La vie des uns aux abords de la colline de déchets
A vingt minutes de route seulement du centre de la capitale s’élève au bord de la Save une colline haute de cinquante mètres. Née au fil des ans par l’accumulation des déchets, une odeur insupportable s’en dégage et les habitants des localités environnantes, Mičevec et Jakuševac, vivent dans la crainte permanente d’une catastrophe… d’une explosion de gaz qui les effacerait de la surface de la terre.
Nous sommes à l’entrée de la décharge publique de Prudinec-Jakuševec, installée à une vingtaine de minutes du centre de Zagreb. A distance régulière, les camions poubelles gravissent une colline artificielle toute de déchets qui domine sur une hauteur de presque cinquante mètres. Au-dessus des mouettes tournent en rond dans l’attente que les chauffeurs aient déversé leur chargement afin qu’elles puissent s’emparer de la nourriture. Il est en ainsi depuis des décennies. Au pied de la décharge s’étalent des tas de compost sur une diagonale de plusieurs centaines de mètres. C’est l’usine de biocompost ouverte il y a quatre ans. Le week-end elle ne fonctionne pas.
Dans la localité il est interdit d’élever des porcs, parce qu’ils puent. Et ça par contre ? Bien des gens à Zagreb s’imaginent que les déchets se trouvent quelque part tout près de Sisak sans même savoir où est Jakuševec. J’ignore pourquoi on ne leur explique pas… pour leur dire les quantités et le danger dont il est question. Le problème concerne tout Zagreb. Cette colline est sans borne, elle restreint Zagreb dans son expansion… Une colline aussi peu naturelle au bord de la Save, dont nous prétendons faire un fleuve navigable, est inexplicable, fait remarquer mi-figue mi-raisin Ivica Barukčić, le président du conseil du Comité local de Mičevec, lequel nous attendait à l’entrée de la décharge.
A Mičevec comme dans un ghetto
Mičevec est une localité qui n’est séparée de la décharge que de quelques centaines de mètres à vol d’oiseau. Selon Barukčić, plus personne ne veut s’y installer. Avant la guerre y vivaient plus de 1.300 habitants alors qu’aujourd’hui on n’en compte que 1.250. A cause des déchets, explique-t-il. A cause de la puanteur insupportable qui s’échappe de la décharge mais aussi de la bombe écologique potentielle due à la concentration des gaz dans les déchets.
Nous lui demandons sil les rumeurs sont fondées. S’il est possible qu’une explosion de gaz sur la décharge aurait pour effet de tout raser dans un cercle de cinq kilomètres.
Bien sûr que
c’est vrai, les déchets ont déjà explosé deux fois sur terre ; dans la
décharge il s’en est fallu de peu récemment qu’il n’y ait un accident, la
police est venue et a bloqué la décharge ; par la suite nous avons appris
que les biofiltres étaient hors service… répond Barukčić d’une seule traite.
La semaine dernière, la décharge de Prudinec a été visitée par la ministre de
l’environnement et de la nature, Mirela Holy, accompagnée du maire de Zagreb,
Milan Bandić, et des gens de la mairie.
Ils sont tombés nez-à-nez sur une centaine d’habitants de Mičevec et de
Jakuševac venus à grand renfort de masque à gaz, d’un orchestre funèbre et d’un
cercueil. Leur but était d’attirer l’attention sur ce problème qui ne saurait
être remis à demain. L’accumulation des déchets doit cesser, la décharge doit
être fermée parce qu’elle pollue l’air et l’eau, sans parler du danger
d’explosion, signalent les habitants que nous rencontrons dans le café du coin.
Ils nous disent qu’ils vivent dans une sorte de ghetto, en effet la gare de triage
et l’aéroport s’ajoutent aux déchets qui peuplent leur environnement.
Mes amis, lorsque le vent se met à souffler, il nous faut fermer les fenêtres tant le gaz est concentré. Les matins d’été il arrive qu’un brouillard s’échappe de tout cela, raconte Vlado Marinčević Buco.
Lui aussi relate l’accident survenu il y a un mois et demi, lorsque la pression avait bloqué les valves et endommagé une partie du système où sont brûlés les gaz de la décharge.
Il s’en
est fallu d’un cheveu que ne se produise une explosion, aujourd’hui nous ne
serions pas ici. La solution est de faire partir les déchets, mais aucun
pouvoir, ni l’ancien ni l’actuel, pourris à tous les niveaux, n’ont rien
entrepris. Ce sera à nous de faire quelque chose. Vous avez pu noter quelle
colonne de camions est née lors de la récente manifestation, lorsqu’ils n’ont
pas pu décharger les détritus au sommet de la décharge, martelle Buco.
Celui-ci se moque des deux mille kunas de rente écologique qu’il reçoit pour combler
la différence entre la valeur de marché et la valeur amoindrie des propriétés
qu’implique la proximité de la décharge. Tout ce qu’il veut, c’est que les
détritus disparaissent au plus vite de l’horizon de sa maison.
Les habitants de Mičevec nous rappellent que les déchets ne sont pas recyclés, ce qui veut dire que tout et n’importe quoi atterrit sur la décharge, que ce soit des gravats, des pieds humains venus de l’hôpital, des médicaments ou d’autres choses.
Le président de l’Assemblée municipale, Davor Bernardić a dit que le problème sera résolu par une autre génération, glisse Juraj Špišić, l’un des anciens de la localité.
Il suggère aux responsables de trouver un autre emplacement pour stocker les ordures. D’après lui, la meilleure solution est une usine d’incinération telle qu’il en existe à Graz ou à Paris, qui en possède même trois.
Avec tous les assainissements réalisés à ce jour, on aurait pu construire deux incinérateurs. A partir des déchets on peut produire du courant, mais personne n’y a intérêt dès lors où il n’empocherait rien. Personne n’a demandé à Bandić pourquoi rien n’a été incinéré comme on nous avait expliqué que ce serait fait si la décharge n’était pas assainie d’ici 2012. Ne me dites pas que la ministre de l’environnement a le sens de l’écologie quand on voit toute la peinture qu’elle porte sur elle [sans doute une remarque inélégante sur son maquillage, N.d.T.], s’insurge Špišić à propos du comportement des politiciens.
La gorge et les yeux qui brûlent
A quelques minutes de route de Mičevec se trouve sa sœur voisine Jakuševac. De son centre s'étale la vue sur la colline de détritus, presque à un jet de pierre. Une odeur d’étable se dégage de certaines cours. Une femme âgée, appuyée contre la clôture, nous dit qu’il existe peu de vaches dans le village et qu’elles n’ont empoisonné personne.
Si vous saviez quelle puanteur ; ça brûle la gorge et les yeux, à s’étouffer, dit-elle le doigt pointé sur la décharge. Le pire est en été lorsque souffle le vent. Notre peur est que quelque chose de pire n’arrive. Nous sommes nés ici mais personne ne cherche à nous comprendre.
Au café du coin s’étale un panneau d’affichage sur lequel on peut lire les concentrations de gaz de décharge planant dans l’air, lesquelles sont mesurées une fois par mois. Au regard des valeurs maximales de chlorure et de sulfate tout a l’air en ordre, aucune crainte à se faire. Toutefois, Željko Vrban, un habitant qui a porté en personne le cercueil à l’arrivée de politiciens, déclare que ces paramètres sont mesurés lorsque les conditions climatiques sont idéales. Il est assez bien instruit des problèmes de la décharge.
Lorsque la ministre et le maire ont annoncé qu’ils se rendraient sur le site, pendant trois jours et trois nuits on a veillé à amener de la terre de façon à aplanir et donner l’impression que le dépôt est correctement assaini. Et lorsque la société Industrogradnja a assaini la décharge la première année, pour la première fois, ils ont respectés toutes les règles, que ce soit l’évacuation, la conduite de gaz… Ce fut le meilleur assainissement ! Ensuite ils sont tombés dans la mouise et les autorités ont confié la décharge en 2005 ou 2006 aux frères Žužul (Slaven et Jozo, les propriétaires de la société Skladgradnja, N.D.A), qui ont reçu pour ce faire 130 millions de dollars. Mais eux ne s’en sont pas tenus aux règles comme le remblaiement, le talus, les bâches… de sorte que la troisième surface s’est affaisée de sept mètres et demi. Maintenant pour assainir la troisième des quatre surfaces, il faut encore trois ans. Et pour la quatrième surface quatre autres encore, m’a confié un ingénieur, nous affirme Vrban.
Il avertit que seuls 20% des gaz s’échappent des déchets tandis que 80% restent dans les détritus. Cela en dépit des bouches d’aération placées sur les conduites où circule le gaz, des conduites placées sous terre.
Est-ce à dire qu’un danger menace, lui demandons-nous.
Il suffit qu’un incendie éclate là-haut, là où les gars rassemblent du cuivre et brûlent des câbles. Et les gens fument…, nous dit-il.
Jakuševec attend un incinérateur
Nous
avons appris que chaque jour arrivent entre 600 et 800 tonnes de déchets sur le
site. D’après Vrban, on trouve de tout, personne ne saurait dire quoi avec
certitude. On se demande où sont passés les déchets dangereux de l’ancienne
armée, stockés dans l’entrepôt de l’incinérateur Pluto qui a brûlé en 2002.
Il s’énerve contre Bernardić, le président de l’Assemblée municipale, un
monsieur qui a terminé la faculté mais qui prétend que le problème de la
décharge trouvera sa solution avec la prochaine génération. Il pense aussi que
jusqu’il y a peu la ministre Mirela Holy ne savait pas le moins du monde où se
trouvait la décharge.
Afin d’attirer à nouveau l’attention sur le problème, nous serons contraints
de fermer la décharge pendant deux ou trois jours, et on verra alors ce qu’on fera
des déchets lorsqu’il fait 35 degrés. Nous le pouvons, le terrain de décharge
n’a même pas de permis d’emplacement ni de construction. On ne ferait donc que
fermer quelque chose d’inexistant. Je pense néanmoins que l’on attend l’argent
de l’Union européenne pour construire un incinérateur que nous recevrons,
soyez-en sûrs, d’ici 2016, affirme Vrban.
Le président de l’Assemblée municipale était un gars bien jusqu’à hier aux yeux de Kata Vučković, mais aujourd’hui elle n’en dirait plus autant. Cela fait deux ans qu’elle est venue s’installer ici après avoir quitté le quartier de Sopot à Novi Zagreb.
Lorsque j’ai acheté l’appartement, ils avaient dit que la décharge serait assainie. Malgré tout je ne regrette pas d’avoir aménagé, lorsque ça pue, je ferme la fenêtre, nous assure-t-elle.
Source : snv.hr, le 18 mai 2012.