La lettre d’Ivan :
En 2000, la classe ouvrière fut l’élément clé pour renverser le régime national socialiste de Slobodan Milošević. Les libéraux qui prirent le pouvoir n’ont jamais poursuivi en justice, ni repris leur fortune à ceux qui avaient volé les entreprises pendant le régime de Milošević. Au contraire, les libéraux ont pardonné à ceux qui se sont enrichis grâce à la guerre et ont légalisé leurs statuts d’entrepreneur, ils ont fait porter aux ouvriers la responsabilité de la guerre et les ont puni par la privatisation. Pendant douze ans, des ouvriers ont lutté pour leurs droits, utilisant les lois anti-corruption, forçant les libéraux à suivre leurs propres règles. Certains groupes d’ouvriers connurent un grand succès, comme ceux de l’usine pharmaceutique Jugoremedija à Zrenjanin, qui en 2007 réussirent à restaurer l’autogestion en tant qu’actionnaires majoritaires. Un grand nombre continuèrent la lutte inspirés par l’exemple de Jugoremedija.
Après dix ans de soutien quasi inconditionnel aux libéraux serbes, l’Union Européenne s’est fatiguée de la corruption de son protégé, ainsi que de son incompétence quant à la privatisation ou pour mettre un terme à la crise au Kosovo. L’Union Européenne a même enjoint le gouvernement serbe à résoudre les 24 cas de corruption les plus flagrants pour lesquels des ouvriers se battaient depuis des années, citant explicitement la privatisation de Jugoremedija comme exemple (cf http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/dsee/dv/0704_03/0704_03en.pdf)
Lors des élections de 2012, l’Union Européenne a décidé de soutenir les nationaux-socialistes, qui avaient entre temps rejeté Milošević et Šešelj, et tenaient surtout à faire leurs preuves auprès de Bruxelles. Les nationaux-socialistes firent campagne contre la corruption lors de la privatisation des entreprises, promirent de résoudre les fameux « 24 cas » et triomphèrent aux élections.
Parfait pour la classe ouvrière serbe, tout ça, non ?
Avez-vous jamais entendu des nationalistes soutenir l’autogestion ouvrière ? Même si ces ouvriers agissent formellement et légalement en tant qu’actionnaires majoritaires ? Cela n’est jamais arrivé et n’arrivera jamais.
La semaine même où les nationaux-socialistes ont formé leur gouvernement en août 2012, Zdravko Deurić, Milana Zlokas et deux autres personnes de Jugoremedija étaient arrêté-e-s sur de fausses accusations de fraudes. Alors que ces leaders ouvriers étaient en prison, Jogoremedija a dû arrêter la production et ne s’en est jamais remise. Elle est tombée en faillite en décembre 2012. L’Union Européenne n’a émis aucune objection au fait que le gouvernement serbe a obéi aux ordres de Bruxelles mais en arrêtant les VICTIMES de la corruption, plutôt que ses coupables (pour être précis, ce que nous avons ici est une situation où les criminels arrêtent les victimes, puisque l’état a autorisé le pillage qu’a été la privatisation, donc l’état est tout aussi coupable que les profiteurs qui ont pillé les usines.)
Des activistes de gauche qui ont soutenu les ouvriers dans les luttes anti-corruption depuis 2000 se sont réunis dans un collectif : le Maître Ignorant et ses Comités. L’été dernier nous avons lancé pour la toute première fois en Serbie, un projet d’aide légale pour les groupes d’ouvriers autogérés luttant contre la privatisation. Les groupes avec lesquels nous travaillons sont principalement issus des « 24 cas », qui sont maintenant, comme Jugoremedija, sous le feu des politiques anti-corruption du gouvernement, qui spolient les ouvriers de leurs droits d’une manière aussi dure que la corruption l’a jamais fait. De plus, nous luttons aussi contre la corruption dans les tribunaux et essayons d’articuler les luttes ouvrières.
Récemment, nous avons soumis une proposition de loi pour changer la Loi sur les Faillites, exigeant que les entreprises tombées en faillite soient rendues aux ouvriers pour être réorganisées. Ceci est basé sur de nombreuses recherches et des discussions pendant plus d’un an à propos du système yougoslave d’autogestion ouvrière et d’entreprise sociale ("društvena svojina"). Nous voulons apprendre de l’expérience socialiste yougoslave et adapter ses meilleurs aspects à la situation politique actuelle. Nous collaborons également avec d’autres groupes d’ouvriers autogérés, dont l’un a récemment soumis une demande à la Cours Constitutionnelle de Serbe pour abolir la Loi de Privatisation et pour restituer la propriété sociale aux ouvriers. Après l’amère expérience de Jugoremedija, il semble évident que l’autogestion des ouvriers dans une seule usine non seulement est impossible, mais a tendance à être dangereux pour celles et ceux qui la mènent.
En ce moment, nous organisons deux ou trois événements par semaine, voire plus (réunion d’organisation avec les ouvriers et les avocats, réunions publiques, etc.). Pour cela, nous avons besoin d’un espace adapté. Si nous avons réglé le problème de la salle, nous avons toujours besoin de chaises. L’idéal serait une cinquantaine de chaises (8 euros pièce) afin de continuer à nous réunir et à informer le public. Nous serions infiniment reconnaissants de votre soutien.
Ivan Zlatić, Ignorant schoolmaster and his Committees, Belgrade (Le Maître Ignorant et ses Comités, Belgrade)