Serbie: inquiétudes autour de la loi sur la restitution
Pendant plus de soixante ans, Kosta Banovic a évité de passer dans la rue de Belgrade où vivaient ses parents. Pour ne pas y apercevoir leur vaste demeure, saisie par le régime communiste yougoslave après la Seconde guerre mondiale.
Il n’y a vécu que trois ans, mais il se souvient encore clairement de ses jeux d’enfant dans le magnifique jardin, protégé des regards des passants par des pins centenaires.
Aujourd’hui, Kosta Banovic et plus de 150.000 personnes comme lui, des propriétaires dépossédés de leurs biens par le régime de Tito, ainsi que leurs héritiers, caressent l’espoir de pouvoir récupérer un jour la demeure ou le terrain familial. Ou, tout du moins, être dédommagés, après l’adoption fin septembre d’une loi par le Parlement serbe.
« Mes parents sont morts depuis longtemps, mais leurs derniers voeux étaient que je retourne vivre dans notre maison », confie Kosta Banovic à l’AFP.
L’adoption d’une telle loi sur la restitution constituait l’une des principales conditions émises par l’Union européenne pour que la Serbie obtienne le statut de candidat.
Selon les experts, le coût total des restitutions et des mesures de compensation s’élèverait à quelque 4,5 milliards d’euros.
La loi stipule que la propriété peut être restituée quand les propriétaires actuels sont d’accord. Si ce n’est pas le cas, les propriétaires d’origine seront dédommagés avec un maximum de 500.000 euros en espèces ou en obligations.
L’Etat peut également restituer la propriété, mais il n’est pas nécessaire que ce soit le bien exact qui a été confisqué. L’Etat peut par exemple offrir des forêts éloignées en guise de compensation pour des biens immobiliers dans les zones urbaines.
Nikola Majkic, dont la famille a perdu une chaîne de magasins de chaussures lors de la première vague de nationalisation, n’est pas optimiste.
« Les dix magasins et une petite salle de production que ma famille possédait (…) ont changé de propriétaires trois fois depuis la chute du communisme » dans les années 1990, explique-t-il.
« Seule une personne naïve, ajoute-t-il, pourrait croire que les propriétaires actuels (…) seront d’accord pour rendre ces biens ».
Après la Seconde guerre mondiale, les autorités de la Yougoslavie communiste — dont la Serbie était l’une des six républiques — ont confisqué les biens et les entreprises de milliers de personnes.
Mais depuis la chute du régime communiste, en 2000, les propriétaires dépossédés et leurs héritiers — dont la plupart ont vécu à l’étranger — ont fait pression en faveur de l’adoption d’une législation sur la restitution.
Il n’y a pas de données précises sur l’importance des biens confisqués, mais selon les milieux spécialisés, il s’agit de plus de 700 millions de mètres carrés de biens immobiliers — appartements, demeures et villas.
Mile Antic, du Réseau pour la restitution, une association regroupant les propriétaires dépossédés et leurs héritiers, a estimé que la nouvelle loi était insuffisante en matière de compensations pour réparer l’injustice que leurs familles ont subie.
Bogdan Veljkovic, un banquier dont la famille était l’une des plus riches de Serbie dans les années 1930, estime que les compensations prévues par la loi ne constituent que des « miettes ».
Quelque 40.000 « locataires protégés » — qui se sont installés dans les appartements et les maisons confisqués par les communistes — redoutent aussi leur expulsion avec la nouvelle loi.
Mais le texte législatif serbe suscite également des remous dans la communauté hongroise de Voïvodine (nord), certains estimant qu’elle est discriminatoire car elle exclut de son champ d’application les anciens « membres des forces d’occupation », cette armée pro-nazie composée de Hongrois, présente en Voïvodine entre 1941 et 1944, ainsi que leurs descendants.
Ils considèrent que la loi ne peut pas s’appliquer indistinctement à tous les membres de ces « forces d’occupation », et soulignent que certains d’entre eux ont été recrutés contre leur gré et que d’autres n’ont pas commis de crimes.
Budapest s’est fait le relais de ces inquiétudes, déclarant que l’affaire pourrait même mettre en question les perspectives européennes de la Serbie.
Source : lalibre.be, le 13 octobre 2011.