Je sors de ma torpeur, incité par un article du Courrier des Balkans.
L'article du Courrier des Balkans propose une nouvelle charge contre Tudjman (typique de ce journal), cette fois par l'entremise d'un professeur d'université américain qui met sur un pied d'égalité l'oustachisme et le tudjamisne. Cette thèse me paraît un peu forcée et je vais vous dire pourquoi. Notons que le professeur semble lui-même deviner la faiblesse de sa thèse puisque d'emblée il nous dit “si le contexte avait été différent, je suis sûr que Tuđman se serait comporté exactement comme Pavelić”, mais alors on sort du domaine historique pour se ramener à celui de la simple spéculation.
Tout d'abord on pourrait dire que le tudjmanisme n'est pas comparable à l'oustachisme par l'ampleur de la violence qu'il déploie. Cet argument est un peu faible puisqu'il implique de quantifier la souffrance infligée et/ou subie. Néanmoins il est clair, sans entrer dans les détails, que l'oustachisme fut considérablement plus brutal et sadique avec ses ennemis déclarés que ne le fût le tudjmanisme.
Un argument beaucoup plus fort (cette fois apte à annihiler la thèse du professeur) consiste à dire qu'on ne peut pas mettre sur le même pied ces deux poussées nationalistes étant donné qu'elles n'ont pas connu le même destin.
Certes autant l'oustachisme que le tudjmanisme constituent les deux grands moments négatifs de l'histoire du peuple croate, lorsqu'un leader charismatique (respectivement Pavelić et Tudjman) parvient à cristaliser le nationalisme croate en lui impulsant un élan conquérant dénué de tout scrupule.
Mais il convient ensuite de considérer le sort qui a été réservé à ces deux éruptions du nationalisme croate. Toutes deux eurent une durée de vie limitée et s'achevèrent dans la confrontation avec un ennemi plus fort qu'elles.
En effet, l'oustachisme prend fin par la victoire des alliés durant la Seconde Guerre mondiale tandis que le tudjmanisme s'éteint avec la mort de Tudjman, ce qui fait alors pousser un soupir de soulagement aux pays occidentaux. (Rappelons que ces derniers n'envoyèrent aucun haut officiel pour assister aux funérailles de Tudjman).
Remarquons au passage que le tudjmanisme est défait par le même camp qui avait mis fin à l'oustachisme, à ceci près que ce camp est cette fois renforcé par les ennemis vaincus d'hier (c'est à dire par les forces de l'Axe : Allemagne, Autriche, Italie...). Ceci est important car ce qui incite les puissances occidentales à contrer le tudjmanisme tient au fait qu'elles ne souhaitent pas de désordre dans une de leurs nombreuses arrière-cours, en d'autres termes elles ne souhaitent pas de nationalisme virulent dans les Balkans, ce qui nuit évidemment à leurs intérêts économiques et géostratégiques. Notons aussi comme différence que l'oustachisme est vaincu par la force militaire des alliés alors qu'en ce qui concerne le tudjmanisme la puissance de feu diplomatique, économique, médiatique des Occidentaux (bref le soft power) fut suffisante pour le mettre en déroute et le ridiculiser.
Quel est alors le sort réservé à l'oustachisme et au tudjmanisme de la part du vainqueur ? Le mouvement politique et idéologique sur laquel s'appuie Pavelic est l'oustachisme. Dans ce dernier cas il ne fut pas question pour les alliés de le conserver sous une quelconque forme (pas plus que le nazisme) et ils décidèrent donc de le jeter séance tenante dans les poubelles de l'histoire.
En revanche le mouvement sur lequel s'appuie Tudjman est le HDZ. Or, on le sait, le HDZ n'a jamais été jeté dans les poubelles de l'histoire. Il fut en effet décidé qu'il pouvait être avantageusement recyclé. Au départ, sous Tudjman, le HDZ est un mouvement nationaliste qui parvient tout un temps à imposer sa doctrine (HDZ=Croatie ; anti-HDZ=ennemis de la Croatie), mais par la suite les puissances occidentales admettent la possibilité que ce dernier se transforme en un parti politique plus traditionnel. De fait peu après la mort de Tudjman le parti entrera dans l'opposition par la volonté des urnes, ceci pour une période de quatre ans, puis il reviendra au pouvoir mais comme un parti ayant atténué son discours extrémiste.
Certes le HDZ n'a jamais cessé d'être un parti fort corrompu, peu efficace et très conservateur mais il n'empêche que sa reconversion en un parti traditionnel a été globalement réussie... et d'ailleurs dans un pays méditerranéen l'un n'empêche pas l'autre. Par la suite il sera une seconde fois sanctionné par les électeurs qui l'enverront à nouveau faire une cure d'opposition (situation qui est toujours la sienne actuellement).
Donc le HDZ n'a absolument pas connu le sort de l'oustachisme, leurs destins divergent essentiellement (l'un a été délibérément supprimé et l'autre délibérément conservé à condition qu'il mette un bémol à ses excès). Aussi la thèse du professeur qui cherche à les rapprocher jusqu'à les confondre me semble-t-elle assez vaine.
Si le HDZ a été conservé c'est parce qu'il pouvait convenir aux puissances occidentales, il s'agit en effet d'un parti devenu éminement atlantiste sous l'égide duquel la Croatie a d'ailleurs rejoint l'OTAN.