je sais que dans la famille régnait une totale paranoïa, notre téléphone était sur écoute parmi d'autres choses. Et si les Serbes y sont pour quelque chose, alors moi je suis le Pape !
J'étais enfant, tous ces conflits me paraissaient fort abstraits car dans mon enfance j'avais noué connaissance avec des Serbes et des Slovènes et aussi toutes les nationalités existantes, sans arriver à faire la moindre différence. L'état, c'est-à-dire le gouvernement était en revanche très mal perçu dans ma famille.
Qu'est ce qui t'a poussé à venir en Serbie et à te lancer dans les secours ?
La même raison qui m'a poussé à aller en Bosnie et en Slavonie bien qu'en Slavonie nous n'avons guère été d'un grand secours parce que les bénévoles de la Croix Rouge nous ont pratiquement éconduit par leur indifférence. Ces inondations ont frappé des gens. Pas des Serbes, ni des Bosniens ni des Croates... simplement des gens !
L'idée première était de partir avec des amis et d'acheminer l'aide que nous avions collectée lors d'un concert humanitaire réalisé par nos soins. C'est alors qu'un premier article a fait le buzz, ce qui m'a donné l'occasion de rassembler beaucoup plus d'aide et d'organiser davantage de personnes.
Dans un premier temps le titre accrocheur “L'arrière-petit-fils de Stjepan Radić...” a eu le don de m'agacer puis j'ai compris que ça n'avait aucune importance et que ce qui compte est d'aider un maximum de gens. Peu importe si l'article a été repiqué sans mon accord à partir de ma page Facebook. Tel est le journalisme moderne : Détourne et augmente ton audience sur le dos du travail d'autrui.
Quoi qu'il en soit on va bientôt revenir à Obrenovac, j'ai entendu dire qu'il y a des villages dans les alentours comme Šamac qui manque probablement encore d'équipement agricole, ce serait donc bien que des gens me contactent pour m'orienter.
Nous avons appris que tu avais mis de l'argent de côté pour acheter ta propre voiture mais que tu as fini par offrir cette voiture à des fins humanitaires. Il s'agit d'un geste rare, qu'est-ce qui t'a incité à agir ainsi ?
Il ne faut pas y voir un geste très humain, ça devrait être parfaitement normal. Des gens ont fait pour moi de très belles choses, c'est en quelque sorte un juste retour des choses. Pour se faire une idée, deux jours avant que j'amène ma voiture en Bosnie, une amie m'a appelé pour me dire qu'elle possède un petit véhicule tout-terrain qui est en panne et que si j'arrive à le réparer je pourrais en faire ma propre voiture. Le juste retour des choses.
Certains de mes amis ont aussi leur voiture alors que moi j'ai un vélo. J'arriverai donc à me débrouiller. En revanche les gens qui ont tout perdu dans les inondations ne peuvent pas se débrouiller aussi facilement. Garder cette voiture uniquement pour la valeur qu'elle a sur le papier aurait été fort bête. Je regrette juste qu'il n'y ait pas plus de gens pour raisonner de la sorte.
Tu as parcouru la Bosnie, la Croatie et la Serbie. Est-ce que les gens se détestent vraiment ou est-ce que cette haine est le fruit d'une mauvaise politique et des médias ?
Tu parles d'une haine ?! En aucun cas. Ici et là surgit un débile quelconque (quel que soit sa nationalité) pour la ramener avec des histoires de peuples, de guerres et autres fantaisies, mais je n'en ai rien à faire. Les gens pensent qu'il est de la plus haute importance de connaître les faits de l'histoire, mais ce n'est pas vrai. C'est à nous qu'il appartient de créer l'histoire. Nous n'avons pas à nous appuyer sur ce qui fut. Certes, jadis des gens se sont tapés dessus. Il se trouve qu'ils étaient de telle nationalité. Mais qu'est-ce que j'en ai à faire ? Strictement rien. Je vois des idiots qui s'écharpent ponctuellement dans un centre commercial là où j'habite, or tous sont croates.
J'ai discuté avec tout un tas de gens et pas la moindre trace de haine. En revanche tous s'accordent pour dire que nos trois peuples se font, veuillez m'excuser, proprement enculer.
Nous sommes enfermés, coupés du reste du monde qui nous perçoit comme des nazes balkaniques toujours près à se lancer dans une guerre. Le pire est que ce sont les plus bruyants, ceux qui dirigent l'état, qui sont ainsi. Pour moi c'est le pied d'être en Serbie et en Bosnie, j'aime l'idée de pouvoir voyager et rencontrer des gens, il n'y a pas ce sentiment hermétique tel qu'il existait il y a vingt ans.
Qu'est-ce que tu penses de la sempiternelle haine entre les Croates et les Serbes ?
Je pense que cette haine n'existe pas. Là encore on s'appuie sur cette foutue histoire qui a de toutes façons été cousue par une poignée de gens poursuivant leurs intérêts personnels. Diviser pour régner a toujours été la meilleure formule. Ils nous poussent à nous détester alors qu'eux voyagent élégament dans leurs yachts et leurs avions à destination de régions tropicales en compagnie de mûlatresses bimbos ensuite ils se justifient par la tenue de rendez-vous politiques cruciaux.
C'est ainsi que des pauvres cons dirigent l'état. Dirigent... tu parles. On en a même trois dans les parages. Il n'y a pas de haine, juste de la manipulation. Si ducon élève le fils de ducon pour que celui-ci apprenne à détester quelqu'un qu'il n'a jamais vu, à quoi faut-il s'attendre ?
Crois-tu que l'espoir existe d'un avenir pacifique entre les Serbes et les Croates ?
Comme je l'ai déjà écrit, cela se fera lorsque la vieille génération montera au paradis et que des jeunes gens libéraux auront compris qu'ils doivent faire preuve de plus de courage, que chacun est en mesure d'apporter de gros changements. Il faut beaucoup de temps, on est bien d'accord, mais c'est possible. En ce qui me concerne l'avenir est déjà pacifique, il reste maintenant à ce que beaucoup plus de gens se fassent à l'idée.
Il faut juste veiller à empêcher des égoïstes, des attardés aux tendances nationalistes, d'être plus bruyants que nous. Juste cela. Dis-toi que si je viens à Belgrade et qu'un Serbe me tape dessus, je n'ai pas été tapé par un Serbe mais par un con. Ce même con m'aurait tapé dessus que je sois à Zagreb, à Sarajevo ou à Londres. Partout il y a des cons, évitons de ramener toute une nation à eux.
Qu'est-ce qui a changé dans ta vie depuis que tu as commencé à réaliser des actions de secours en faveur des sinistrés serbes et depuis que tu milites pour l'unification des Balkans ?
Je n'ai pas dormi depuis un mois, le temps me manque pour tout, je suis éreinté et je n'ai pas de voiture. Mais c'est super, vraiment super.
Qu'est-ce que tu envisages d'autre en ce qui concerne l'unification des Balkans ?
Je n'en sais trop rien. Il y a le projet d'un court-métrage dans lequel les habitants de toute l'ex-Yougoslavie expliquent n'avoir aucune haine pour personne, entendant par là les habitants des pays voisins. Il comportera une partie narrative qui retrace brièvement la fabrication de l'intolérance et toutes ces déclarations qui s'ensuivent. Cela dans notre langue et en langue étrangère. Il est temps que nous montrions au reste du monde que nous ne sommes pas des criminels belliqueux comme on se l'imagine. Il y aura d'autres choses encore mais qui restent à définir.
Est-ce que tes activités sur les réseaux sociaux pour venir en aide aux victimes des inondations ont donné des résultats ?
Oui, quelques uns. D'accord, peut-être que pour certains cela représente peu d'argent mais moi et les personnes qui avons envoyé les dons et nous sommes rendus dans les zones inondées nous considérons cela excellent. Certes nous n'avons pas réparé d'école ou de maison de soins de santé ni de maisons pour les gens mais nous avons donné tout ce que nous avions en nous pour soulager de nombreuses familles durant cette mauvaise passe.
Mon grand souhait est de réunir un maximum de gens pour revenir à Obrenovac, non seulement parce que cela s'avère plus facile de travailler ainsi mais aussi pour montrer réellement qu'il n'existe aucune haine ni rage. Nous ne sommes pas de ceux qui débattent de l'histoire pour mieux masquer un manque d'arguments, nous sommes de ceux qui faisons l'histoire.
Aussi peu que nous soyons, nous apportons de la joie à une personne concrète et lui rendons l'espoir que les choses peuvent s'améliorer. Et si tu montres que les choses peuvent aller mieux, tu as fais beaucoup. Nous nous efforçons de le démontrer au plus grand nombre.