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Titre du blog : Balkanikum
Auteur : Balkanikum
Date de création : 14-08-2008
 
posté le 16-07-2010 à 12:08:14

Comment Karamarko et Milan Bandić ont procédé à des arrestations massives

 

 

 

 

 

En Croatie personne et à aucun moment ne devrait être arrêté suite à une manifestation politique. Il s'agit d'un point fondamental autour duquel, à mon avis, il existe un large consensus social.

 

 

 

Hier, aux n°1 et 22, au coin de la rue Gundulićeva et Masarykova, trois policiers de gros gabarit, munis de gilets pare-balles (peut-être leurs chefs ont-ils pensé que les manifestants de la rue Varšavska sont armés de pistolets et de fusils, ou du moins de lance-pierres), ont soulevé une frêle jeune fille en t-shirt noir qui était assise sur l'asphalte. Ils l'ont embarquée à bord du véhicule de police.


Même si les policiers n'ont pas eu de comportements brutaux, ce fut une des scènes les plus repoussantes qu'il m'ait été donné de voir dans les rues de Zagreb ces vingt dernières années. De même que l'arrestation de plus d'une centaine de manifestants - ce qui en fait l'arrestation la plus massive dans la Croatie depuis l'indépendance (exception faite des incidents dans les stades) - est une des décisions les plus idiotes et les moins sympathiques dont je me souvienne depuis de longues années.

 

Confiance perdue

 

L'intervention policière d'hier en plein centre de Zagreb a sérieusement menacé la situation politique et sécuritaire dans le pays. Primo, les manifestants dans la rue Varšavska ont été arrêtés pour avoir exprimé leur opinion politique. La résistance passive à l'égard du projet de construction "Hoto centar" n'est rien d'autre que l'expression d'une opinion politique, et cela dans un lieu public. Il est honteux - que l'on s'accorde ou pas avec les manifestants - d'arrêter qui que ce soit en quelque circonstance pour avoir exprimé ses vues politiques. Un Etat démocratique ne saurait le tolérer : autant dire que Tomislav Karamarko, pour quiconque prône le régime démocratique, n'est plus qu'un ministre de l'Intérieur démissionnaire.


En Croatie personne et à aucun moment ne devrait être arrêté suite à une manifestation politique. Il s'agit d'un point fondamental autour duquel, à mon avis, il existe un consensus social.

 

En l'occurence, il convient de rappeler que même le ministre de la police de Tuđman, Ivan Jarnjak, n'avait pas jugé nécessaire de faire intervenir les unités spéciales afin d'empêcher les manifestations massives en faveur de Radio 101 sur la place du ban Jelačić (alors que Karamarko de son côté a envoyé la police contre un nombre d'inoffensifs manifestants incomparablement moindre dans la rue Varšavska).


Secondo, le ministre de l'Intérieur par son action d'hier - ce fut réellement stupéfiant de voir toute la rue Gundulićeva remplie de véhicules de police - aurait pu menacer directement la sécurité publique dans le pays.


Il est heureux que les Croates soient en principe pacifiques et qu'ils ne souhaient pas transformer en violence les confrontations avec la police. Car dans des pays où les gens ont un caractère plus échauffé et moins responsable, disons en Serbie et en Grèce, l'action politique d'hier aurait pu dégénérer en manifestation chaotique et violente. On sait qu'un grand nombre de citoyens ne se sentent pas satisfaits et qu'il n'existe aucune confiance dans les élites politiques. La pétition relative à la Loi sur le travail a placé l'indice du baromètre d'insatisfaction générale à un très haut niveau.

 

Une décision politique

 

Parfois il suffit d'un simple motif, d'une légère pression sur la gachette psychologique pour que le mécontentement collectif déborde dans la rue. Tomislav Karamarko a joué hier avec cette gachette, la plus dangereuse compte tenu de la situation présente dans le pays.

 

Tertio, hier, il s'est avéré une fois de plus qu'il n'appartient pas à la police de prendre des décisions politiques. La décision d'arrêter les manifestants est nécessairement de nature politique et elle ne peut être justifiée par aucun règlement d'ordre technique.

 

Lorsque la police (ou l'armée) commence à se mêler de politique, il en résulte inévitablement le chaos. L'arrestation de plus d'une centaine de manifestants dans le centre de Zagreb n'est pas seulement une honte mais aussi le chaos.

 

Des milliers de voix en moins

 

Quarto, il est évident que la police n'est pas apte à résoudre les problèmes de la désobéissance civile par des méthodes plus douces et plus efficaces que l'arrestation. Cela dit, il s'agit de leur propre problème, personnel... professionnel.

 

Quinto, le plus important en terme politique : le ministre de l'Intérieur a par son action d'hier enlevé au moins une centaine de milliers de voix potentielles lors des prochaines élections à la Communauté démocratique croate (HDZ), étant donné que le Gouvernement est nécessairement identifié au HDZ, même si Karamarko n'en est pas un membre. Outre Karamarko, l'autre héros principal du désastre d'hier dans la rue Varšavska est le maire Milan Bandić. En effet, la police a agi sur demande du Bureau municipal en charge de l'aménagement spatial, dont le chef Davor Jelavić est subordonné à Milan Bandić. Par conséquent, selon la ligne de commandement, Bandić a ordonné les arrestations alors que Karamarko les a effectuées. Ainsi Bandić, si l'on peut dire, s'est-il vengé contre cette partie de Zagreb qui l'a dédaigné lors des dernières élections présidentielles ainsi que contre ces personnes qui l'ont mis en cause parce qu'elles jugent illégal le projet Hoto Centar.


Il est évident que les honteux événements d'hier en plein centre de Zagreb comportent toute une série de nuances : ces événements transformeront en héros de la rue des personnes qui ne le méritent nullement, ils ne feront qu'embrouiller un peu plus les faits réels concernant le projet de construction d'Horvatinčić, ils ne feront que diviser un peu plus ceux qui voient d'un bon oeil les projets de développement dans le centre de Zagreb et ceux qui estiment que rien ne devrait changer (les deux opinions sont légitimes et peuvent être défendues).


Lorsque l'Etat utilise la force

 

Cependant tout cela compte moins au regard du fait que l'Etat, par l'entremise du ministre de l'Intérieur, a utilisé la force contre des gens qui exprimaient pacifiquement leurs opinions politiques. Le pouvoir qui ne permet pas à ses citoyens d'exprimer ses vues politiques - quand bien même ils bloquent des camions comme hier dans la rue Varšavska - est un pouvoir mauvais et non démocratique.


La police qui ne comprend pas qu'elle ne peut pas arrêter une centaine de personnes non violentes, ne représentant aucun danger, parce qu'elles expriment leurs opinions politiques, est une police mauvaise et irresponsable.

 

Le dénouement des événements d'hier dans la rue Varšavska est une preuve de plus de la totale incompétence (sans même parler de la moralité) des divers niveaux de pouvoir en Croatie.


par Davor Butković


Source : jutarnji.hr, le 16 juillet 2010.