Vedrana Rudan : J’aspire à la révolte parce que ceci n’est pas tenable.
Dans un entretien pour le journal « Blic », Vedrana Rudan parle de ses ouvrages, des sujets qu’on n’aborde pas, de notre époque. L’entretien a été réalisé à Rijeka, après la première de sa pièce qui a soulevé moult applaudissements, des rires, et parfois quelques larmes. Elle prétend ne pas avoir assisté à la première parce qu’elle n’a pas pu. Les jours qui ont précédé, lors des répétitions de sa pièce qui a été mise en scène par Tatjana Mandić Rigonat, elle a renoué avec les personnages qui peuplent sa vie, avec ses parents dont elle parle dans le livre, ainsi qu’avec ses souvenirs. Les réactions trépidantes du public lui inspirent le commentaire suivant : « Elles sont trépidantes parce que le sujet est trépidant : l’amour et la haine entre mères et filles ».
Des motifs tabous ?
- Il existe quantité de motifs tabous qui en réalité ne le sont pas. Est tabou ce qu’a volé quelqu’un et pourquoi l’a-t-il fait, puis ça ne l’est plus. Est tabou pourquoi quelqu’un sniffe-t-il de la cocaïne, puis ça ne l’est plus. En revanche ce que l’on appelle les petits motifs humains, les motifs qui constituent la vie, eux sont tabous. Justement ce sont eux qui m’intéressent. Il m’intéresse de savoir pourquoi l’enfant haït sa mère, pourquoi la mère tourmente son enfant. Visiblement ces motifs touchent d’autres personnes, ce soir tous étaient émus, même si les gens ne s’occupent pas de leur vie et ont d’autres priorités.
- Votre dernier roman porte comme titre indicatif « Les squelettes du district Madison »…
- Il est question d'une histoire d’amour. La trame a lieu à Rijeka. Le livre parle d’une femme mariée qui au cinquième jour du « oui » fatal comprend ce qui vient de lui arriver et souhaite quitter son mari. Et bien mon livre tourne autour de ce que la majorité ne fait pas (pas plus que Meryl Streep dans le célèbre film). Par contre mon héroïne tombe dans la tentation. Mais comme mes livres sont populaires en Serbie, je ne veux pas révéler les détails.
- Quelles sont ces priorités auxquelles vous venez de faire allusion ? S’intéresser à la politique ?
- Je pense que nous ne nous intéressons ni à la politique ni à l’économie. Nous nous intéressons aux forfaits d’autrui, nous nous intéressons aux foutaises. Savoir si Ceca porte des soutiens-gorge de taille 5 ou 6, quelles sont les lèvres qui sont à la mode, si les célébrités mondaines se baignent et ce qu'elles ont dans leurs assiettes. Mais ne soyons pas naïfs, cela relève du système.
- C’est-à-dire ?
- Il s’agit d’abêtir le peuple pour en faire ce que
bon vous semble. On ne retrouve pas cela seulement chez nous et chez vous, mais
dans le monde entier. Toutefois le monde se révolte. L’Espagne brûle, la Grèce
brûle, l’état répond par des gaz lacrymogènes, par l’armée. Je ne vois pas d’issue.
Cela me chagrine que la Croatie continue de tout accepter tranquillement. J’espère
une révolte. Parce que ceci n’est pas tenable.
- Comment percevez-vous les relations entre la Serbie et la Croatie aujourd’hui ?
- Je n’y
pense pas. Elles sont pareilles que les relations entre la Croatie et la Finlande !
Je vois que ceux qui gouvernent sont d’habiles acteurs (désolé pour les
artistes). Chez vous et chez nous ils sont identiques. Les firmes
multinationales, elles, gouvernent, tandis qu’il nous reste à élire un président qui soit plus ou moins grand voleur.
- Le paysage social ?
- Pareil qu’en Amérique, à ceci près que l’Amérique est un pays fasciste tandis que nous sommes trop petits que pour l’être. Nous sommes à la solde du fascisme américain, que l’on soit Serbe ou Croate, aucune importance. Nous n’avons pas de pouvoir. Nous n’avons pas d’argent, alors nous n’avons pas d’opinion. Nous sommes quatre millions, vous êtes au nombre de sept, et lorsque Obama se lancera sur l’Iran et y enverra 20.000 soldats venus de Croatie pour qu’ils y crèvent, qui pourra dire « Moi j’y vais pas ». J’ignore si la Serbie fait partie de l’OTAN, toutefois vous aussi vous irez crever à travers divers pays où l’Amérique apporte la démocratie… qui bien entendu ne l’est pas. L’Amérique est l’Amérique. Elle constitue le plus gros problème mondial, mais ça ne date pas d’hier.
Source : blic.rs, le 3 avril 2012.