Davor Pavuna : Nous investissons scandaleusement peu dans la science
Un des physiciens croates les plus éminents dans le monde, Davor Pavuna, que le président américain et son ministre de l'énergie, le Prix Nobel Steven Chu, ont appelé auprès d'eux pour être l'un des examinateurs des projets énergétiques des USA, a commenté les rapports qu'entretient la Croatie avec la science. Fort de plus de 150 travaux scientifiques et d'une série de projets derrière lui, le professeur Davor Pavuna dépense depuis pas mal d'années beaucoup d'énergie et de passion afin d'aider la Croatie à devenir un pays d'opportunités et à se servir de son intelligence à l'intérieur de ses frontières et en dehors. Cependant, c'est comme si l'Etat avait baissé les bras...
Il est affligeant, sans nullement exagérer, de voir le peu que la Croatie investit dans la science et ses scientifiques, or sans cela il n'y a pas de progrès. Nos experts et scientifiques sont dispersés aux quatre coins de la planète, où ils dirigent les projets et établissements les plus exigeants, mais personne dans la patrie n'a utilisé cet énorme potentiel pour faire progresser le pays.
Nous avons des patentes incroyables...
En Croatie d'un autre côté nous avons un génie logiciel, de la biomédecine, une industrie de la beauté, des connaissances en matière militaire et technique et bien d'autres choses, mais ils manquent des "producteurs" qui "relieraient tous ces fils". Le paradoxe est que beaucoup de gens en Croatie possèdent d'incroyables patentes, des trouvailles qui mettraient en branle la production et la science, mais ils n'ont personne à qui s'adresser afin d'obtenir des aides financières et autres malgré que la société en contrepartie en retirerait beaucoup de profit.
- D'après vous, comment faut-il orienter la Croatie vers ce qu'on appelle généralement "la société de la connaissance" ?
Le fait est que nous manquons d'une stratégie nationale bien que tous les responsables soient tombés d'accord la-dessus dès l'année 1993. Depuis lors beaucoup de temps est passé sans que rien ne soit fait, car les gens qui dirigent le pays ne savent pas ce qu'il faudrait faire.
.... et nous ne produisons rien
En Croatie rien n'est produit, autant dire une catastrophe. Mais pour que quelque chose change réellement, l'expérience à travers le monde nous apprend qu'il faut qu'existe dans la société "une masse critique" d'ingénieurs, et cela au moins à hauteur de 1,5%, ce dont ne dispose pas le pays. D'après ce que je sais, beaucoup de jeunes experts et scientifiques travaillent à l'étranger, dans pas moins de 34 pays, et il n'y a que trop longtemps que dure cette tendance sans que l'on ne tente d'y mettre fin. En Croatie honteusement peu d'argent du PIB est alloué pour la connaissance et l'éducation, or tous les pays qui ont investi en ce sens, que ce soit la Finlande, le Canada ou la Suisse, le font en toute conscience pour en retirer les fruits, ce qui s'est révélé exact.
- Quel genre d'experts et de scientifiques sortent de nos universités ?
D'excellents, et il n'y a pas de différence avec ceux qui sont formés à Harvard, à Princeton ou dans quelque milieu universitaire connu et reconnu à travers le monde. Pour nos "filles et garçons" le problème n'est nullement de faire quelque chose comme Google, Yahoo, Nokia ; tout cela ils en sont capables et lorsqu'ils se retrouvent dans des pays avec des systèmes organisés ils en font la preuve. En Croatie c'est bien plus difficile car règne l'inertie et personne n'aide à créer des start-up comme on en rencontre habituellement dans le monde, or toute la société en tirerait avantage.
Comment s'y prend-on aux USA, en Allemagne et dans d'autres pays développés ?
Les jeunes experts dès la fin de leurs études créent une entreprise dans laquelle, par exemple, ils investissent 100.000 dollars US, auxquels les collectivités locales et l'Etat en ajoutent tout autant. Ainsi débutent-ils avec 300.000 dollars et grâce à leurs connaissances et aptitudes ils développent une compagnie jusqu'à atteindre une certaine valeur. Lorsque son prix a fortement augmenté, ils la vendent aux grosses entreprises ou à d'autres investisseurs, ce dont la société retire un bénéfice.
Nous aussi en Croatie nous avons des entrepreneurs, et même de vrais industriels, mais ils doivent percer par eux-mêmes tandis que la société fait tout ce qu'elle peut à travers toutes sortes de prélèvements et de paperasserie pour les ralentir. Il est navrant de voir le peu que donnent pour la science les gens qui siègent au Parlement croate et sur la place Saint-Marc [siège du gouvernement, N.D.T], et c'est bien la raison qui nous oblige nous les scientifiques à nous mettre en réseau et à entreprendre quelque chose.
Qu'avez-vous fait concrètement ?
- Nous nous sommes mis en réseau, avons assuré le contact et, n'ayant d'autre choix, nous nous sommes imposés aux centre du pouvoir politique afin que la Croatie bouge enfin. Il nous faut seulement quelques bons laboratoires et des financiers, que nous amènerons nous-mêmes, pour que les choses bougent. Tant de temps a réellement été perdu et il est plus que temps d'entreprendre quelque chose, cela à cause de nos enfants auxquels nous le devons.
Les Suisses "prennent leurs distances" avec le fromage
Les choses changent un peu en ce qui concerne la science, mais ce n'est pas assez. Par exemple, je sais comment créer une banque nationale, ce qui ne pose aucun problème, et je souhaiterais en parler ainsi que de quelques autres idées avec la Premier ministre Jadranka Kosor, mais elle "n'a pas trouvé le moyen de me recevoir" en l'espace de six mois. A l'étranger on médite très sérieusement sur ces choses. Ainsi la Suisse ne se voit-elle pas dans le futur comme un pays de banques, de montres, de fromage et de chocolat, mais bien comme un centre d'excellence, car là-bas les gens sont conscients du mieux-être que cela apportera.
Source : slobodnadalmacija.hr, le 5 juillet 2010.