Interview : Srđan Puhalo
Le mécontentement que manifeste de plus en plus fort la population face à la situation économique et sociale a poussé le président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, à s’engager pour, comme il le dit lui-même, tenter de régler la situation dans le gouvernement et les entreprises publiques.
Qu’en pensez-vous, sachant qu’en vertu de la Constitution le président n’a pas d’attributions sur le gouvernement ni sur l’Assemblée nationale de la Republika Srpska ?
En agissant ainsi il n’a fait que confirmer qu’il est le chef dans la maison. Nous savons tous, même s’il exerce les fonctions de président de la Republika Srpska, qu’il cumule en lui aussi bien le président que le Premier ministre et la moitié des ministres, en un mot, qu’il est l’homme sans qui rien ne peut être fait sans son aval. C’est un point. L’autre point très important est qu’il a tenté de se retirer quelque peu, d’agir dans l’ombre, mais cela ne semble pas faisable parce que les attentes des citoyens sont telles qu’on retrouve Milorad Dodik à chaque problème à résoudre. D'un autre côté le manque d’argent se fait sentir, l’argent doit être dépensé avec parcimonie et il est peu de gens qui peuvent décider où cet argent doit aller. De là vient sans conteste qu’il a repris l’initiative. Le troisième point à considérer est que cette image de sa toute-puissance qu’il cultive, depuis le premier jour où il est devenu Premier ministre jusqu’à maintenant encore, a créé chez les gens l’irréelle disposition d’attendre tout de l’ex-Premier ministre Dodik, désormais président. Et je pense qu’il s’en régale, mais le problème est que la situation sur le terrain devient terriblement compliquée et qu’il s’avère maintenant qu’il est à la fois le maillon le plus fort et le plus faible dans la chaîne du pouvoir. Le maillon le plus fort tient au charisme qu’il possède et à sa façon de gouverner, le maillon le plus faible vient de ce que les institutions du système n’existent plus aux yeux des citoyens et que la situation a pris une tournure où l’on attend d’un seul homme qu’il règle tous nos problèmes alors que comme individu il ne peut maîtriser toute la situation.
Les
capacités d’un individu, fût-il Milorad Dodik, sont mises à trop rude
contribution et il devient le maillon le plus faible dans toute cette chaîne de
commandement. Il faut bien voir que désormais dès qu’un incendie est éteint, deux nouveaux foyers apparaissent de sorte qu’il n’y a plus de répit. C’est
dire le sérieux de la situation. Il faut aussi voir quand on observe les
sondages que deux problèmes cruciaux se détachent – la difficile situation
économique et la corruption criminelle, qui sont l'alpha et l'oméga en Republika
Srpska. Auparavant on pouvait y pallier par quelques deniers. Mais comme désormais
il y a de moins en moins d’argent, tout ce mécontentement, toutes ces attentes,
se focalisent sur un seul homme en qui les citoyens attendent la réponse à
tout. Cet homme est Milorad Dodik. Il y a six ou sept ans j’avais dit que ces attentes
sont irréelles, et aujourd’hui je crains que derrières d’aussi grandioses
attentes ne surgisse une terrible déception. D’abord dans le pouvoir et par là
même dans le président Dodik en personne.
Lui en est conscient. Il est peu de choses qui peuvent être offertes aux
citoyens, hormis l’un ou l’autre espoir plus ou moins illusoire. Or cet espoir,
que les gens s’y raccrochent ou pas, Milorad Dodik est le seul parmi les gens
au pouvoir qui soit capable de l’offrir. Le Premier ministre, les ministres, les gens au
sein du Parti social-démocrate indépendant (SNSD) n’ont tout simplement pas
cette capacité. Ils n’ont pas ce pouvoir d’insuffler la croyance chez les
citoyens en un meilleur futur qui passerait par eux.
Cela fait
des années que vous observez et analysez le comportement de l’opinion publique
en Bosnie-Herzégovine. Comment expliquez-vous que malgré qu’un si grand nombre
de citoyens en Republika Srpska soient mécontents de la situation dans laquelle
ils vivent, il n’existe pas parmi les différents groupes sociaux (travailleurs,
retraités, étudiants, combattants démobilisés), de points de contact ni d’aptitude
à se rassembler et à dire en commun leur insatisfaction ?
Cela tient à plusieurs facteurs. En
Republika Srpska vous avez des travailleurs, mais vous n’avez pas de classe
laborieuse. C’est-à-dire que vous n’avez pas de gens conscientisés. La part la
plus conscientisée de ces travailleurs est la fonction publique qui réellement
vit mieux. Le fait est qu’ils sont les seuls susceptibles d’une révolte
synchronisée, parce qu’ils sont éduqués, qu’ils connaissent leurs droits et s’organisent
plus facilement que les travailleurs dans le secteur privé. Certes ils sont en
nombre mais ils sont aussi relativement gâtés car ils savent pouvoir compter
sur un salaire mensuel. Le problème est que jusqu’à présent ils n’ont pas élevé
la moindre revendication étant donné que le pouvoir leur versait régulièrement leurs
salaires. Je crains toutefois que lorsque l’argent viendra à manquer, les
vannes financières ne se fermeront pour eux aussi, auquel cas on peut s’attendre
à ce qu’ils se battent pour leurs droits. Reste à savoir quel est leur seuil de
patience.
Ce qui retient mon attention est qu’il n’existe personne en qui les travailleurs ou les citoyens de la Republika Srpska aient confiance et qui soit en mesure d’articuler ce mécontentement d’une façon démocratique. Nous avons le 1er mai qui se rapproche et la question est de savoir qui détient la légitimité pour appeler les travailleurs à défiler et à montrer qu’ils ne sont pas satisfaits de leur situation. Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les syndicats ni les ONG, et encore moins les partis politiques.
Tout bêtement personne ne se soucie de gagner la confiance des travailleurs parce que leurs intérêts ne servent que momentanément. Et il n’existe pas non plus d’activistes prêts à sortir du rang et à se battre pour leurs idéaux. En outre il y a cette idée que ce n’est pas le bon moment pour troubler l’ordre établi parce que le danger existe d’un ennemi qui veut détruire la Republika Srpska. L’absence de lutte pour ses propres intérêts est un signe de patriotisme. L’amélioration du sort des travailleurs, celui des retraités, de meilleures conditions de travail pour les médecins perdent de leur importance puisque la Republika Srpska est menacée. C’est la thèse que professent les gens du SNSD. On en arrive au point où le SDS déclare que la Republika Srpska va s’effondrer de l’intérieur et où le SNSD affirme qu’il existe des ennemis qui veulent détruire la Republika Srspka. Toute récrimination contre la mauvaise situation économique est vue comme un acte de trahison, pourtant quelque chose me dit que cette comptine d’une Republika Srpska en proie à la menace est en train de lentement s'effilocher.
Source : 6yka.com, le 19 avril 2012.