Une nouvelle note de Zoran Oštrić sur les manifestations en Croatie. On y retrouve son écriture un peu hachée.
Il faut toutefois remarquer que cette note date du 5 mars. Depuis lors d'autres rassemblement ont eu lieu.
Le mouvement protestataire à un croisement
Ceci est une version étendue du journal que je viens de publier sur mon blog personnel.
Aujourd'hui le mouvement protestataire réclamant la démission du gouvernement et la tenue de nouvelles élections a pour la première fois sérieusement débordé au-delà de Zagreb. Stratégiquement il est important que les manifestations aient lieu dans un maximum d'endroits. Toutefois cela crée aussi une nouvelle responsabilité pour tous les participants.
L'initiateur de tous les événements, Ivan Pernar, a été sifflé et malmené à Osijek. Quoique cela puisse n'avoir qu'un caractère local (le refus d'un chef issu de Zagreb dans la Slavonie autonome), il se pourrait aussi que cela en dise plus long. Car à Zagreb aussi on a pu noter parmi les participants du mouvement un mécontentement croissant à l'égard des envolées de l'initiateur.
Certaines personnes se rendent plus tard à la Place des Fleurs ou bien rejoignent le cortège une fois qu'il sillonne les rues, de façon à ne pas avoir à entendre un mauvais spectacle.
Les chansonnettes déplacées conviennent aux bistrots et non pas à un haut lieu de la culture urbaine tel qu'il en va pour la Place des Fleurs.
Un tribun populaire ne peut en aucun cas verser dans le "nombrilisme", et encore moins utiliser sa place sur l'estrade pour régler ses comptes avec une partie des participants du mouvement. S'il a tout à fait le droit de militer contre le "socialisme", qu'il laisse néanmoins cela pour la campagne électorale. Et il est encore moins acceptable qu'il aille soigner à Osijek son orgueil blessé à Zagreb.
Il est de la plus grande importance que depuis lundi, grâce à un consensus obtenu directement sur place, le mouvement protestataire se soit tourné vers des méthodes non violentes, ce que vient rappeler le slogan "Mani-festa-tion paci-fique !" scandé de temps à autre.
Sauter les barricades est un acte de défi individuel qui n'est plus acceptable lorsque quelqu'un a pris la tête de plusieurs milliers d'individus. [cela se rapporte toujours à Ivan Pernar, N.D.T.]
Aucun appel à la violence n'est acceptable pour trois raisons :
1) La violence est en soi inacceptable sur le plan moral, à moins que l'on ne fasse l'objet d'une agression directe.
2) La police est plus forte et cela n'a pas de sens de la provoquer.
3) La grande majorité des gens est rebutée par la violence et ainsi on ne fait qu'aider les forces les plus brutales de ce régime à introduire "l'ordre et la paix".
Deux revendications (la démission du gouvernement et de nouvelles élections immédiates, auxquelles s'ajoutent la non violence) représentent la limite de ce qui peut emporter l'adhésion de tous les manifestants. Et cela suffit. Laissons maintenant les sages du 19ème siècle se désoler à la Chaire de l'esprit croate que nous ne soyons pas "articulés". Pas à pas. L'important est de s'être mis en marche.
Il n'est pas facile une fois lancé de développer de nouvelles méthodes et de créer un nouvel esprit commun. On compte peu d'exemples. Les manifestants en Egypte et en Tunisie ont appris à partir des méthodes éprouvées en Ukraine et en Serbie il y a une dizaine d'années, tandis que ces dernier ont appris à partir de manuels sur l'action non violente. Eux ont toutefois renversé des régimes despotiques, en réclamant l'introduction des institutions fondamentales de la démocratie libérale - chose que nous avons faite en 1990.
Le Plénum de la Faculté de philosophie, qui veille sévèrement à ce qu'aucun chef ne s'impose, fonctionne toujours après deux ans. Il a engagé une dynamique qui à son tour génère d'autres initiatives. Nous pouvons renverser le gouvernement en un jour mais pour arriver à de véritables changements sociaux il faudra bien plus de temps et d'efforts. Tous nous sommes contaminés.
Maintenant franchissons un pas de plus en cherchant une issue à l'impasse de la particratie et du capitalisme de copinage (crony capitalism), pour aller vers la démocratie participative et délibérative.
Plus particulièrement construisons une nouvelle société civile, à l'opposé de celle qui durant la décennie précédente s'est fourvoyée dans "le monde associatif" et dans les fausses "relations de partenariat" avec la politique et l'économie (fausses parce que le partenariat implique au moins un pouvoir égal). A partir de la position statique du "troisième secteur" réenclencher la dynamique des mouvements sociaux.
Source : pollitika.com, le 5 mars 2011.