Zagreb-Sarajevo : Les résistances au cœur de l’Europe en pleine crise des Balkans
par Eric Toussaint
Du 5 au 19 mai 2012 se déroule à Zagreb (Croatie) le 5e "Subversive Festival", il sera suivi les 19 et 20 mai 2012 de la première "antifest" à Sarajevo (Bosnie Herzégovine). A Zagreb, chaque soir, au moment de la conférence principale de la journée, la grande salle de cinéma où se déroule le festival est remplie à craquer (environ 600 à 700 personnes dont une centaine personnes debout dans les travées ou assises par terre). Parmi les invités des conférences du soir : Michael Hardt, Tariq Ali, Slavoj Žižek, Saskia Sassen, Samir Amin, Bernard Cassen... Chaque jour se succèdent des ateliers avec en général une centaine de participants venus principalement des Balkans : activistes étudiants, militants syndicaux, dirigeants d’associations citoyennes, représentants d’’ONG, journalistes des médias alternatifs... Parmi les thèmes abordés : "Qu’est-ce qui ne va pas avec l’UE ?", "Les résistances en Europe", "Une autre Europe est-elle possible ?", "Le rôle de la gauche européenne", "Démocratie directe ou représentative ?", "La longue marche de la contestation : des Forums sociaux au mouvement Occupy et aux Indignés", "En défense des biens communs", "La situation sociale actuelle dans les Balkans", "Désindustrialisation et résistance ouvrière" (voir le programme complet sur http://www.subversivefestival.com/u... ). De nombreux films ont également été présentés dont Catastroika, le dernier documentaire de Aris Chatzistefanou et Katerina Kitidi, les réalisateurs de Debtocracy.
C’est un véritable succès
Le thème de l’audit de la dette et de la nécessité d’annuler la dette publique
illégitime a rencontré un écho réel dans les médias et dans les débats.
Alors qu’il y a un peu moins de 20 ans s’est déroulée ici la dernière guerre
européenne en date dans un contexte d’éclatement de la Yougoslavie et d’une
restauration brutale du capitalisme, il est enthousiasmant de constater que
progressivement renaît un mouvement anticapitaliste dans la jeunesse et parmi
les travailleurs. Un mouvement qui cultive internationalisme, le refus de
toutes les formes d’oppression, la volonté de développer différents outils pour
une véritable démocratie... La grande majorité des organisateurs - trices de
cette importante rencontre internationale ont entre 25 et 40 ans, ce qui est
très bon signe.
Je suis intervenu comme conférencier dans deux panels l’un sur le thème de la
crise en Europe et l’autre, en soirée dans la grande salle de cinéma, sur le
thème de "La longue marche de la contestation : des Forums sociaux au
mouvement Occupy et aux Indignés" (en compagnie de Bernard Cassen et de
Samir Amin). J’y ai notamment abordé les idées présentées dans le texte "Le contexte
international des indignations mondiales. "
A l’occasion de cette cinquième édition du Festival subversif le comité
d’organisation a mis à l’ordre du jour la proposition de la mise sur pied d’un
Forum social des Balkans. Les deux dernières journées y étaient entièrement
consacrées. Lors des débats inaugurant les travaux, on a passé en revue les
politiques de choc appliquées en Roumanie, en Bulgarie, en Albanie et en
Bosnie, et celles un peu moins brutales mises en place en Slovénie et en
Croatie. La Grèce, autre pays des Balkans fortement représenté lors de la
présente conférence, est en train de vivre ce que les populations de plusieurs
pays mentionnés plus haut ont subi avec quelques années d’avance. La nouveauté
avec la Grèce c’est que ce qui s’y passe coïncide avec une crise majeure de
l’Union européenne et qu’une partie importante du peuple grec (sa population
urbaine et sa jeunesse notamment) réagit en votant pour la gauche radicale. La
thérapie de choc et les résistances à celles-ci n’ont pas commencé avec la
Grèce, par contre ce qui se passe dans ce pays constitue un point d’inflexion
possible de la crise de l’intégration européenne sous la conduite du grand
capital. On ressent néanmoins la faiblesse criante de la solidarité entre
peuples européens : les Roumains, les Bulgares, les Hongrois, sans oublier
les Lettons n’ont pas reçu le soutien international qu’ils auraient dû recevoir
pour faire face aux pires politiques néolibérales, pourtant ils ont lutté (voir
Damien Millet et Eric Toussaint, AAA, Audit, Annulation Autre politique, Le
Seuil, 2012, chapitre 6). Les actions de solidarité avec le peuple grec sont
plus fortes mais elles restent nettement insuffisantes et surtout fait (encore)
défaut un véritable mouvement social européen de résistance au néolibéralisme.
Le Forum social européen est en crise depuis 2008-2009 et n’a pas l’air d’être
en état de se relever. De nouvelles initiatives comme la Joint social
conférence (voir Résister
à la Dictature de la Finance – Reconquérir la Démocratie et les Droits
Sociaux ! ) ou la création du réseau ICAN (Réseau international des
audits citoyens de la dette, voir Des efforts
coordonnés en Europe et Afrique du Nord pour lutter contre la dette et
l’austérité ) constituent des initiatives prometteuses qu’il faut soutenir
et renforcer mais elles sont bien fragiles face à l’offensive néolibérale et à
la stratégie du choc appliquée dans la plupart des pays d’Europe. On verra si
le mouvement des Indignés qui s’est redéployé en Espagne à partir du 12 mai
2012 va réussir à s’étendre comme l’année passée ou sous une autre forme.
L’histoire ne se répète pas, elle bégaye… surtout il est vital de réagir, de
lutter, de s’unir pour changer les rapports de force au bénéfice des peuples
face au 1% qui nous domine. Le Festival subversif et l’Antifest sont des jalons
enthousiasmants dans ce combat.
Source : alterinfo.net, le 18 mai 2012.