jeudi 9 décembre 2010, par Françoise Guillitte
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Les autorités croates doivent passer à la vitesse supérieure sur le plan des poursuites à engager contre les suspects de crimes de guerre et donner à cet objectif la priorité la plus élevée, a déclaré Amnesty International dans un rapport publié jeudi 9 décembre.
Ce rapport, intitulé Behind a wall of silence : Prosecution of war crimes in Croatia , montre que le système de justice du pays manque à son obligation de rendre justice à de nombreuses victimes de la guerre de 1991-1995, sur fond de retards constants, de menaces visant les témoins et d’inquiétudes quant au respect des normes.
Les statistiques gouvernementales indiquent actuellement qu’en moyenne 18 affaires de crimes de guerre sont traitées chaque année. Alors qu’il reste près de 700 cas à instruire, il est possible que la plupart des auteurs présumés ne soient jamais jugés. « La population doit connaître la vérité sur ces événements relativement récents qui ont gâché la vie de nombreuses personnes. Les victimes et leur famille ont besoin d’obtenir justice. Il est de la responsabilité des autorités croates de leur apporter les deux », a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. « Les autorités ont le soutien de la communauté internationale ; cependant, bien que les responsables réaffirment souvent leur engagement en faveur de la lutte contre l’impunité pour les crimes de guerre et malgré les avancées constatées dans certains domaines, la justice est lente et rendue de manière très sélective. »
Par ailleurs, des concepts fondamentaux tels que la responsabilité de la hiérarchie, les violences sexuelles constituant des crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne sont pas définis dans le droit national ainsi que le prévoient les normes internationales. Cela se solde par l’impunité pour de nombreux crimes.
L’immense majorité des procédures concernant les crimes de guerre en Croatie se déroulent devant des tribunaux régionaux, au sein desquels les collèges de juges appelés à statuer sont rarement constitués exclusivement de juges pénaux ; les juges composant ces collèges manquent trop souvent d’expertise dans le domaine du droit international et d’autres normes internationales pertinentes.
Certains témoins dans le cadre d’affaires de crimes de guerre continuent à être la cible de manœuvres d’intimidation et de menaces. Les tribunaux régionaux ne sont pas dotés des dispositifs de base requis afin d’apporter soutien et protection aux témoins.
Les poursuites engagées dans des affaires de crimes de guerre au cours de la période de 2005-2009, sur laquelle porte le rapport, ont visé de manière disproportionnée des Serbes de Croatie, qui étaient les accusés dans près de 76 % des cas.
Dans le même temps, malgré l’existence d’informations mises à la disposition du public - dont les éléments de preuve ressortant de procédures judiciaires en Croatie -, les allégations contre certains hauts gradés militaires et responsables politiques n’ont donné lieu à aucune enquête.
Ces allégations sont présentées plus en détail dans le rapport, et concernent par exemple Vladimir Šeks, le président adjoint du Parlement croate, qui aurait pris part à des crimes commis à Osijek en 1991.
Le général Davor Domazet-Lošo, dont un jugement a déterminé qu’il était à la tête de l’opération militaire de la poche de Medak en 1993, et Tomislav Merčep, vice-ministre de l’Intérieur au moment de la guerre faisant semble-t-il l’objet d’une enquête de la part du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, ont eux aussi jusqu’à présent échappé à des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales pour des allégations similaires.
Si certaines personnes accusées de crimes de guerre continuent à bénéficier du soutien de l’État, de nombreuses victimes de ces crimes voient bafoué leur droit à réparation.
« Les crimes de guerre ne sont pas le fait d’une ethnie en particulier. Ils touchent les gens quelle que soit leur origine, et les responsables présumés doivent être poursuivis quelle que soit leur appartenance ethnique ou leur position sociale », a ajouté Nicola Duckworth.
Amnesty International demande aux autorités croates : de mettre la législation du pays en conformité avec les normes internationales ; d’élaborer une stratégie nationale pour instruire les affaires de crimes de guerre ; et de traduire en justice tous les responsables présumés - y compris parmi les hauts fonctionnaires - de crimes commis pendant la guerre de 1991-1995.
« Il est possible que nombre des défaillances du système croate de justice résultent en grande partie d’une absence de volonté politique d’affronter les conséquences de la guerre », a ajouté Nicola Duckworth.
« La Croatie doit faire face à son passé afin d’avancer. L’impunité pour les crimes de guerre est un obstacle à son intégration à l’Union européenne. En supprimant celui-ci, les autorités prouveront que le pays entend clairement réduire les inégalités devant la justice. Les victimes n’en attendent pas moins - et le méritent bien. »
Complément d’information
La déclaration par laquelle la Croatie a annoncé son indépendance de la République fédérale socialiste de Yougoslavie, en juin 1991, a été suivie d’un conflit armé entre l’armée croate et les forces armées serbo-croates, appuyées par l’Armée fédérale yougoslave, qui a duré jusqu’en 1995.
Durant ce conflit (1991-1995), des violations massives et graves des droits humains ont été perpétrées par les deux camps. Il s’agissait notamment d’homicides arbitraires, d’actes de torture – dont des viols – de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et d’expulsions forcées ; des centaines de milliers de personnes sont allées se réfugier à l’étranger ou ont été déplacées à l’intérieur du pays.
Dès le début du conflit, Amnesty International a mené campagne contre l’impunité pour les crimes de guerre commis en Croatie et ailleurs, dans le cadre des autres guerres qui ont accompagné l’éclatement de la Yougoslavie.
Source : amnestyinternational.be, le 9 décembre 2010.