posté le 14-06-2011 à 17:59:41
Bosnie: un abri antinucléaire ultra-secret de Tito ouvert au grand public
De Rusmir SMAJILHODZIC
Konjić — Un abri antinucléaire ultra-secret de Tito en Bosnie, gigantesque monde souterrain d'où le dirigeant communiste envisageait de diriger la Yougoslavie en cas d'attaque, s'ouvre pour la première fois au public pour une exposition d'art contemporain.
A une dizaine de kilomètres de Konjic, dans les contreforts des montagnes de Bjelasnica, dans le sud de la Bosnie, trois bâtisses aux façades blanches ne laissent deviner en aucune façon qu'elles dissimulent les entrées de "l'installation militaire D-O", le nom de code du commandement anti-nucléaire le plus sophistiqué et le plus spacieux de l'ex-Yougoslavie.
Le bunker sert de cadre, depuis le 27 mai et jusqu'en octobre, à une exposition internationale d'artistes contemporains sur le thème de la Guerre froide. Des visites guidées du bunker sont organisées.
Le colonel Serif Grabovica fait visiter l'univers souterrain et raconte comment il fut, avec quelques autres militaires de toute confiance, chargé de garder cet endroit de 1979, date de la fin de sa construction, à avril 1992, le début de la guerre de Bosnie (1992-1995).
"Pendant treize ans, je n'ai jamais raconté à personne ce que je faisais. Même mon épouse n'était pas au courant", confie cet officier bosnien de 63 ans, aujourd'hui à la retraite.
"Nous étions quinze au total, six sous-officiers et officiers, ainsi que neuf civils chargés de l'entretien des installations. Nous avions signé l'engagement de conserver un secret d'Etat", explique M. Grabovica.
Construit en forme de fer à cheval, ce bunker souterrain, creusé dans la roche, est composé de douze blocs totalisant 6.500 m2, prévus pour accueillir 350 personnes.
La chambre de décontamination, l'hôpital, des dizaines de chambres à coucher, des salles de conférence, de commandement et de communication se succèdent dans un tunnel. Des portraits de Tito (1892-1980) ornent toujours certaines pièces.
Mais des locaux étaient spécialement prévus pour recevoir aussi le "maréchal" Tito et son épouse, ainsi que de hauts responsables politiques. Moins spartiates que les autres, ils ne sont pas non plus d'un luxe tapageur.
A proximité de la chambre et du bureau de Tito, une grande pièce abrite quatre turbines d'air conditionné, en marche 12 heures par jour. Un autre local comprend deux réservoirs de 25 tonnes de diesel et deux grands groupes électrogènes de 550 kW, de fabrication allemande, programmés pour se mettre en marche automatiquement au bout de 18 secondes après une coupure d'électricité.
La température est maintenue en permanence entre 21 et 23°C et l'humidité de l'air entre 60 et 70%, des conditions idéales pour la vie et le travail, explique le sergent-chef bosnien Almir Gakic, aujourd'hui commandant du bunker.
"Tous les systèmes fonctionnent parfaitement aujourd'hui encore", se félicite M. Gakic.
L'armée yougoslave (JNA) a mis 26 ans, de 1953 à 1979, pour construire ce centre anti-nucléaire, pour un investissement de 4,5 milliards de dollars, selon le colonel Grabovica.
Tito n'est cependant jamais venu dans le bunker, déplore l'ancien militaire qui se targue d'avoir contribué à empêcher l'armée fédérale yougoslave de faire exploser l'installation, lorsqu'elle s'est retirée de Bosnie au début du conflit de 1992-1995.
"On m'avait ordonné de mettre à chacun des trois accès d'entrée au bunker 1.500 kilos d'explosifs, une quantité suffisante pour faire s'effondrer l'ensemble souterrain. "Mais j'ai coupé le fil avant de quitter les lieux", a-t-il dit.
Le maréchal Tito, figure emblématique du mouvement des non-alignés, redoutait avant tout une invasion étrangère, et avait truffé son pays de bunkers souterrains, parfois utilisés pendant le conflit bosniaque.
"Ironie de l'Histoire", constate Branislav Dimitrijevic, historien de l'art serbe et conservateur de l'exposition, le bunker, qui n'a jamais servi, "a été construit en prévision d'une guerre nucléaire, alors que nous avons été témoins ici d'une guerre +conventionnelle+, particulièrement sanglante".
Source :
AFP, le 6 juin 2011.
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