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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 22-01-2014 à 09:56:10

 

 

Des relents de Guerre froide en Ukraine ? 

 

 

Gabriel Galice, président du Gipri à Genève, critique les personnalités et groupes de pression pro-européens qui attisent les tensions en Ukraine, en particulier Joschka Fischer, «concentré de l’Europe marchande et de ses affinités transatlantiques»

 

 

Faut-il vraiment tant de virulence dans le traitement de l’actualité en Ukraine? Pourquoi ce climat de Guerre froide, officiellement finie depuis plus de vingt ans?

 

Il conviendrait d’expliquer les enjeux stratégiques des uns et des autres, en commençant par l’histoire et la géographie. Le nom «Ukraine» signifie éloquemment les marches, les confins, la frontière en somme. Or ces zones sont à la fois des passages, des lieux de friction et des espaces tampons. Les Scandinaves, les Tatars mongols, l’Etat polono-lituanien, les Cosaques, les Russes marquèrent de leur empreinte l’ancienne Ruthénie. L’Ukraine fut tour à tour rapprochée et éloignée de la Russie. La République autonome ukrainienne proclamée en novembre 1917 se vit opposer par les bolcheviks la République soviétique d’Ukraine, en décembre. C’est après le traité de Brest-Litovsk (mars 1918) mettant fin à la guerre entre la Russie et l’Allemagne, que le pays occupé par les Allemands se dote d’un gouvernement national. Après la défaite allemande, la République populaire d’Ukraine est proclamée le 14 décembre 1918.

 

L’éclairage de Joschka Fischer (LT du 14.01.2014) sur l’Ukraine appelle davantage l’Europe à la confrontation qu’au partenariat. Joschka Fischer incarne deux périodes. L’une est celle de l’ancien dirigeant des Verts allemands, de l’ex-ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier de la République fédérale d’Allemagne, l’autre est celle de l’homme d’affaires, du président de Joschka Fischer & Company, concomi­tamment animateur des cercles euro-américains tel Albright Stonebridge Group, dirigé par Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’Etat du président Clinton, ou de l’International Crisis Group, think tank volontiers associé à l’OTAN. Au vrai, l’homme, en ces deux périodes, est un concentré de l’Europe marchande et de ses affinités transatlantiques. Il fut le consultant du projet de gazoduc Nabucco, visant à concurrencer les tuyaux russes car, aujourd’hui, l’Ukraine est un corridor énergétique. Les rivalités entre l’Allemagne et la Russie au sujet de l’Ukraine plongent loin dans l’histoire et Joschka Fischer les ravive, dans une nouvelle configuration de leadership américain. De la sorte, il vient relayer John McCain, le sénateur républicain qui soutient sans relâche les pro-européens de Kiev contre le gouvernement ukrainien russophile. N’importe-il pas qu’un dirigeant des Etats-Unis vienne d’Amérique expliquer aux Ukrainiens comment devenir de bons Européens?

 

La visée occidentaliste dissimule l’ambition de conquête économique et politique sous la dénonciation de la psychologie controuvée des adversaires, toujours brutaux. Tandis que nous serions, nous les Occidentaux, du côté des droits de l’homme, de la Vérité. Cette positivité intrinsèque nous permettrait d’alimenter des coups d’Etat plus ou moins feutrés et autres guerres humanitaires. Horizons et débats (n° 39, du 23 décembre 2013) évoque les analyses de Stratfor et nous apprend que la Fondation Konrad Adenauer, proche de la CDU allemande, soutient assidûment Vitali Klitschko (et son parti UDAR), figure de proue de l’opposition. L’extension en continu de l’OTAN, son encerclement de la Russie au prétexte de contenir l’Iran sont perçus par les Russes comme une menace contre leur sécurité.

 

L’Europe mériterait mieux son Prix Nobel de la paix en jouant la conciliation plutôt que la confrontation. La question se pose: l’Eurasie reste-t-elle un enjeu de la politique états-unienne, une partie substantielle de «l’échiquier» conçu par Zbigniew Brzezinski, ou ambitionne-t-elle de devenir un acteur de l’histoire mondiale, constituée d’ensembles distincts unifiés par la géographie, une vision, des projets? L’Europe américaine est-elle une fatalité? L’Europe européenne une chimère?

 

Pertinemment, un ambassadeur de France pose la question de savoir si nous sommes en guerre contre la Russie. Tout porte à le croire. Francis Gutmann écrit: «L’attitude des Européens est en outre absurde. Avec les Américains, ils ont manqué une occasion historique de repenser le monde. Pour ce qui concerne plus spécialement l’Europe, ils n’ont pas vu ou voulu voir que se présentait, avec la disparition de l’URSS, la chance d’une Europe allant de l’Atlantique à l’Oural, et même au-delà. Face à un avenir indéterminé, plutôt que de chercher à le construire, ils ont préféré se réfugier dans les comportements de la période antérieure.»

 

Il vaudrait la peine de remettre sur le métier le projet gaullien d’une Europe de Brest à Vladivostok. Ce serait la meilleure façon d’éviter le fiasco pointé par Joschka Fischer, sans parler des échecs à ­venir si les principaux dirigeants européens persistent à ne pas vouloir mettre leurs montres à l’heure.

 

 

Source : letemps.ch, le 22 janvier 2014.