Manifestations en Roumanie, analogies et avènement possible d’un «printemps européen»
Par D. Marjanović
Les manifestations en Roumanie se poursuivent, hier les gens ont manifesté à Bucarest et dans 40 autres villes du pays […]*
Analyse et comparaison
Certains auteurs ont critiqué les Roumains mécontents parce qu’ils ne se sont pas « alignés » sur le mouvement Occupy des USA et qu’ils n’ont pas exprimé leur insatisfaction de façon plus pacifique.
De telles assertions partent d’un mauvais énoncé. On voit mal comment par ces températures les Roumains songeraient à s’attarder dans la rue, et a fortiori à y camper. L’autre fait majeur sur lequel il convient d’insister est la grande différence qui existe entre le mécontentement ressenti par les citoyens de Bucarest et ceux d’une ville comme par exemple New York.
Les premiers nourrissent des peurs concrètes pour leur existence tandis que les autres sont principalement motivés par une chute drastique de leurs standards de vie.
Tout comme dans la capitale roumaine, chez nous les manifestations avaient «surgi» de nulle part. Elles commencèrent avec une relative agressivité. Presque le même jour les autorités accusèrent des groupes de supporters, même si cela contredisait la vérité.
Les jours suivants les manifestations se poursuivirent mais l’élan ne tarda pas à retomber jusqu’à ce que toute l’irruption spontanée de rage ne soit accaparée par d’obscurs groupes et individualités, ce qui précipita le retrait des citoyens de la rue.
Il sera intéressant de suivre le développement de la situation en Roumanie et de voir si un tel enchaînement des faits peut également s’y produire.
Les ressemblances générales entre la Roumanie et la Croatie sont considérables, quoiqu’en disent certains. Les deux peuples sont «apathiques» et croient à juste titre que leurs pays baignent dans une absolue corruption. En conséquence les larges masses ne croient plus à personne – ni au gouvernement ni aux institutions ou aux syndicats, et moins encore aux éventuels « meneurs » prenant la tête des manifestations de rue.
Il ne faudrait pas nommer cela de l’ « apathie » mais plutôt du « bon sens ». Certains ont beau tenter d’affirmer que le peuple est naïf et malléable, la vérité est à mille lieues de cela. Les habitants de la Croatie, de la Roumanie, de la Hongrie et de tant d’autres pays occupant cette « vaste » région réfléchissent avec l’esprit concentré et concret.
Après vingt années d’abaissement des standards de vie, même les plus naïfs d’entre nous en sont venus aujourd’hui à voir les choses avec un sens critique.
C’est justement ce qui explique que des appels du genre « installons les tentes au milieu de la place et baptisons-nous Occupy Zagreb » (ou Occupy Bucarest, Occupy Belgrade, Occupy Budapest, etc.), n’atteignent pas les vastes masses. Jeunes et vieux, actifs et chômeurs ne montrent guère d’intérêt pour l’activisme, et surtout pas pour les actions visant à des changements cosmétiques dans le cadre du système actuel.
Autant dire que celui dont l’ambition serait d’engager un tel peuple vers de quelconques nouveaux changements en sera bien marri.
Si de grandes révoltes devaient jamais se produire dans cette région, ce serait alors quelque chose à l'image de la Tunisie ou de l’Egypte… Et c’est sans leadership concret que les étudiants les travailleurs, les retraités et toutes les autres catégories de citoyens prendront la rue.
Le motif en sera un geste plus ou moins ample, une nouvelle loi ou une nouvelle affaire – une étincelle fortuite qui enflammera la torche.
A cet égard on ne peut exclure de vastes turbulences régionales, qu’on se souvienne que l’Egypte a directement subi l’influence des événements en Tunisie.
Hélas, faute d’idées concrètes, les révoltes populaires générales nées dans ces pays ont été utilisées par des radicaux et des juntes militaires. Si devait avoir lieu le «printemps européen» que d'aucuns évoquent discrètement, il lui faudra essayer d’éviter toutes les embuscades dans lesquelles le monde arabe est naïvement tombé.
*le lecteur francophone pourra notamment se référer au blog Roumanophilie pour en savoir plus
Source : advance.hr, le 19 janvier 2012.