Le népotisme, quoi de plus naturel ?
Par Tomislav Klauški
Invitée à l'émission "Dimanche à 14h00", la présidente du Conseil communal de Split s'est révélée être un tempérament plus prudent et plus sage, plus mesuré et plus normal, que son frère. Certes en démontrant une brûtale franchise mais sans y mettre ces manières bouffonnes. Elle a laissé l'impression d'être une femme rusée, le véritable cerveau qui se tient derrière cette tortueuse opération politico-oligarchique appelée Kerum.
Ainsi on ne l'a pas entendue lancer qu'elle "ne voudrait pas que sa fille se marie avec un Serbe", mais plutôt qu'elle "aimerait bien qu'elle se marie avec un Croate, si possible un voisin". Mais au fond qui dans ce pays n'en souhaiterait pas autant ? En particulier ceux dont on escompte les voix.
Le népotisme, quoi de plus naturel ?
Dans l'ensemble Nevenka Bečić a courageusement défendu l'honneur familial lors de son passage sur les plateaux de la télévision publique, y compris quand a été abordée la question chatouilleuse concernant la nomination de membres appartenant au noyau familial ou à la famille élargie aux postes-clé de l'administration municipale.
"Le népotisme n'existe pas au pouvoir à Split", a-t-elle volontiers énoncé. "Les élections étaient directes et toutes ces personnes que vous mentionnez, en arguant de népotisme dans la répartition des fauteuils, figuraient en tête de liste".
Elle poursuit sur la même lancée : "Les citoyens savaient que nous entretenons des liens de famille et de cousinage et cela ne les a pas dérangés ; les citoyens nous ont élus... ce que certains ne peuvent leur pardonner".
Elle se targue d'avoir personnellement supervisé l'affectation des personnes qui n'ont pas intégré le Conseil municipal ou préfectoral à partir de la liste électorale. En l'occurence le critère de nomination était relativement clair : "Je me suis décidée pour les personnes auxquelles je me fie". Parmi ces personnes figure sa propre fille.
"Tous doivent être loyaux et de confiance", a bien précisé la soeur de Kerum.
C'est exactement le même langage que tient le parti qui dirige le pays lorsqu'avec ses alliés il distribue les sièges dans les entreprises de l'Etat en vertu de l'appartenance au parti, tout comme "les Kerum" le font en fonction de l'appartenance familiale. C'est aussi le langage que tiennent les membres de l'opposition nationale lorsqu'ils installent aux organes de gestion, et récemment au gouvernement [de la ville de Zagreb], leurs collègues de parti, leurs parrains, leurs potes venant du même patelin, leurs amis, et même leurs petites amies. Ce sont des "gens de confiance". Ce sont des "gens loyaux".
Entre sa propre fille et quelqu'un disposant des mêmes qualifications professionnelles, mais qui lui est étrangère, la soeur de Kerum, éduquée dans un esprit conservateur, se décidera pour ceux qui partagent le même sang. De même entre un de leurs membres et un autre candidat tout aussi (peu?) qualifié, le pouvoir HDZ - éduqué dans l'esprit de parti - misera davantage sur celui qui s'est affilié chez eux dans le but de progresser dans la vie.
C'est ainsi que les choses fonctionnent dans ce pays. La seule nuance est que le favoritisme familial est plus frappant que le favoritisme des partis.
La famille Tuđman
Une telle pratique est acceptée par les électeurs du HDZ. Jamais cela ne les a dérangé à l'heure de remplir leur bulletin de vote. Et c'est à cela aussi, d'après Nevenka Bečić, qu'étaient préparés les électeurs du clan Kerum lorsqu'ils ont voté pour cette liste familiale.
D'ailleurs en son temps Franjo Tuđman n'avait-il pas engraissé toute sa famille ? Que ce soit son fils qui dirigeait l'entreprise du parti, que ce soit son petit-fils qui avait fondé une banque en compagnie de Hrvoje Petrač*, ou encore sa fille qui avait reçu du ministère de la Défense des espaces commerciaux de haut standing. Si le Père de la Nation avait placé une telle confiance dans son fils au point de le nommer à la tête des services secrets, pourquoi donc la Mère de Split ne nommerait-elle pas sa fille pour qu'elle préside aux services d'entretien municipaux ?
Une pratique enracinée depuis des générations
Il ne faut pas y voir du cynisme. Il en va simplement ainsi dans ce pays. Il s'agit d'une pratique enracinée depuis des générations, sachant bien que ceux qui trouvent à y redire n'ont pas grande importance. Bien plus importants sont ceux qui votent régulièrement pour de telles listes.
Et c'est ainsi que Nevenka Bečić a pu sans la moindre gêne, et même non sans un brin de défi, expliquer devant des millions d'auditeurs qu'il est tout à fait normal de nommer à des charges publiques des membres de la famille. Normal puisque de tels politiciens - des succédanés de Berlusconi - considèrent qu'un pays ou une ville se dirigent comme une entreprise privée. (Quand bien même dans les entreprises privées on y réfléchit à deux fois avant de placer des membres de la famille aux postes de direction).
L'un dans l'autre, Nevenka Bečić n'aura pas fait pire que Željko Kerum lors de son passage à l'émission. Elle a même réussi à sembler normale pour ceux qui ne s'y attendaient pas.
* Hrvoje Petrač : ancien patron de la mafia croate, actuellement en prison.
Source : index.hr, le 25 juillet 2011.