Le parc à l’origine de la résistance au pouvoir
Cela fait déjà deux semaines que les habitants de Banja Luka protestent à cause de la destruction d’une surface verte dans le centre-ville. Toutefois, ce qui a démarré comme une révolte citoyenne contre le saccage de la ville est sorti de son cadre et a fini par canaliser le mécontentement des citoyens à cause de la mauvaise situation économique et sociale, à cause de la corruption et de l’enrichissement des oligarques agissant de mèche avec la classe politique. Cela explique que les structures du pouvoir ne sous-estiment pas ces manifestations qu’elles avaient pourtant qualifiées d’insignifiantes les premiers jours.
Le sourire narquois avec lequel les autorités de la Republika Srpska, la Ville de Banja Luka, ainsi que les médias à la solde du pouvoir avaient observé ces manifestations motivées par la énième destruction d’une surface verte dans la ville, a fini par céder la place à la nervosité. Les participants des manifestations, que le peuple a baptisés les « promeneurs », n’ont pas renoncé après deux semaines à exprimer leur révolte. De quoi inquiéter les structures gouvernantes quatre mois avant les élections locales. Les habitants de Banka Luka, au départ révoltés par ce nouvel accaparement d’une surface verte, disent lutter à la fois contre les oligarchies politico-criminelles et en faveur de l’état de droit.
Pour l’économiste Damir Miljević, qui participe aux manifestations, celles-ci ne s’arrêtent pas à la question du parc.
« Ces manifestations à Banja Luka ont transcendé le but initial et leur dimension première pour se transformer de plus en plus en une forme d’opposition au pouvoir », dit-il.
C’est justement ce pouvoir qui protège l’homme d’affaires Mile Radišić. Ce dernier a racheté en plein centre de Banja Luka une parcelle de 30.000 m² pour un prix dérisoire. A la place de cette surface verte Radišić construit aujourd’hui un bâtiment de vingt étages. Bien que les autorités municipales affirment que les procédures légales ont été respectées, l’opinion publique n’a toujours pas eu accès à la documentation sur la vente de ce terrain.
Pour Željko Ninković, qui travaille au Centre des initiatives civiles, le parc renvoie à tous les événements du passé récent.
« Regardez, à Banja Luka chaque jours des échoppes ferment, des petites et moyennes entreprises font faillite. Les statistiques sont impitoyables. Nous avons 156.000 personnes à Pôle emploi, Banja Luka compte 45.000 chômeurs. Les retraites les plus basses atteignent 160 marks. Si les citoyens ne percoivent pas maintenant la force que revêtent ces initiatives et ces marches citoyennes, que c’est le moment de s’engager et de déposer leur liste de revendication au regard de tout ce qui nous arrive ces vingt dernières années, alors j’ignore quand ils auront une meilleure occasion », déclare Ninković.
Acculés
Le psychologue Srđan Puhalo considère que le parc a servi de détonateur pour exprimer le mécontentement accumulé par les citoyens de Banja Luka.
« La difficile situation économique, sociale et politique a poussé à ce qu’un groupe de gens descende dans la rue et dise publiquement qu’il refuse la situation actuelle dans la société, qu’il est terriblement excédé par ce qui se trame dans la ville, et au-delà de la ville plus généralement dans la Republika Srpska », estime Puhalo.
Danijela Majstorović, professeur à la Faculté de philologie de Banja Luka, prend elle aussi part à ces défilés protestataires aux côtés d’un groupe de ses étudiants.
« Nous avons abouti à une impasse. Si nous observons les gens qui viennent, nous pouvons voir des professeurs, des médecins, des artistes, des étudiants, des citoyens, des ouvriers, par conséquent des gens de toutes les classes et couches sociales. Cette cause écologique visant à protéger l’environnement, aussi bien que le fait de se retrouver le dos au mur et de voir en cette protestation la seule force susceptible de repolitiser certaines questions, explique pourquoi les citoyens ont le sentiment de réellement signifier quelque chose, de ne pas seulement être un corps électoral anonyme qui est là pour faire ce qu’on lui demande », analyse Majstorović.
Le pouvoir est bien conscient que les manifestations à Banja Luka débordent la question du parc. On peut voir la preuve que les structures dirigeantes prennent très au sérieux le message envoyé par les « promeneurs » à quelques mois des élections locales dans le fait que les journaux inféodés au pouvoir publient ces jours-ci des reportages spéciaux dans lesquels n’apparaîssent qu’une seule version des événements : celle édictée par le pouvoir. La réunion tenue entre les patrons de presses proches du pouvoir avec l’homme d’affaire Mile Radišić peut aussi être interprétée comme un signe que les choses échappent au contrôle de l’establishment.
En somme, les frustrations accumulées par les citoyens augmentent de jour en jour. Pareil pour l’inquiétude que laisse trahir le pouvoir. Le Groupe Facebook pour soutenir le parc compte plus de 46.000 membres. C’est avec 10.000 de moins que le maire actuel de Banja Luka, Dragoljub Davidović, avait en son temps remporté les élections locales.
Source : e-novine.com, le 13 juin 2012.