Croatie - Les étrangers ne sont pas les bienvenus
Par Tamara Opačić
« Anciennement à la place du mur qui entoure le centre il y avait une petite barrière de fils de fer. Il s’en trouvait un pour se pencher, l’autre pour se jucher sur son dos, sauter la barrière et tenter de fuir. La police les poursuivait à travers la localité si bien que les habitants se sentaient menacés. Cette vieille barrière me faisait penser à des camps. Le nouveau mur qui a été construit durant mon mandat s’élève sur quatre mètres et il n’est pas là pour le décor. Il est là pour les empêcher de s’enfuir. Ceci est un établissement de type fermé et c’est ainsi qu’il doit rester. En définitive tous sont ici pour une bonne raison ». Ainsi débute Josip Biljan la description de ses fonctions. Cela fait huit ans que Biljan exerce les attributions de responsable du Centre d’accueil pour étrangers Ježevo, un établissement tout ce qu’il y a de plus sérieux, un ancien motel qui aujourd’hui n’est autre que l’endroit principal destiné à l’accueil et la déportation des immigrants étrangers.
Dans le centre ont séjourné plus de mille ressortissant de différents pays dont la plupart ont eu pour seul pêché d’avoir tenté de passer la frontière croate sans les papiers réglementaires. Le jour de ma visite, le centre comptait 43 « occupants » dont la plupart attendaient d’être déportés dans leurs pays d’origine tandis que douze se trouvaient inscrits en procédure d’asile. « Autrefois la majorité provenait de Roumanie et du Kosovo. Mais avec l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne et l’obtention de l’indépendance du Kosovo, leur nombre a diminué. Maintenant la majorité vient d’Afghanistan et d’Albanie, et leur déportation pose pas mal de problèmes étant donné que la Croatie ne possède pas de ligne aérienne directe avec ces pays. A cela s’ajoute que l’Afghanistan n’a pas d’ambassade en Croatie. L’ambassade la plus proche se trouve à Vienne et c’est par eux que nous tentons en permanence de faciliter les déportations, toutefois cela ne les intéresse guère », explique Biljan, qui dans son bureau se débat avec ses statistiques. "On a là une Belge, plusieurs venus d’Italie, du Kosovo, de la Somalie, de la Lybie, un de Jamaïque… Celui-là est intéressant – un Jamaïcain qui a autrefois vécu en Amérique alors qu'en Croatie il a travaillé comme danseur sans permis de travail ». Le responsable du centre poursuit son exploration des statistiques : « Sur le total il y a cinq femmes et pour l’instant aucun mineur. Lorsqu’ils ne sont pas accompagnés, on les place d’ordinaire à Dugave, le Foyer pour l’éducation de l’enfance et de la jeunesse. »
Dans ce centre surpeuplé jusqu’il y a peu il est prévu que soit bientôt construit une structure séparée pour les mineurs, ce qui répond à l’une des exigences découlant des négociations d’adhésion avec l’Union européenne. « L’ouvrage s’élèvera sur deux étages et à la place de l’actuelle aire de jeu nous projetons de construire un bâtiment séparé pour les familles », explique Biljan tout en montrant le plan de la construction. A la question de savoir si les capacités d’accueil vont encore s’étendre du fait qu’en rejoignant l’espace Schengen la Croatie pourrait devenir le pays le plus en butte à l’immigration illégale, le premier flic de Ježevo répond : « D’après nos estimations cela n'aura pas lieu d'être parce que nous tendons au renforcement des frontières. Je suis plus inquiet quand il s’agit des normes législatives qui sont déplorables. Ainsi, l’étranger dépose-t-il une demande d’asile en Croatie puis il gagne l’Autriche, eux nous le renvoie et lui continue d’avoir le droit d’être dans notre système. Si c’était moi, mon ami, ce serait niet car visiblement ton intérêt n’est pas d’être en Croatie », tranche sévèrement Biljan qui ne souhaite toutefois pas trop se perdre en commentaires sur la politique migratoire. « C’est un problème complexe qui ne me concerne pas. Que s’en occupent les agences dont c’est la compétence, la mienne étant d’empêcher les migrations illégales. En fin de compte je représente l’appareil répressif. Et il n’est pas vrai que nous les Croates n’aimons pas les étrangers, nous sommes un pays ouvert. N’avons-nous pas été constamment sous un pouvoir étranger ? Ce n’est pas aujourd’hui non plus que quelqu’un de bien intentionné va nous embarrasser. Mais on ne peut quand même pas amener des étrangers et ensuite faire d’eux de plus grands démunis qu’on ne l’est soi-même. »
Avant de débuter la visite du centre, le responsable admet que l’établissement n’est pas équipé pour que les étrangers en attente d’être déportés, ou bien plus rarement d’être acceptés, puissent tuer le temps. « Nous avons deux travailleuses sociales, mais nous ne sommes pas tenus de travailler avec eux [les étrangers] parce qu’ils ne restent que quelques jours ou tout au plus trois mois. Nous avons une librairie, plusieurs jeux de société, une aire de jeu qu’ils peuvent fréquenter quelques heures par jour. Mais nous n’avons pas de panneaux de basket ni de cages de but. J’ai contacté tout le monde pour obtenir une aide mais personne ne s’en soucie. C’était le devoir de l’Union européenne mais ils n’ont rien fait. Toutefois c’est encore en improvisant que les gens s’amusent le mieux ». A la différence des maigres moyens qui ont été accordés pour les passe-temps et l’investissement culturel des occupants de Ježevo, la Croatie, en dépit de la crise, continue d’allouer des moyens considérables pour satisfaire aux frais de déportation. D’après Biljan, la somme s’élève à 1.7.00.000 kunas, une somme qui a augmenté étant donné qu’actuellement 99% des déportations se font par avion.
Le long du couloir qui abrite le bureau du responsable est située la partie du bâtiment placée sous étroite surveillance. Le bruit des clés qui remuent aura suffi pour créer un tumulte dans ce goulet. Une quinzaine d’hommes, tous habillés du même survêtement de couleur bleu claire, ainsi que deux infirmières, se pressent dans le couloir désireux de jeter un coup d’œil sur les rares visiteurs qui viennent s’enquérir de cet abri transitoire. « Ici se trouve l’infirmerie, ensuite vient le local de surveillance où l’on place ceux qui souffrent de maladies contagieuses, puis la salle des visites, où le plus souvent ils rencontrent leurs avocats », explique Biljan sous le regard d’une partie des habitants du centre.
Mais le plus intriguant est encore la salle dont les murs sont recouverts d’étagères remplies de sacs blancs. « Là se trouvent leurs vêtements et objets personnels. Nous leur lavons tout ça bien gentiment et leur restituons le jour où ils quittent le centre. Un traitement dont ils ne pourraient rêver dans aucun hôtel », plaisante le chef en train de gagner le lieu qu’il partage à sa façon avec eux.
Bien qu’une table de tennis occupe la grande salle donnant sur l’aire de jeu, où seul un homme d’âge moyen se défoule, la plupart des résidents temporaires sont assis à bavarder en petits groupes autour de tables ou bien ils regardent la télévision d’où parviennent des sons d’un programme musical. « Nous autorisons les prises de photos mais pour leur sécurité je vous déconseille de le faire. En fin de compte la majorité est en procédure d’asile », explique Biljan. Il rajoute « il en est peu qui connaissent l’anglais, je doute que vous puissiez vous comprendre ». Ayant entendu que nous sommes à la recherche de quelqu’un pour s’entretenir, un jeune Libyen montre du doigt un jeune homme installé à la table voisine.
« En quête de meilleures conditions de vie, j’ai fui tout seul et sans documents d’un Afghanistan détruit. Il y a un mois ils m’ont attrapé à la frontière slovéno-croate. Je souhaite rester en Croatie et j’ai donc déposé la demande d’asile », déclare Mohammed Ali Fayzi (24), qui affirme être satisfait des conditions de vie dans le centre. En revanche ses compatriotes qui n’ont pas tardé à nous entourer de leur présence ne partagent pas cet avis. « Notre seul pêché est d’avoir fui la catastrophe de la guerre. Méritons-nous vraiment d’être dans cette prison à cause de cela ? La police se comporte avec nous comme si nous étions des bêtes », traduit Fayazi leur griefs pendant qu’un policier monte la garde derrière son dos. « Ces quatre-là font la grève de la faim depuis quinze jours parce qu’ils veulent être transférés dans le centre d’accueil pour demandeur d’asile à Kutina. Le plus âgé d’entre eux pèse maintenant à peine 56 kilos », dit le jeune Afghan. « Pensez-vous que quelqu’un qui depuis quinze jours ne prend plus de nourriture ni d’eau serait réellement en état de se tenir sur ses jambes ? Nous en avons eu qui ont fait la grève de la faim pour de bon mais cette fois ce n’est pas le cas. Lors du repas commun il est vrai qu’ils ne consomment rien mais ensuite les autres leur apportent de la nourriture dans la chambre. D’ailleurs, ils sont constamment sous surveillance médicale et nous ne manquerions pas de savoir s’ils faisaient réellement la grève de la faim », rétorque Biljan aux affirmations proférées par le groupe d’Afghans.
Au moment de nous quitter, Fayazi ne déborde pas d’optimisme. « Que la chance soit avec nous deux », répond-il au vœu exprimé que sa demande d’asile aboutisse positivement. Sachant qu’en Croatie ces huit dernières années seules 30 demandes d'asile déposées sur un total de 2.035 ont été autorisées, ce jeune Afghan n’a pas trop de raisons d’espérer. Si en quête d’une vie meilleure il a d’abord été stoppé par les frontières, puis par les murs d’un centre bien clôturé, en définitive son sort sera celui que lui accorde un système où les étrangers ne sont toujours pas les bienvenus.
Source : h-alter.org, le 16 avril 2012.