posté le 15-06-2011 à 15:46:04
Vlado Dapčević
Révolutionnaire professionnel
Comme premier signe que je suis un communiste j'ai commencé à porter la cravate rouge. Lorsque j'ai lu le "Manifeste du Parti communiste", je me suis tout à fait senti communiste.
Le lendemain ont débuté les manifestations à Cetinje. Une lutte terrible s'est engagée. Nous sanguinaires, mais la police tout aussi sanguinaire. Ce qui est bien. Tout à coup voilà que surgit mon père qui veut m'arracher à la manifestation. Un travailleur, membre du Parti, dit : "Laissez-le monsieur, qu'il se batte. Sans cela vous n'en ferez pas un véritable homme."
Les policiers m'attrapèrent par les cheveux, par les bras... Ils m'ont battu bestialement. Puis ils m'amenèrent aux toilettes. Moi et un autre travailleur continuâmes à être frappés à coups de crosse. La crosse est dotée de coups d'une de ces forces épouvantables. A demi-mort, ils me conduisent en prison dans un fourgon. Ils m'introduisent dans une cellule commune, moi qui suis tout meurtri, rempli de bleus, sans plus une partie du corp indemne. Les autres détenus m'arrangent un endroit pour que je m'étende et ils commencent à m'humecter avec de l'eau.
Les gendarmes nous emmènent. Nous, nous chantons des chants espagnols et révolutionnaires. On croise un paysan. Il était âgé, plus de soixante-dix ans, occupé à déplanter des oliviers à la bêche. Lorsqu'il nous voit avec toute cette troupe de gendarmes, il retire sa casquette monténégrine, et les yeux remplis de larmes il s'écrie : "En avant, en avant, mes faucons, sans effort il n'y pas pas de résurrection !". Ce vieillard nous a donné de la force.
"Les étudiants de Belgrade ont bien des fois été aspergés de sang en défendant l'autonomie de l'Université. Cette fois, non pas un mais tous autant que nous sommes, nous serons prêts à verser tout notre sang pour ne pas permettre qu'ils abolissent l'autonomie de l'Université."
Le carriérisme mène à la lutte pour le pouvoir, fut-ce dans le parti illégal. Plus d'une fois il m'a été donné de voir de telles occasions dans notre mouvement. Tout bonnement cela détruisait les gens. Il y avait des expédients pour détruire celui dont on pense qu'il peut s'emparer d'une position. Moi je pensais qu'il s'agissait de phénomènes et de cas particuliers, que le parti dans son ensemble est sain et qu'il trouverait la force d'y remédier.
Après tout ce que j'avais appris avant la guerre, mon rapport au parti était resté tout à fait le même. Toutefois j'avais commencé à observer d'un oeil critique le comportement et les agissements des gens. Cette croyance antérieure qu'absolument tout communiste est un homme idéal - selon le principe stalinien que les communistes sont d'une étoffe particulière, tissés d'un matériau particulier - avait commencé à m'abandonner. Au fil du temps, la pratique m'avait de plus en plus convaincu que les communistes sont faillibles comme tout autre individu et que dans le mouvement communiste, outres les gens biens, il existe des pourris. Des gens de très faible caractère, des arrivistes, maladivement ambicieux, des lâches.
Toutes les arrestations, passages à tabac et séance de torture, ne m'ont nullement découragé. Au contraire cela m'a trempé le caractère. C'était, dans un certain sens, une question d'honneur.
La Lutte de libération nationale Il était trois heures pile ce matin du treize juillet. Je ramasse mon arme et déclare "Allez, bonne fortune aidant, qu'on s'y mette !"
"Moi je n'appliquerai pas la directive du Parti de renvoyer tous les combattants au village. C'est une trahison. Je vais ramener tous les combattants en haut dans la montagne, organiser des détachements de guérilla et poursuivre la lutte contre les Italiens."
"Camarades, devant nous se pose un dilemne : ou bien on se replie au Monténégro ou bien on rejoint la Première [Brigade d'assaut] prolétaire. Regagner le Monténégro en vertu de quoi ? Pour dire à nos frères, camarades, parents et amis que nous avons laissé nos meilleurs camarades et frères à Pljevlja sans les venger ? Rejoindre la première Brigade d'assaut prolétaire est la meilleure façon de les venger et de se battre comme il le faut contre l'occupant. Je suis convaincu, parce que je vous connais tous et que je sais que vous êtes des héros, que vous allez tous rejoindre la Première brigade d'assaut prolétaire. Moi j'y vais."
A l'époque, à la suite de la chute de
la République d'Užice, de la défaite à Pljevlja et du regain d'activité des tchetniks de Draža Mihajlović, nos unitiés en Bosnie orientale avaient fortement périclité. Les gens avaient rejoint les tchetniks ou bien ce sont les tchetniks dans nos unités qui par voie de putsch s'étaient emparé du pouvoir et avaient détaché des unités entières. Non sans avoir auparavant égorgé tous les commissaires. Pour la plupart ils étaient ivres.
Cela maintenant vous ne pouvez le comprendre. Mais dans ces régions de telles choses arrivaient relativement souvent. Des oustachis passent et violent les femmes serbes. Puis ce sont les tchetniks qui passent et violent les Musulmanes et les Croates. De sorte que les femmes serbes portaient des enfants d'oustachis tandis que les Musulmanes et les Croates étaient enceintes de tchetniks.
Au début de la guerre nous avons perdu contre les Allemands, contre les oustachis, contre
les domobrani, contre les Italiens, contre les tchetniks, contre toutes les formations possibles. Nous n'étions pas aguerris. Lorsque nous nous sommes endurcis, nos rustres bergers, des illetrés et à demi illetrés, les ont massacrés comme du bétail.
Ayant été exclu du Parti j'étais dans l'obligation de constamment me distinguer. J'étais le chef des poseurs de bombes. Cela avait fini par m'être pénible. A la fin je me suis plains : "Je ne peux pas à chaque fois me distinguer comme poseur de bombes. La chance une fois, la chance deux fois, la chance pour la dixième fois.... Un de ces jours je mourrai quelque part comme un bestiau."
Ils me nommèrent commissaire de la 7ème brigade de la Krajina. Cette brigade avait tout simplement été décimée. Elle avait été engagée dans la Quatrième et Cinquième offensive avec mille sept cent combattants, pour revenir avec quatre cent cinquante.
Même aujourd'hui il n'y a rien d'étonnant chez nous, disons ici en Slovénie, de même qu'en Serbie, Croatie et ailleurs, à ce que l'on crache sur la Lutte de libération nationale et que l'on crache sur les combattants de la Lutte de libération nationale, tandis qu'on célèbre et porte aux nues ceux qui se sont rangés du côté du fascisme, du côté de l'occupant, de ceux qui ont commis les plus grands crimes envers leur propre et autres peuples. On cherche à falsifier ce que l'histoire a créé, ce qu'il en fut. La Lutte de libération nationale des peuples yougoslaves est grande de par son idée et de par les buts qu'elle a posés et réalisés jusqu'au dernier. Le but premier était de libérer le pays de l'occupant et de réaliser une communauté de peuples égaux. Ce qu'il en est advenu par la suite est une autre histoire, mais la Lutte de libération nationale en elle-même a eu un caractère absolument positif. Tel est le jugement de l'histoire et il n'y a rien à y changer.
Au pouvoir
Mais en dépit de toutes ces hautes positions, du gros salaire, des privilèges divers, j'étais en ce temps-là des plus mécontents. Mon déplaisir venait de tout ce qui s'était passé devant mes yeux. Aussitôt avait commencé la ruée sur le pouvoir, les positions, les privilèges. Une corruption d'une ampleur jamais vue avait vu le jour. Et Tito avait contribué à tout cela. Il les avait poussés vers les postes, emmaillotés dans les privilèges et de la sorte se les était attachés.
A proximité il y avait ce magazin diplomatique et à l'intérieur les choses de la meilleure qualité. Et de surcroît trois fois moins cher qu'ailleurs. Une quarantaine de personnes avaient le droit de s'y approvisionner. Un jour ma tante me demande de lui donner le journal pour y enrouler le pain. Elle dit :
- "J'ai honte de transporter le pain blanc dans la rue."
Je demande : Pourquoi ?
Elle dit : "Parce que d'autres n'en ont pas."
- Mais où donc l'achètes-tu ?
Elle répond : "Dans ce magasin."
Je lui ai interdit d'en rapporter à la maison depuis lors, peu importe si avant la guerre nous mangions du pain blanc.
Je me rappelle d'une anecdote à propos d'un de ces agents de l'UDBA [la police secrète yougoslave, N.D.T.]. Avant la guerre il était un paysan au Monténégro. Une de nos Monténégrine entre dans sa maison et voit le petit enfant en train de faire pipi sur un tapis perse. Elle dit : "Pourquoi est-ce que vous permettez à cet enfant d'esquinter ainsi un tapis précieux ?" Il lui répond : "Qu'il pisse, cela a été gagné avec du sang!". Les gens pensaient en toute simplicité qu'ils avaient défendu le pays et que l'heure était venue d'en retirer les dividendes. Et cela grassement.
"Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Si nous ne supprimons pas ces privilèges, non seulement allons-nous nous détourner du peuple mais nous allons psychologiquement devenir des infirmes"
Commentaires
Je vais mettre la référence du texte en question. Si j'ai le temps je traduirai les autres parties. Je n'ai trouvé aucune trace en français sur Internet faisant allusion à ce personnage incroyable.
De quelles manifestations parle-t-il? La photo le montre à Belgrade, on reconnaît le quartier de Terazije il me semble. J'ai trouvé un texte ici, il a eu une vie incroyable: http://www.revolutionarydemocracy.org/rdv7n2/dapcevic.htm.