Les promenades sont "in"
Parmi toutes les formes et modes de divertissement, ces derniers temps le plus populaire en Croatie est la marche. Ou si l'on veut la promenade. Dans certaines villes ces promenades massives se déroulent le soir tandis que dans d'autres on prèfere la journée. Des familles entières y viennent : les grands-pères et grands-mères, les fils et belles-filles, les petits-enfants...
Guidés par un instinct naturel, à une heure précisément fixée, les citoyens viennent remplir les ruelles et les porches à proximité des places urbaines puis à un moment donné ils forment les colonnes de promeneurs. Certains chantent, d'autres scandent, certains sifflent. Et quantité brandissent des banderoles, des messages qu'il ont inscrits sur des morceaux de papier ou de carton ou qu'ils agitent à l'aide de grands calicots.
Qu'ils soient racaille, indiens ou provocateurs, les directions de leurs allées échappent à tout entendement. Celles à Zagreb empruntent chaque jour de nouveaux itinéraires et aboutissent à des emplacements d'un intérêt particulier où l'on décide d'une pause d'une dizaine de minutes. Durant ce laps de temps les promeneurs enthousiastes démontrent toute l'inventivité et le génie de leurs idées. Celle qui m'a le plus botté est la fois où ils se sont mis à scander "Achète un appartement dans le centre" lorsque déjà un peu fatigués ils avaient dû allonger leurs pas jusqu'à l'appartement où vit la Premier ministre adorée et adulée.
Certains qualifient ces promeneurs de racaille, d'indiens, de provocateurs, de ramassis tandis que d'autres chuchotent qu'il s'agit d'électeurs mécontents qui ont compris que l'injustice règne en Croatie. Toutefois ni les uns ni les autres ne sont apparus au milieu de ces "gambadeurs". Ils n'étaient pas avec eux, ils n'étaient pas parmi eux. Pourtant ils savent tout sur eux. Parce que régulièrement ils suivent le journal télévisé du service public et ils entendent ce que veulent et réclament ces gens, la raison de leur présence. Quels messages ont-ils et à qui ils les adressent. Les premiers se fâchent sur eux tandis que les seconds disent les comprendre.
Je dois avouer que je m'explique difficilement pourquoi ces promeneurs sont encadrés par de solides renforts de police. En particulier je ne comprends pas pourquoi à certaines haltes du défilé on trouve de très gros dispositifs de la police antiémeute alors qu'à d'autres il n'y en a pas du tout.
L'élite intellectuelle roupille. Les premiers jours les médias ont appelé ces promeneurs des "Facebookiens", puis ils ont constaté que parmi eux ils y en a qui ne sont pas branchés sur Facebook et ils leur ont donc découvert une tare épouvantable : ils ne sont pas articulés. De fait, ont annoncé les médias, ces gens ne savent pas ce qu'ils veulent. D'ailleurs il y en a bien trop peu, ils ne forment pas une masse critique.
C'est probablement la raison qui explique que jusqu'à présent aucun académicien croate ne se soit prononcé en public sur ces promenades. Pas plus que l'HAZU et la Matica Hrvatska*.
Que l'élite politique ne comprenne pas ces gens, je peux le concevoir, mais que l'élite intellectuelle croate n'ait pas reconnu la nécessité d'"articuler" les revendications des citoyens, j'avoue ne pas le comprendre.
Lorsque ces gens crient "démission, démission" et "élections, élections", ils ne déclarent pas par là qu'ils en ont fait leur but mais plutôt un moyen. Le moyen par lequel ils veulent parvenir à une nouvelle politique, à une société juste et à une solidarité sociale.
C'est pourquoi moi aussi lorsqu'il m'arrive d'y aller je me divertis. Et je vous y invite aussi. Aidons les pour que d'autres dégagent.
par Dragutin Lesar
* La Matica Hrvatska : une société culturelle emblématique dans l'histoire croate
Source : abrasmedia.info, le 21 mars 2011.